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OXMO PUCCINO

par SCOLTI

Maison de maître dans le vieux-Lille
En retrait des regards
Des allures de manoir
En plein cœur de la ville.

Moulures, murs blancs,
Parquet ciré, cheminées,
Miroirs éclatants
Jardin, terrasse, décor posé

Classe. Écrin parfait pour Puccino
Présentation du tout nouvel album d’Oxmo
La Nuit Du Réveil, 6 Septembre 2019
Ça sonne old school, mais ça sonne neuf

Je rejoins le poète dans l’un des salons
Et je prends place sur un large fauteuil club en cuir marron.
Confortable. Sur la table basse, une bouteille de Chivas entamée.
Chapeau posé négligemment sur le crâne, Oxmo compte pas se pavaner
Il attend que je lance, détendu.
Il sait pas encore que j’ai préparé un paquet de rimes tendues
Qu’il va falloir qu’il soit attentif,
Et j’sais pas encore qu’il faudra que j’rebondisse

Et laisser parfois mes rimes de côté.

Ok Oxmo, on y va. Mon fils a seize ans, t’apparais pas dans ses saisons, disons qu’de toi c’qu’il connaît c’est juste cette part que j’ai donnée, alors pour lui et tous ses potes, et pour les autres tchios, parce qu’il faut pas qu’ils meurent idiots, dis leur qui t’es Oxmo
Je suis le poétiseur, celui qui leur parlera quand ils commenceront à avoir des problèmes dans la vie, parce que dans la vie il y a un temps pour tout. À propos, je fais des chansons qui parlent de thématiques, dans lesquelles on peut peut-être trouver des réponses, ou une vision d’un problème, ou même d’un état qu’on peut tous traverser, et c’est la proposition, une réponse à un état ou une situation, qu’on peut croiser dans la vie. Quelqu’un disait d’Aznavour qu’il avait une chanson pour chaque seconde de votre vie. On évolue, nos intérêts changent, les choses qui nous émeuvent changent, notre rapport avec la vie change, et tout ça est englobé dans cette phrase.

(le débit est posé, calme, peut-être trop étant donné le temps qu’on m’a accordé, mais faut que j’en sache plus). Concernant ton parcours, si tu devais te présenter à cette génération…
J’ai pas trop envie de parler de mon parcours parce que…

(j’le coupe) Comment tu te définirais ?
…. Tout le monde n’a pas le temps de voyager dans le temps. Je me définirais… Je peux pas me définir en fait, c’est une très bonne question.

Nous, on est de la même génération, mais eux ne te connaissent pas…
S’ils n’habitent pas dans le désert, ils connaissent quelqu’un qui a une idée de ce que je fais. (sourire, respiration) Je pars de ce principe là. Mais, comme je dis toujours, c’est une démarche bilatérale, et je me sens déjà assez aimé pour pas devoir convaincre d’autres du bienfait que je peux leur faire, si c’est possible. Après, on peut pas parler à tout le monde. (gorgée)

Ok, pour le reste y a la toile, on en f’ra des curieux ! Ils entendront « mixtapes », « K7 », et d’autres mots de vieux… (il sourit) Ouais le monde a bougé, Facebook, Insta, réseaux…Comment tu trouves ta place, et ta cage, dans ce zoo ?
Eh ben… merci pour les questions ! Très bien formulées !

(rires) Merci !
Alors… en étant moi-même, et à l’aise avec moi-même. C’est à dire que j’ai la chance d’essayer d’être dans la modération, sans être dans la restriction, ce qui fait que je suis un peu moins dépassé que les autres…

Toi et moi, on est de la génération stickers, pour la promo…
Oui

On est désormais dans l’ère de l’Insta et du Facebook…
Exactement, du don de soi-même, du don total de soi-même

C’est assez accaparant, parce que tu dois donner de toi…
Tellement… Tellement. Tellement. Moi, je donne un peu, avec spécialité. Le truc, c’est que j’ai eu mon premier forum en 2000, donc j’ai tout de suite été émerveillé par ce rapport que tu peux avoir en direct avec qui que ce soit sur terre, j’ai trouvé ça incroyable, et j’ai toujours rêvé des outils qu’on utilise aujourd’hui, mais j’aurais jamais imaginé qu’on puisse être débordé à ce point là

Ouais, donc y a quand même cette sensation de débordement…
Ouais, mais qui ne l’est pas ? (silence) Je pense que c’est la base même du smartphone que d’être débordé, parce que s’il faut répondre à tous les messages qu’on reçoit, qu’il faut s’attarder sur tout ce qu’on peut trouver d’intéressant, envoyer des messages, tout ce qu’on peut faire avec les applications pour la vie sociale normale, éviter les démarches, tout ça… On est tous débordés. Et c’est peut-être pour ça qu’aujourd’hui tout le monde est occupé. Einstein disait « le temps c’est le mouvement ». (il me regarde fixement, je me demande s’il me parle du chrono, du fait que je bouge pas, ou s’il vient récemment de lire Einstein) C’est vrai qu’aujourd’hui, quelque soit l’âge on est beaucoup plus occupé qu’avant, et c’est même dangereux parce que ça finit par empêcher les générations qui ne savent pas qu’il y a une alternative de rêver, de penser.

Dans l’rap tous les cinq ans, y a une nouvelle école. T’es devenu recteur, plus d’vingt ans qu’tu t’y colles. (il sourit) Comment tu sens la vague, auto-tune, trap et textes, toi qu’est un cas à part, entouré d’trompettistes ?
Je dis que c’est un espèce de raccourci vers la chanson totale. C’est à dire que, le rap est venu des états-unis, et chaque pays l’a intégré avec sa culture, et c’est comme ça qu’il s’est construit une identité. La culture profonde de la musique française vient de la chanson, de la variété, de la chanson à textes, et c’est comme ça que le rap français a réussi à subsister. Maintenant, le rap comme on l’a connu n’est plus, il s’est musicalisé, les textes ont été réduits, le propos est devenu beaucoup moins social, beaucoup plus divertissant, il s’est ouvert de manière indénombrable, ce qui fait qu’aujourd’hui, avec la musicalité, il s’est rapproché de son ancêtre : la chanson française. La forme a changé, parce qu’elle est tendance, mais le fond se rapproche… même la forme en fait se rapproche de ce qui se faisait avant. Je fais pas tellement de différence entre certains groupes de rap que j’écoutais, et Noir Désir par exemple.

Parlons instrus, c’trait parfois désastreux quand un abstrait s’y frotte, t’y mets la patte, l’inspi, ou tu laisses ça aux autres ?
Euh… disons que je n’ai pas envie de créer en rond, donc je laisse d’autres le faire, en mélangeant quelques une de mes propositions.

Ok, tu peux arriver et proposer d’ajouter une nappe, un violon, une basse ou autre ?
Ouais, et les laisser travailler dessus.

Mais on « t’apporte » des propositions au départ…
Nan, je les rencontre. Parce que…en fait… (il réfléchit) le moment que je cherche précisément… c’est une bonne question ça !… le moment que je cherche précisément c’est… dans les recherches, vers un but qu’on s’est fixé, qui n’a rien à voir avec ce qui nous est nécessaire ou ce qui nous est le plus utile, et dans ce parcours, tout à coup, on fait une erreur et on a créé quelque chose de nouveau, et c’est ce moment que je cherche.

Mais t’as un préalable, une idée préconçue en tête et tu fais la demande ? Ou t’apportes de la matière, tu dis « j’aimerais ça » ?
Nan, c’est une idée qui est n’importe quoi, qui s’appuie sur un fantasme, sur une vision que je vais exprimer, et à partir de là je cherche l’eau que je vais ajouter à mon moulin, et sur le chemin je me rend compte que je me trompe, et je reprends un autre chemin, toujours vers le même objectif, et c’est là qu’arrive l’accident heureux, qui nous donne raison dans notre intuition du début.

Sourire mélancolique, mêlant plaintes laconiques, espiègleries, gausseries douces, où tout s’pousse, rhétorique, tient la vie dans une main et dans l’autre la mort, est-ce qu’au fond tu s’rais pas Puccino Oxymore ?
(grand sourire) Ah c’est très bien écrit ! C’est très bien écrit…

(rires) Merci (on se détend)
Disons que… oui… on ne peut pas sourire sans avoir été triste et vice versa, hélas, la vie comme la mort ont besoin l’un de l’autre pour exister, et hélas c’est une chose à laquelle il faut essayer de s’habituer, parce que c’est l’ordre des choses, et que c’est un fait contre lequel on ne peut rien d’autre qu’être profondément triste, alors se trouver une raison, spirituelle ou autre, c’est mieux vivre ce court laps de temps qu’on passe ici, ensemble.

Tu racontes des histoires, c’est ta façon de peindre les comportements, les attitudes des gens, les p’tits défauts, les grands, t’es chroniqueur, conteur, tes rimes sont comme l’écume des traits de caractères, parle moi de tes plumes ?
Mes plumes…. Mes plumes, je ne fais que les tremper dans la vie…

(je le coupe) Tes différentes inspirations…
Ben justement je les trempe dans la vie, c’est à dire que j’écris… je m’inspire de n’importe quoi et de tout, je peux m’inspirer d’un grillage… qui donne sur… sur des rails, pour commencer à parler d’évasion et de voyage, je peux m’inspirer d’un peintre, de la force avec laquelle il m’a frappé avec la manière dont il peut peindre un clair-obscur

Oxymore encore…
Exactement, c’est pour ça que je parle de ça, parce que le clair-obscur, par exemple, ça m’a foudroyé…tellement… c’est quelque chose qui a été créé à la Renaissance… je crois que c’est à la Renaissance… ouais c’est ça (pas tout à fait en fait, créé pendant l’Antiquité, oublié pendant le Moyen-âge, avant de renaître avec… la Renaissance, note de moi-même) et on en parle encore aujourd’hui, y a des cinéastes qui font des carrières là-dessus. Je m’inspire de tout ce qui me frappe puissamment, pour le traduire.

T’as pas d’auteurs référence, de noms qui te reviennent régulièrement à l’esprit, des gens qui t’inspirent ?
Picasso.

Plutôt dans la peinture alors ?
Picasso, Le Caravage, Rembrandt.

Ça rejoint ce que je disais sur ta façon de « peindre les comportements » ?
Je ne pense qu’à la peinture. Ça reste quelque chose de manuscrit, qui a des couleurs comme l’écriture, qui est à plat, qui est éternel.

Je m’interrogeais par rapport à la littérature…
La littérature ? Tellement… tellement, tellement… parce que je lis de tout, je suis passionné, je suis passionné des gens, de lecture, pas forcément de littérature. Et donc, je peux même lire des modes d’emploi. Je me rappelle, j’étais parti chez ma grand-mère au Mali, paix à son âme, et je n’avais pas vraiment compris que c’était un voyage, je suis parti presque du jour au lendemain, et je suis parti sans livre. J’avais juste un magazine, et j’avais tellement rien à lire à la fin du voyage que je lisais les tranches et les crédits du magazine.

J’vois…
Rien que pour lire quelque chose (rires)

J’connais le délire…
Donc, je lis des livres… des livres de psychologie, des essais, des histoires, des romans, des nouvelles, toute sorte de lectures…ce qui fait que mes modèles n’ont quelque fois rien à voir avec la qualité, ou le style ou la tournure, mais plutôt avec ce qu’ils expriment

C’était en opposition avec un truc que j’ai lu, le « Black Jacques Brel », avec lequel j’suis pas d’accord, comme j’comprends pas du tout le délire de la comparaison, j’vois pas l’intérêt ?
C’est juste un fantasme

Et il y avait aussi cette idée de peinture de la société que tu fais, qui nous mènerait à Balzac, comme ça a été fait pour Despentes, qui serait aussi la nouvelle Bukowski et tout le bordel inutile des comparaisons interminables ?
(rires)

J’préfère de loin ta réponse générale au fait que tu me cites des noms en fait. J’poursuis parce que le temps est compté : Y a les mots-sourire, parfois les mots-souffrance, la voix qui frôle le rire, le ton qu’est parfois rance, mais jamais la colère, ni la résignation, dis moi ce qui provoque chez toi l’indignation ?
Euh… c’est une très bonne question…

T’es pas en colère…globalement, dans ce que j’connais de toi ?
Nan…nan…j’ai géré ça, j’ai géré ça. J’essaye toujours de m’adapter à ce monde et, hélas, je pense avoir un rapport concret avec ce monde, assez informé pour me rendre compte qu’il faut apprécier la positivité , même si ça a l’air naïf.

Donc c’est un prisme ?
Comment ?

C’est un prisme, de regarder la vie en essayant d’effacer la colère ?
C’est une question de survie (Marc, le manager, entre dans la pièce) et surtout, c’est tout l’inverse de la nourriture utile qu’est l’amour…

J’ai combien de temps ? (deux doigts m’indiquent « deux minutes »)
… qui devrait nous réunir plutôt que la colère

J’ai deux minutes. Du coup je vais passer des questions… pas le choix. (j’hésite, il me scrute avec un large sourire) ! Dans la continuité, je vais quand même garder ça… Dans ton parcours, on croise Alice aussi (j’avais mis « aussi » parce que je voulais parler de « Lipopette Bar » avant mais tant pis), autre démonstration d’un album story. tu comptes encore jouer aux contes ?
Bien sûr. J’suis en train de chercher le prochain.

T’es attendu au tournant, pour le verbe, pour la verve, parce que tu as ta langue, y en a même qu’ça énerve, est-ce que l’album confirme qu’il y a d’une part Oxmo et son travail de rimes, et d’autre part les aut’ mots de tous les autres qui triment ?
Je pense que c’est un album dont on va parler, parce que ça fait longtemps que j’ai pas retravaillé un album à ce point-là, donc y aura tout ça, j’espère en mieux

Dis moi la vérité, est-ce que tu accapares la place du mec à part ?
(rires) ça me fait penser à cette phrase dont je suis fier parce que j’ai bien mis deux-trois semaines à la trouver et c’est…. comment ça commence…. (il baragouine), attends j’vais te trouver les paroles…

Ouais j’ai plus que deux minutes et il me reste une question sur l’album qui arrive !
D’accord, d’accord…

(il m’écoute déjà plus, s’en bat les reins, et fouille dans son portable, ça me fait marrer)…
Voilà.. euh… j’vais trouver… c’est juste que j’ai un trou… (pouce agile sur téléphone)

T’embêtes pas !
Si si c’est cool !… “épistolaire”… voilà c’est ça… donc ta question c’était quoi ?

(rires) Est-ce que tu accapares la place du mec à part ?
Ah ben voilà, ça déchire ! (il me lit en exclu des punchlines du texte « Flèche Épistolaire »). Ce que tu m’as écrit, ta question, je l’ai écrite, et je l’ai retournée pour en faire quelque chose de… voilà, t’as tout compris quoi !

La nuit du réveil, j’avais donc bien raison, on est dans l’oxymore, v’là la nouvelle saison. Quel temps sur le sillon ? Quels gens à l’horizon ?
Il fait beau sur le sillon. Et à l’horizon forcément il y a de la lumière, parce que c’est le but de « La nuit du réveil », c’est qu’on se réveille par la vérité et forcément ce jour-là il fait un peu sombre, mais le chemin mène vers la lumière

Et les gens qui vont apparaître dans l’album ?
Orelsan, Gaël Faye, Caballero et JeanJass, Brodinski, et Eric Truffaz.

Un petit commentaire sur chacun d’entre eux ?
Eric Truffaz a fait un solo qui marquera les esprits, que je remets en boucle, comme si ce n’était pas un de mes morceaux. Brodinski apporte une autre couleur inattendue qui a permis de dévoiler une autre facette de moi que j’utilise que dans certains morceaux en featuring, Gaël Faye, surprenant, Orelsan égal à lui-même et Caballero et JeanJass bellement légers.

Merci Oxmo
Un plaisir ! Plai-sir !