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MAGMA

Patrick DALLONGEVILLE

MAGMA vient de célébrer ses 50 ans d’aventures en enregistrant Zëss avec l’Orchestre Philharmonique de Prague. Toute littérature étant dès lors superflue, nous avons préféré questionner leur lider maximo.

Bonjour Christian Vander.

 Je ne vais pas essayer de me faire passer auprès de vous pour l’exégète que je ne suis pas, mais la première fois que je vous ai vu, c’était à Lille, lors du concert de MAGMA à la vieille et historique salle Roger Salengro (qui abrite désormais le Théâtre du Nord, scène nationale). C’était le 18 avril 1975, et le solo de batterie que vous y avez pris ce soir-là est entré dans les annales, puisqu’on en trouve l’enregistrement, parmi d’autres, sur le double CD Korusz, paru il y a vingt ans.
Oui, je me souviens de ce concert à Lille, dans une salle qui résonnait d’ailleurs…

Parmi les liens historiques que vous entretenez avec la région figure la mémoire de Didier Lockwood, qui nous a quittés il y a un an et une semaine… Que pouvez-vous nous dire de lui ?
Eh bien écoutez, il a fait ses armes dans MAGMA. C’était un virtuose et j’ai tout de suite repéré qu’il avait un énorme potentiel. Il a joué deux ans dans Magma, et il a largement eu le temps d’y faire ses preuves. Après, il a bien sûr tracé son chemin avec le succès que l’on sait, et malheureusement, ça s’est arrêté brusquement…

Vous aviez eu l’occasion de rejouer avec lui récemment ?
Oui, épisodiquement. C’était un musicien très généreux, mais le problème, c’est qu’il voulait être partout, et c’est hélas impossible, même si c’était son tempérament. J’en avais parlé avec son frère Francis, et ce dernier me disait que Didier était très fatigué, surmené même, et donc c’était devenu très difficile…

C’était en quelque sorte un boulimique de travail, un peu comme vous, d’ailleurs, non ?
Bah, non, moi je crois que j’ai peut-être davantage le sens du tempo physique pour pouvoir durer.

Cette tournée des 50 ans de MAGMA est avant tout l’occasion de présenter enfin la version complète de Zëss, une œuvre ébauchée en 1977, mais dont vous avez mis près de quarante ans à pouvoir livrer la version définitive. Pourquoi un tel hiatus ?
Il y a deux explications principales. Premièrement, j’avais égaré un des textes, notamment celui qui évoque le Maître des Sons, et on ne peut pas recréer si facilement comme ça une idée qu’on a perdue. C’est comme une poésie, voilà. Enfin bref, j’ai égaré ce texte, et de ce fait, Zëss est demeuré en l’état, inachevé. Pour moi, c’était dramatique, surtout le Maître des Sons, ça a une grande importance. Donc il aurait fallu que le texte soit complet, et sur le plan de la musique, ce n’était pas tout à fait terminé non plus. En outre, Zëss, c’est le Jour du Néant, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire, hein : après ça, il n’y a plus rien à espérer, et on ne peut plus rien composer ni créer. Ce qui aurait du signifier pour moi la fin de l’aventure Magma en quelque sorte… Alors je me suis dit non, on ne va pas l’enregistrer maintenant … Et puis au fil des années, quand Stella (NDR : Stella Vander, son épouse, qui fait également partie de la formation) m’a proposé de le terminer afin de pouvoir enfin l’enregistrer, en 2018, j’ai accepté sans réfléchir tout de suite à la portée de l’événement. Mais je me suis dit ensuite : « Mince, Christian, ce sera ton dernier disque« … Et puis j’ai trouvé une idée qui permettait d’en sortir, en imaginant que tout cela n’était finalement qu’un songe, un peu comme quelqu’un qui aurait eu une vision de Zëss, avant de s’éveiller, vous voyez ?.. Ça permettait donc de poursuivre, et de créer encore d’autres choses ensuite. Ça m’a débloqué, le Maître des Sons est réapparu, et j’ai retrouvé un autre bout de papier sur lequel noter un texte, car la première fois, c’était aussi comme ça que ça s’était passé : j’avais écrit ce texte sur petite une enveloppe, et je l’avais égarée. Et cette fois, c’est revenu au point de départ : j’avais une petite enveloppe et un crayon, et le texte m’est revenu en tête. Je me suis dit « mince, il n’y a pas de hasard, ça, c’est un message« . Et voilà, Zëss était enfin complet.

Un peu comme si vous vous étiez envoyé une lettre à vous-même, et qu’elle avait mis quarante ans à arriver…
C’est complètement fou, mais oui…

Enfin, une question un peu personnelle : à ses débuts, MAGMA fut souvent identifié à une certaine image de rigueur, de discipline, et d’un sérieux inaltérable… Qu’est ce qui vous fait rire, Christian Vander, dans la vie de tous les jours ?
… Eh bien je ne sais pas, je ne dois pas rire beaucoup, j’avoue… Et là, actuellement, je suis assez déçu de l’ambiance générale, la façon dont le monde tourne en ce moment.

D’accord. Parce qu’il y a quarante ans déjà, lors de cet album de MAGMA avec Jannick Top en 1978 (Attahk), on vous sentait déjà assez amer et révolté à l’égard de la société, non ?
Certainement, même si ce n’est pas tout à fait le terme que j’emploierais. Je me réfugie beaucoup dans le silence ces derniers temps, si vous voyez ce que je veux dire. Et j’évite de trop croiser les gens. J’exècre un peu ce monde, tel qu’il est aujourd’hui. C’est difficile à exprimer, mais ça ne ressort pas plus que ça dans la musique, hein… C’est simplement ma manière de voir les choses. Disons que je ne suis pas optimiste, voilà tout.

Désabusé ?
Non, j’ai une bonne énergie, je ne lâche pas pour autant.


Vous poursuivez votre chemin ?
Oui, envers et contre tout.

Voilà qui nous fera une belle conclusion, merci pour le temps que vous nous avez accordé.