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CORTEZ

Par Romain RICHEZ

Oublions le côté lent et tranquille inculqué aux suisses par nos stéréotypes et caricatures : CORTEZ donne dans la brutalité auditive et l’épilepsie sonore dans tous les sens. Plus précisément, CORTEZ a la douce singularité d’évoluer dans un univers mêlant Noise-Hardcore et Mathcore.

Quelques mois après la sortie du troisième album des Helvètes, et a quelques jours de leur passage aux 4Écluses Dunkerquoises, ILLICO! ne pouvait que revenir sur ce No More Conqueror. Entretien avec Grégoire Quartier autour de la vision qu’il porte, depuis ses baguettes et ses cymbales, sur le projet CORTEZ.

Tout d’abord, et en guise d’introduction, que penses-tu de la scène hardcore-metal Suisse et de son exposition au niveau international ?
Pour un petit pays comme la Suisse, je crois que nous avons une scène très talentueuse. Déjà nous, nous avons été biberonné au Knut, Nostromo, Kruger et bien d’autres. Ensuite, sont arrivés ceux de notre génération comme Zatokrev, Impure Wilhelmina, Mumakil. Puis ceux qui sont venus juste après comme Rorcal, Coilguns, Promethee. Et les tous derniers, je dois t’avouer que je n’en sais rien. Certainement parce que je suis trop vieux pour suivre cette scène dans son entier ! (Rires) Plus sérieusement, les groupes que je t’ai cité sont ceux évoluant dans un style proche de notre état d’esprit. Mais il y en a plain d’autres, comme Celtic Frost, Coroner, Triptykon. Et aussi dans un autre genre, les Young Gods.

L’alliage entre Noise et Hardcore est-il né de façon naturelle dans le son de CORTEZ ou était-ce une volonté de composer en mêlant ces deux styles ?
Alors au départ, dans notre région native, nous étions vraiment les seuls à faire ce genre de musique. Ce n’était pas prémédité, c’est venu comme ca. Nous avions des influences très diverses. Sam était déjà assez mature artistiquement, il écoutait des trucs, avec le recul, bien mieux que moi, comme Isis, Dillinger Escape Plan, Botch, Keelhaul ou Converge. Alors que moi, j’étais un musicien plus assidu que lui en terme de technique, mais j’avais des gouts plutôt metal « basiques ». Du genre Metallica, Machine Head, Sepultura, Korn, Deftones. Quand nous avons commencé à jouer ensemble, l’idée était de faire ce qui nous plaisait et de partir dans des directions complètement ouvertes. Je ne te cache pas que nous avons beaucoup travaillé pour trouver un « style ». Mais sans réellement savoir qu’on le faisait. Et voilà, on a créé ce « truc », sans jamais vraiment se dire que nous créions quoi que ce soit. En toute honnêteté, même aujourd’hui, quand je lis que notre style est reconnaissable, je ne suis pas sûr de comprendre ce que cela signifie. Mais tant mieux, parce que trouver un style, c’est le plus dur. Donc si on nous reconnaît à ça, alors je prends ça comme un compliment.

Penses-tu que le fait d’être Suisses et de mêler Noise et Hardcore soit un avantage ou au contraire un « obstacle » pour CORTEZ pour dénicher de nouveaux auditeurs ?
Je ne sais pas. On n’a pas vraiment cherché à dénicher des auditeurs, sauf peut être du temps de Phoebus notre second disque. Et je t’avoue qu’avec l’âge, c’est de moins en moins quelque chose qui nous intéresse. On fait ce qu’on fait et on ne le changera pas. On fait toutefois l’effort de le promouvoir, et on laisse les choses se faire toutes seules. Je ne te cacherai pas qu’en Suisse, nous n’avons pas beaucoup d’offres. En revanche, au niveau de l’étranger, pour le moment, cela se passe bien. Nous allons là où les gens s’intéressent à notre musique : en France, en Belgique, en Russie cet été et au Canada cet automne. La promo du disque marche fait également son effet : les chroniques sont très bonnes. Ensuite, on espère que la curiosité des gens existe encore. CORTEZ a un style assez radical, et CORTEZ nous plait comme ça. Mais c’est sûr que nous n’avons jamais produit de musique dans l’idée de plaire à des gens ou à des marchés.

Comme tu l’as évoqué toute à l’heure, Samuel et toi êtes les « cerveaux » de CORTEZ. Du coup, comment se passe la composition chez CORTEZ ?
Le processus évolue avec chaque disque. Pour Initial, le premier album, nous étions au local trois fois par semaine et nous bossions comme des fous. Sans objectif autre que celui de créer une musique qui nous plaise. On aime explorer, ne pas se répéter. Et je pense que cela s’entend dans l’évolution des disques. Pour Phoebus, nous avons travaillé bien plus comme des « auditeurs ». C’est à dire que nous enregistrions tout. Ensuite, nous montions les morceaux ensembles avec un ordinateur. Cela nous donnait du recul sur la musique, et nous pouvions tester pleins d’options différentes en travaillant spécifiquement certains passages. Pour No More Conqueror, le dernier, cela a été beaucoup plus intense. Sam est venu chez moi une semaine en Suisse et nous avons enregistré pleins de choses sur le moment. Nous n’avions rien préparé, nous étions simplement dans un local avec les instruments « live ». Les morceaux qui sont sortis de cette session, à mon avis, sont reconnaissables. Notamment de par leur sonorité plus rock and roll, plus directe. Ensuite je suis allé chez Sam, à Singapour, deux semaines à composer 10h par jour, avec une batterie numérique et une guitare pluguée directement dans un ordinateur. Ce qui nous apportait cette sensation agréable d’avoir un son parfait. En revanche, nous avions un temps limité. Et je pense que nous avions un rythme de croisière d’un morceau toutes les quinze heures. Sans jamais prendre le temps de revenir dessus ensuite. En deux semaines, quasiment tout le disque était terminé. Nous avons simplement retravaillé deux ou trois choses chacun de notre coté. Mais 90% du disque a été fait durant les trois semaines de travail que je viens de te détailler. No More Conqueror c’est donc cette sorte d’instantané de ce que nous avions en tête. Sans préméditation et sans détours.

CORTEZ se réinvente sur chaque album. Est-ce là la principale marque de fabrique de CORTEZ ?
C’est possible, mais c’est surtout du au fait que CORTEZ n’aime pas se répéter, suivre des tendances ou se reposer sur ses acquis. Nous ne sommes pas des musiciens professionnels, nous ne vivons pas de notre musique. Ce qui paradoxalement nous donne beaucoup plus de liberté artistique. C’est déroutant pour nos fans certes, mais c’est également excitant. CORTEZ aime explorer, mélanger des intentions musicales. En tant que mélomanes, Samuel et moi avons des influences très larges et nous composons des musiques différentes en dehors de CORTEZ. Du coup, quand nous composons pour CORTEZ, nous avons cette ligne de conduite de faire une musique direct, qui décape, et surtout qui n’est pas un ersatz de choses déjà existantes.

Le fait de sortir son troisième album marque-t-il quelque chose de particulier pour CORTEZ ?
Contrairement à un second disque après un premier album apprécié, c’est agréable de n’avoir pas à confirmer notre existence. Par contre, c’est sûr que c’est aussi un nouveau départ pour le groupe. Ne serait-ce que dans le sens où nous avons changé de chanteur et de guitariste live. Mais l’alchimie est là. Ne reste donc plus qu’à montrer et partager le plaisir que nous avons de jouer ces nouveaux morceaux, ainsi que de faire vivre les anciens morceaux avec le nouveau line up. Tout se passe donc bien !

No More Conqueror

D’un point de vue général, que peut-on dire sur No More Conqueror ?
No More Conqueror
est un album très dense, très direct. En toute confidence, j’ai bien aimé lire dans certaines chroniques que Cortez avait délaissé de côté le coté « post » du hardcore. Néanmoins, même s’il ne contient pas de fioritures inutiles, cet album est très inventif. Il y a des titres techniquement très brutaux certes. Cependant, il y a une teinte plus « rock » dans ce disque. Et je pense que cela prépare la suite de notre évolution. Il y a de la couleur, de la chaleur, un peu comme notre artwork. Face à ses prédécesseurs, No More Conqueror sonne moins désespéré, moins « méchanceté gratuite ».

En connaissant l’histoire des conquistadors espagnols, n’y avait-il pas quelque chose d’assez ironique dans le fait d’appeler son album « No More Conqueror » quand le groupe se nomme CORTEZ ?
Oui un peu ! (Rires) Mais c’est aussi lié à l’histoire du groupe et à notre état d’esprit. No More Conqueror est notre troisième disque. Nous nous sentons libres de faire ce que nous voulons tant que notre son garde la même intensité, cohérence, identité. Nous avons désormais quarante ans, et donc nous entamons la seconde partie de notre vie, un peu comme CORTEZ finalement. Aujourd’hui, nous n’avons plus les mêmes rêves qu’à vingt ans, nous n’aspirons pas à devenir des rockstars. Nous ne vivons pas de la musique, ce qui est un stress inutile de moins à gérer. Ne pas avoir ce souci, c’est beaucoup plus de liberté artistique, je trouve. Comme l’intitulé de No More Conqueror pourrait le laisser interpréter, nous sommes moins dans une vision « on veut conquérir le monde ». Mais nous ne sommes pas résignés et cela ne nous empêche nullement de tourner dans de nouveaux endroits, comme le Canada pour cet automne. L’autre raison derrière ce titre, c’est cette situation écologique dramatique dans laquelle se trouve notre planète. Peut-être est-ce là notre rôle de pères au foyer de voir les choses comme ceci. C’est peut-être une sorte de conscience écologique que nous avons développé avec le temps. Je m’explique, tourner comme des fous, prendre l’avion pour l’autre bout de la planète nous pose un problème. Quand on voit ce qu’il se passe au niveau climatique et environnemental (extinction de masse, pollution etc.), et que l’on sait que c’est en grande partie du fait des voyages en avion et du consumérisme, cela ne peut que nous questionner. Pour nous, la seule chose à conquérir est le plaisir d’être. Il faut réinventer l’existence d’un groupe comme le notre, qui est quand même l’archétype musical d’une civilisation qui arrive à sa fin. Cela ne signifie pas la fin, mais cela signifie surement que nous sommes arrivés au bout d’une certaine façon de faire les choses. À voir comment Cortez va se réinventer pour la suite. Pour l’instant, ce sont des pensées (tenaces) qui ne sont pas des limites, mais des opportunités d’évolution. Et comme on aime évoluer, ça tombe bien !

No More Conqueror sonne très massif. Pourtant j’ai l’impression qu’il tend bien plus vers la Noise et les envolées « épileptiques » que ses prédécesseurs. Es-tu d’accord avec cela ?
Oui c’est le côté « Post » qui n’est plus trop présent. Il y a aussi un coté Mathcore assumé dans No More Conqueror, c’est surement cela qui sonne épileptique. Ce n’est pas que nous voulons faire des trucs compliqués ou autres. C’est simplement que nous aimons créer des contrastes rythmiques où les choses paraissent touffues et denses, et d’autres moments clairs et évidents pour l’auditeur. C’est un jeu de cache-cache, et No More Conqueror le pousse au maximum. Le travail du son, par Raphael Bovey fait également beaucoup pour donner cette impression massive. Il a fait un super job de production. Au niveau du Noise, je pense que c’est notre dimension « punk, rock’n’roll ». On a toujours bien aimé défendre cette énergie, et jouer avec des choses évidentes mélangées avec des moments expérimentaux.

No More Conqueror voit apparaitre, pour la première fois en version studio, des lignes de basse. Pourquoi ce choix ?
Pour les deux premiers disques, nous avions utilisé la ligne de guitare passée dans un octaver pour créer de la basse. Histoire d’avoir les fréquences qui nous manquaient. Pour No More Conqueror, nous étions proches de Loïc (NDLR : Grobetty) au moment de l’enregistrement, et nous lui avons demandé de faire le disque en gardant l’optique de la place de la basse dans CORTEZ. Le tout en amenant des innovations dues à la vision d’un bassiste sur notre musique. Il a fait un super travail, et évidemment, il a un vrai son de basse, avec ce grain qui donne du corps au son !

Dans le même genre d’idées, comment et pourquoi avoir choisi Antoine Läng pour tenir le micro ?
Antoine est un chanteur expérimenté. Il est venu vers nous pour nous proposer de tester ce qu’une collaboration donnerait. Et, dès le test, le résultat était exactement ce que nous cherchions. C’était puissant, avec du débit. Aussi le fait qu’il a une façon assez transversale de poser les voix, sur de la musique très rythmée. Ce qui donne une autre dimension à celle-ci. Dès le moment où nous avons eu le sentiment que cela correspondait à ce que l’on cherchait, nous étions unanimes pour dire que c’était ce qu’il fallait pour ce disque.

Initial, le premier album de Cortez a près de quatorze ans aujourd’hui. Aujourd’hui, que ressens-tu lorsque tu l’écoute de nouveau ?
Personnellement je réécoutais peu ce disque, à cause du son qui me déplaisait. Nous avons fait une réédition d’Initial il y a peu, et donc nous avons du le réécouter en boucle pour le nouveau mix. Avec un nouveau son j’ai redécouvert ce disque, et je dois dire qu’on avait trouvé un style dès le premier disque, sans le savoir. Je pourrais rejouer ces morceaux sans avoir l’impression qu’ils ont cet âge. Je trouve que CORTEZ est là, dès ce disque. Très plaisante sensation, quand on peut assumer ce qu’on a fait plus de quatorze ans auparavant.

Musicalement, et plus généralement, à quoi une personne qui n’aurait jamais tendu une oreille à CORTEZ peut s’attendre en écoutant un album du groupe ?
À quelque chose de très agressif, dense, avec une sensation spatiale et monolithique en même temps. Je crois qu’il faut appréhender Cortez comme de la musique classique, car cela peut partir dans tous les sens à tout moment. D’autant plus que nous jouons avec les règles et les normes spécialement dans ce sens, dans le but de ne pas laisser l’auditeur dans le confort. On aime surprendre, on aime casser, on aime transgresser. Cortez ne prend pas le temps de dire deux fois la même chose, ou en tout cas pas deux fois de la même façon. D’un côté, on peut écouter Cortez comme un groupe brutal. De l’autre, on peut écouter attentivement comment c’est construit, la structure musicale, et voir que c’est très détaillé. On peut le mettre en fond ou l’écouter attentivement, avec des sensations différentes. C’est ça Cortez.

De même, à quoi cette même personne pourrait s’attendre avec CORTEZ en live ?
En live, CORTEZ c’est brutal. Je me rappellerai tout le temps de ce concert à Montpellier, dans lequel le public était complètement fou. Et quand nous avons lancé le dernier morceau, un type nous regardait, hagard, l’air de dire « je suis exténué physiquement et vous envoyez encore du bois ?! ». Alors je crois que CORTEZ, c’est beaucoup d’intensité.

En Mars, CORTEZ sera de retour aux 4Écluses de Dunkerque. Content d’être de retour dans le Nord de la France ?
Mon souvenir immédiat des 4Écluses, c’est la tarte aux pommes vegan du cuisinier avec une crête punk ! Il avait fait un repas vraiment hyper bon. Je suis un gros gourmand… (Rires) Sinon la salle est super, et le public l’était aussi.

D’ailleurs, que penses-tu du public nordiste ?
Je ne sais pas si le public est différent. Pour me confesser, de là où je joue, je n’ai pas vraiment remarqué. J’espère que je vais vexer personne en disant cela ! (Rires)

Comme le veut la tradition, je te laisse le dernier mot.
N’ayez pas peur.

Délestez-vous donc de vos peurs et ruez-vous sur cet album. Et plus généralement sur la discographie de CORTEZ ! Chaque album a une âme lui étant propre et dresse une atmosphère aussi intense que dense. No More Conqueror quant à lui est à ce jour l’opus le plus abordable mais également le moins abordable de CORTEZ. L’écoute est lourde et inconfortable mais le voyage en vaut l’expérience.