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MAT BASTARD

Par Patrick DALLONGEVILLE

Nous sommes le 7 novembre, et j’ai rendez-vous avec Mathieu-Emmanuel Monnaert dans un restau de la rue du Cirque à Lille. À priori, peu vous en chaut, mais si je précise que le bougre est plus connu sous le pseudonyme de MAT BASTARD, je vous sens tout de suite plus attentifs… C’est son anniversaire, et il en profite pour donner quelques interviews, à l’occasion de la sortie de son premier album solo depuis sa rupture avec SKIP THE USE, ainsi que dans la perspective de son passage imminent par l’Aéronef…

Je t’ai vu avec Carving en 2005, à la Fête à Raoul de Boeschepe, ça envoyait bien, et vous aviez un public fidèle.
Mat Bastard : Oui, on a beaucoup tourné, notamment grâce à Marcel Et Son Orchestre, qui nous ont emmenés un peu partout avec eux. On avait débuté en 93, et c’est comme ça qu’on a appris notre métier.

Puis, en 2008, c’est SKIP THE USE, qui démarre, d’après la légende, depuis sa fan base de Ronchin…
Bah, c’est juste qu’on habitait là, et que c’est là qu’on répétait, quoi (sourire).

J’avais compris. À partir de là, vous enregistrez trois albums sur une major, enflammez les scènes des principaux festivals de l’Hexagone, et remportez en 2013 une Victoire de la Musique… Ca fait quoi, de passer ainsi en quelques mois de la scène alternative au mainstream, avec l’exposition médiatique tous azimuts, la promo, les plateaux télé, la pub pour l’Euro de foot et tout le reste ?
Comment dire ? Moi, j’ai toujours été plutôt distant avec tout ça. Ce qui m’intéresse, ce sont les gens, et l’expérience qu’on peut avoir à leur rencontre. Alors c’est vrai que SKIP THE USE, ça a signifié tout ça, mais que ce soit dans un bar, en première partie de Johnny au Stade de France ou sur un plateau télé, ça reste une rencontre humaine, simple et sincère dans sa globalité. L’emballage ne change pas le contenu. Et surtout, SKIP THE USE, c’est un groupe dans lequel je me suis beaucoup investi. J’y écrivais les chansons, les paroles, j’y ai mis beaucoup de moi-même et on pouvait passer à l’échelon international. C’était un tel investissement que je n’ai jamais pris le temps de m’arrêter pour me dire “wow, c’est génial“. Dans ma tête, j’envisageais toujours l’étape suivante. Au lieu de me dire “super, on remplit le Zénith de Paris“, je me disais “faut qu’on parte tourner au Japon, faut qu’on aille jouer aux États-Unis“. Je trouvais super qu’il y ait de plus en plus de monde à nos concerts, mais je savais qu’on était encore en développement, et qu’on pouvait en faire dix fois plus.

Alors, justement, qu’est-ce qui s’est passé ? Moi, je suis un local, je croise plein de musiciens, et la rumeur c’est : “MAT BASTARD a pris le melon, il est parti faire carrière à Los Angeles et SKIP THE USE s’est arrêté“… Ta propre version, c’est quoi ?
(sourire) La vérité, c’est que Mat BASTARD est devenu producteur, et qu’il est parti travailler à Los Angeles, voilà. Je ne pense pas qu’aller bosser à Los Angeles soit forcément un signe extérieur de richesse…

Vu d’ici, en tout cas, ça sonne tout de suite plus glamour que Loos-en-Gohelle, malgré la proximité phonétique.
Je vais te dire, pour moi, cette analyse là, c’est toujours le fait de gens qui n’ont pas fait grand chose pour la région. Moi, je suis parti à Los Angeles avec des gens de Cambrai, de La Madeleine et de Lille, parce que je trouvais qu’ils avaient tellement de talent qu’ils méritaient d’aller là-bas pour bosser avec les plus grands. Alors dire que j’ai chopé la grosse tête… Je suis parti là-bas avec mes potes de Carving, ceux avec lesquels j’ai débuté dans les bars, on est tous allés là-bas. La voilà, la vérité, parce qu’aller à Los Angeles, ça représente beaucoup de travail, c’est pas une question de melon. J’ai bossé comme un porc, là-bas. J’ai quitté les élites et les plateaux de télé d’ici pour me retrouver enfermé là-bas dans des studios, avec des artistes pas forcément tous intéressants, afin d’y apprendre un nouveau métier. J’y suis reparti de zéro, parce que j’avais envie de tenter cette nouvelle expérience. Si j’avais effectivement chopé le melon, je serais resté ici, assis sur mon trône, à me faire offrir des plats dans les restaurants du Vieux-Lille, tu comprends ? Alors, c’est vrai, je suis parti un moment, et pour les gens qui sont restés ici, ça a du créer un vide. Mais c’est toujours plus facile de désigner un fautif que de se remettre en question, et de se demander ce qu’on aurait pu faire par soi-même.

Bien répondu, fin de la parenthèse…
Non, pas de souci à en parler, je suis content que tu m’aies posé cette question, parce que ça n’a pas été simple pour moi non plus, cette histoire. On a fait plus de 300 concerts avec ce groupe, je ne m’y suis pas économisé, je n’ai pas vu mes gosses ni ma famille. Alors, lire ce que j’ai lu ensuite, et entendre ce que j’ai entendu… J’ai des souvenirs, moi aussi, tu sais. Je me suis retrouvé à écrire “Ghosts” tout seul comme un con dans un studio à Paris. Je suis allé la mixer tout seul en Belgique, à me dire “cette chanson, elle va faire quelque chose“, alors que j’étais le seul à y croire. Et quand tu vois que c’est précisément ce qui est arrivé, et que ça entraîné un projet… Je n’en attendais pas qu’on m’encense, je ne suis pas dans ce registre-là, mais au moins qu’on respecte ça. Tandis qu’on me pourrissait ici, moi, à Los Angeles, j’écrivais le prochain album de SKIP THE USE, tu vois ? Avoir le melon, ç’aurait été de rester ici à me gargariser de blinder les salles partout en France. Au lieu de ça, là-bas, personne ne me connaissait, hein, faut pas croire. Mon objectif en y allant, c’était l’apprentissage, et j’en reviens heureux, et riche de cette expérience. Ma prochaine étape à présent, c’est de créer un pont entre tous ces producteurs et artistes de là-bas qu’on vénère ici, nous, les jeunes, et nos talents à nous. Un pont entre Los Angeles et Cambrai. Mon album a été réalisé moitié-moitié entre ces deux pôles, car on l’ignore encore trop, mais à Cambrai aussi, on a un putain de studio. Mon projet, à présent, ce serait de pouvoir y amener des Américains, car on a de chaque côté de l’Atlantique nos propres manières de travailler, nos propres avantages et nos propres inconvénients. C’est pas pour ça que s’est terminé SKIP THE USE. C’est juste qu’au bout de vingt ans (en comptant aussi Carving), les chansons, j’en ai écrit 80%, j’ai écrit tous les textes, je les défends sur scène, et il y a eu un moment où j’ai dit : “voilà, j’ai envie d’apprendre à être producteur, et je me prends deux ans pour ça“. Ca fait vingt ans que je donne tout à plein de projets, et je me suis juste dit “cette fois, j’ai envie de faire mon truc à moi, je repars de zéro, et je vais apprendre un nouveau métier”, c’est tout. Du côté du groupe, il y avait ce côté petit confort, où l’on n’avait plus envie d’aller se mettre en danger. Alors que pour moi, c’est tout l’inverse : j’adore les tournées au Japon, j’adore aller où on n’est pas connus, aller essayer de capter un nouveau public, rencontrer de nouvelles personnes, de nouvelles cultures, apprendre. J’ai pas la science infuse, j’ai pas la vérité : le peu de choses que je sais, je le dois à des échanges avec des gens.

OK, reçu. Même si ces dernières années t’ont consacré en tant que tel, tu ne te considères donc plus seulement comme un frontman et une bête de scène, mais également en tant que producteur, et tu viens même d’ajouter une nouvelle corde à ton arc, en composant quelques musiques de films. Notamment celle de Zombillenium”, où tu apparais aussi en tant qu’acteur ?
Ça aussi, c’est une toute nouvelle expérience. Si encore ç’avait été un petit rôle, j’aurais sans doute eu moins peur, mais c’était un des rôles principaux du film. Pour te dire, j’étais tellement peu sûr de moi qu’au départ, je ne voulais même pas être payé ! J’ai dit au réalisateur : “écoute, moi, je fais de la musique, hein. Je veux bien essayer de faire ton truc, là. Sur le papier, ça me fait marrer, mais je peux pas te garantir que ça va être bien“. Et au final, ça s’est plutôt bien passé, et maintenant, j’ai quasiment la moitié de mon agenda qui est consacrée au cinéma. Je vais prochainement tourner dans une série, puis un film ou deux. Mais je vais continuer à tourner aussi sur scène, parce que j’adore ça.

Pour conclure, es-tu conscient de ce que ton parcours représente pour les centaines de groupes amateurs qui grenouillent actuellement dans des caves, des garages et des MJC ? Un petit gars de ch’Nord peut-il encore faire son chemin dans une industrie musicale réputée à l’agonie sans vendre son âme ?
Avant tout, sache que je viens de fonder mon propre label. Je suis désormais en licence chez Universal. Faire un label, c’est compliqué, c’est une entreprise, un peu comme vous à ILLICO!. Moi, à la base, je suis auteur-compositeur-interprète, je suis pas chef d’entreprise.

Mais par les temps qui courent, il faut le devenir aussi, si tu veux survivre, non ?
Eh bien voilà. Pour répondre à ta question, j’en suis venu à cette conclusion en me demandant tout simplement : quelles sont les conditions pour arriver à faire exactement ce que je veux ? Si tu veux, c’est même pas une condition de major ou pas, c’est une question de publics. Tu me dis : “maintenant, tu n’es plus seulement qu’un frontman, tu es aussi un producteur“, mais j’ai jamais été qu’un frontman. J’ai écrit toutes les putains de chansons de Carving, 80% de celles de SKIP THE USE, et le reste, je les ai co-écrites avec un autre mec. Frontman, c’est la conclusion logique de tout ça, mais j’ai aussi composé pour Amandine Bourgeois sur Warner, par exemple, et j’ai aussi composé cette musique de film, j’ai travaillé pour Jenifer… Je ne suis pas simplement un mec qui fait le con sur scène, mais ici, on te met vite dans une case. Et j’en profite pour rebondir sur ta première question : pourquoi les États-Unis ? Eh bien parce qu’aux États-Unis, on m’a dit : “putain, tu composes dans plein de styles différents, ça, ça m’intéresse“. Et ça, ici, jamais on me l’a dit. On m’a dit : “t’es le chanteur de SKIP THE USE“, point. Donc potentiellement, tout ce que tu sais faire, c’est du rock, gueuler et te rouler par terre sur scène, tu vois ? Et c’est seulement à mon retour des États-Unis qu’ici, on est venus vers moi en disant : “ah bon ? Tu sais faire ça aussi ? Eh bien, tu ne voudrais pas essayer de collaborer avec nous ?“. Alors, toute cette dichotomie “major ou pas major, États-Unis ou pas“, tu sais… La vérité, c’est qu’à notre époque où la majorité des rapports que tu peux avoir via les réseaux sociaux ne sont guère empreints de sincérité, il faut davantage devenir acteur réel du vrai film qu’est ta propre vie. Le rock’n’roll, c’est basé sur la sincérité. Certes, il faut savoir y mettre ses couilles sur la table, ma si t’es pas sincère, ça va finir par se voir quand même. Si tu veux qu’on la voie, ta sincérité, en face, il faut un récepteur, et ça, c’est les gens, c’est le public.

Des groupes comme Shaka Ponk, SKIP THE USE, ou encore Orelsan, c’est pas les radios ou les maisons de disques qui les ont créés, c’est le public qui les a portés. Moi, avant de signer sur Univerasl avec les SKIP, un mec de chez eux, Jérome Laborit, m’a coursé pendant des mois. Je descendais de scène au Printemps de Bourges, où on avait foutu le feu, et il était là, à me proposer de signer. Et je lui ai dit : “non merci, moi, jamais je signerai sur une major, rien à foutre“. Et quand, des mois plus tard, je descends de scène à Solidays, et que je le revois là, il me dit : “mais moi, je suis prêt à te laisser totale liberté artistique”. On a craqué, on a signé, et il a tenu parole : ça fait dix ans maintenant que je suis chez Universal, et avec Jérome, on en rigole à présent. Mais ce jour là, on venait de jouer devant 40 000 personnes. Et si on a pu le faire, c’est parce qu’auparavant, on avait joué plus de 200 concerts devant 20 personnes dans des bars, tu comprends ? Alors si les jeunes d’aujourd’hui pensent pouvoir y arriver en participant à un jeu, ou en se mettant sur Facebook jusqu’à avoir 100 000 followers, ça reste du fake, la vérité, c’est les gens. Ce sont eux qui ont le pouvoir. Tu veux faire du rock ? Eh ben, monte un groupe, va dans les bars, organise des concerts sauvages, et joue, joue, joue.

J’ai joué récemment au Poulpahone à Boulogne-sur-Mer devant une salle pleine de jeunes. Tu sais, je sais comment ils vivent là-bas, puisque j’ai moi-même vécu un temps à Sainte-Cécile Plage, à côté. S’ils ne se motivent pas pour les actions culturelles de leur région, ça n’existera plus. Eh bien, le Poulpahone, ça fait cinq ans que ça existe, et c’est toujours complet. C’est ça, la réponse qu’il faut avoir : le pouvoir est dans le peuple, et c’est quelque chose en quoi je crois vraiment. Dans le dernier album d’Orelsan, il dit un truc très vrai : “si tu veux faire un film, achète un truc qui filme, et filme. Les contacts et le matériel, c’est pour les victimes”. Eh bien dans la musique, c’est pareil : tu veux faire de la musique ? Achète un truc qui fait de la musique, et joue, même si au départ c’est de la merde. Avec Carving, on a tourné, et pourtant, au début, on n’était pas forcément de bons musiciens, mais on avait un enthousiasme et on l’a toujours, et c’est ça que les gens ont soutenu.