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photo © Djavanshir.N

GARY LUCAS & YASS BODY

Par aSk

Pour une collaboration improbable, c’en est une. Le guitariste GARY LUCAS a un CV qui aurait pu en effrayer plus d’un.e (Jeff Buckley, Captain Beefheart, Lou Reed…). Mais il en faut davantage pour le téméraire YASS BODY.

Décembre 2019, Lille. Rencontre dans un hôtel. L’énergique YASS BODY nous accueille, rejoint par le dandy Gary Lucas. Un duo évident, généreux, disponible, et touchant. Échange fleuve, captation et showcase surprise dans le hall pour un moment unique, quasi inespéré, pour toute personne ayant usé son exemplaire de Grace à la fin du siècle dernier… Ces deux-là sont touchés par la grâce, à n’en point douter. Tandis que sort enfin leur premier Ep, le galvanisant Here Is The Ocean (My Funky Friend/Noa Music), retour sur cette incroyable histoire avec YASS BODY.

Comment as-tu rencontré GARY LUCAS, est-ce le fruit du hasard ou avais-tu déjà l’envie de travailler avec lui en particulier ? Comment s’est amorcé ce projet ?
Je suis allé rencontrer GARY LUCAS à une soirée tribute à Jeff Buckley à New York, à Arlene’s Grocery à Manhattan, où il était invité d’honneur. J’avais très envie de travailler avec lui, ça a été le moteur de ce beau voyage. En fait ça s’est amorcé avant mon départ, sans que je le sache ! J’avais envoyé une reprise de «Mojo Pin» de Jeff Buckley & Gary Lucas à l’orga, il l’a fait écouter à Gary et celui-ci a carrément proposé qu’on l’interprète ensemble, s’il pouvait se libérer pour la date, c’était très mystérieux. Il est finalement venu. Il attendait dans un coin sombre du bar, m’a fait venir, et m’a demandé de répéter le morceau avec lui immédiatement. Nous avons joué quatre secondes, et il m’a dit « see you on stage tonight ». Je me suis alors retrouvé à jouer avec Gary devant un public américain qui était à la fois très impressionné et amusé de voir un Lillois arrivé de nulle part et chanter devant eux. Il y a une vidéo de ce moment, j’ai beaucoup de chance ! À partir de là, il m’a contacté par téléphone, et laissé un instrumental sur mon répondeur (on retrouve ce fameux message dans la version cd ainsi que d’autres interludes, mais pas sur Spotify), comme Captain Beefheart, et proposé d’écrire quelque chose. À partir de là, une espèce de correspondance épistolaire en musique s’est établie entre nous, je lui renvoyais des prises voix, il me renvoyait des guitares, c’était comme un jeu. À un moment, on a eu suffisamment de morceaux pour que je leur trouve un ordre, une cohérence, et qu’on fasse un set. Il faut savoir aussi que je l’ai suivi à travers le monde pour jouer avec lui à partir de là, et j’ai chanté dans les hommages à Jeff Buckley et Captain Beefheart (ses collaborations les plus connues). Je voulais retrouver cette sensation de groupe qui m’avait beaucoup plu, poser des questions sur le rock, comprendre. C’était une période de ma musique où j’adorais être là où on ne m’attendait pas. Il y a eu l’enregistrement à Forges-les-Eaux, qui passe par la rencontre avec David Konopnicki du label normand Noa Music et leur équipe. David qui avait déjà travaillé avec Gary a bien senti le projet et a prolongé mon investissement personnel dans le projet par un apport de moyens incroyables, de la patience, un cadre intelligent. J’ai pu structurer mes apports au projet, fonder un label (My Funky Friend) et nous avons organisé une coproduction sur-mesure pour ce projet atypique sur bien des points. On parlait de ses histoires de vie, avec Jeff Buckley, de Captain Beefheart, Lou Reed, Iggy Pop, et je renvoyais des lignes de voix et des idées d’arrangement, et ainsi de suite.

La référence à Jeff Buckley est assez évidente. Pourquoi ce choix esthétique et vocal (et au vu de ce que tu fais/as fait par ailleurs), cette direction-là était-elle finalement la plus naturelle pour toi en tant qu’interprète, ou considères-tu ce projet comme un exercice de style ?
Gary a un style très marqué, Jeff Buckley en a bénéficié plus que quiconque. Non, ce n’est pas un exercice de style. Plutôt un exercice de vie, comme celui de plein de copains du DIY. Partir tourner, rencontrer, enregistrer. Je me suis incarné dans un projet comme je l’ai senti. Je me suis juste donné avec ce que j’avais, je n’avais pas les moyens de trop réfléchir, c’est beaucoup de préparation en amont et de feeling sur le moment. De plus, le style de GARY LUCAS est imprimé dans celui de Buckley, il en a amplifié le relief, normal que ça se retrouve ici. Certains instrumentaux de l’EP datent de l’époque de leur duo, l’histoire est brumeuse, il a sans doute travaillé sur ces sons avant moi. Et pour Gary, en terme de duo, je passe après Jeff qui l’a fait connaître, donc il y a un peu ce background, étrange. C’est aussi le fil conducteur de notre rencontre, un personnage que j’ai été amené à mieux comprendre.

Sur ton parcours perso : où en es-tu sur tes différents projets et autres collaborations ? 
Mon background : j’ai démarré à la guitare par un groupe de funk hardcore appelé Wes Waltz avec Clém de Jodie Faster (dont on parle d’ailleurs aussi aux US) et Nico de DeQuoi. J’ai tout appris là-bas. Il y a eu Psykokondriak que les Nordistes connaissent bien, puis Meurville (punk hardcore/post punk) et enfin mon projet actuel, YASS BODY, pour lequel je prépare le premier album, Equality City (ensemble funk avec Jack Worrall et Roch Deroubaix à la batterie, Guillaume Naeye de Meurville et Gérald Yalo de Sunset Motel Vacancy, Miyako Masako qui vient du Japon à la clarinette et d’autres amis). Car mon truc dans la vie en réalité, c’est la funk. La suite du projet sera de sortir 99 funk songs sous le blase YASS BODY, avec ce collectif de musicien.ne.s, pour danser un peu après cette première vague de musique douce:) Sinon, je me forme au sound design pour le jeu vidéo dans une formation au top, basée à Montpellier (SLOPE). Grâce à eux, je me suis lancé dans le bruitage pour le jeu vidéo et le cinéma, le projet s’appelle : « le_bruit_qui_court » sur insta.

photo © Djavanshir.N

As-tu écrit l’ensemble des textes de cet Ep ? As-tu aussi composé ? (pas de guitare pour toi ici en fait, ni en studio ni en live ?) 
Oui, j’ai écrit l’ensemble des textes de cet Ep et conçu son arrangement. Gary a composé toutes les guitares. Non pas de guitare pour moi (pour le moment en tout cas), c’est trop plaisant de chanter sur ce que GARY LUCAS fait. Je profite du jeu du maestro !

Qu’abordes-tu dans ces textes, quelle était la ligne directrice, le « cahier des charges » s’il y en avait un ? Est-ce que Gary a participé aussi aux textes, t’a-t-il guidé à certains moments ?
Pour le fond. Le cahier des charges : j’aime bien cette idée empruntée au vocabulaire entrepreneurial. En rock, je parlerais plutôt de la « charge du cahier ». C’est le poids du sac, le poids de la route, le prix de cette vie qui offre beaucoup à raconter en échange de tant de kilomètres et de sueur. C’est ça qui me fait écrire. Gary a écrit une piste cachée sur le disque. J’ai écrit tout le reste. La seule contrainte, c’était qu’il comprenne tout ce que je chante, c’était l’objectif. Il est atteint, je suis satisfait ! Pour la forme. Les textes sont des poèmes, à ce moment-là, je lisais beaucoup Byron, Bertolt Brecht, Oscar Wilde, je regardais des films de Tod Browning. J’ai voulu chroniquer ma vie du moment, donner mon avis sur certaines choses, mettre un peu de fantastique sur des thèmes un peu trop terre-à-terre. Je me suis amusé à mélodiser des rimes, en imprimant un peu de fantaisie dedans, rigoler un peu à la Lou Reed, développer des images blues étranges à la Robert Plant ou John Lee Hooker. Je voyage beaucoup, alors le blues, c’est un peu mon jus de fruit quand je marche longtemps. Je me suis contraint à un exercice de style sur un morceau, «Aladdin Jimi» : je voulais écrire un conte des Mille Et Une Nuits qui tenait dans une chanson, ça m’a pris deux ans pour en voir le bout. En studio, Gary m’a aidé par ses conseils, il est plein de fulgurances quand il travaille et a une oreille incroyable. Il m’a guidé aussi sur la façon d’aborder les prises. « Qu’est-ce que tu penses que Jeff aurait fait ? » est un truc qui revenait. Lou Reed, Don Van Vliet, Jim Morrison, tout ça a été sur le temps de l’enregistrement hyper présent, comme si tout le rock était redevenu contemporain d’un coup dans une même pièce. C’était incroyable en sensations, j’ai voulu mettre ça dans le disque. Ça aurait pu me mettre la pression, ça m’a stimulé, c’est tellement invraisemblable comme question ; mais en même temps, je passe après lui, je dois respecter ça en terme d’exigence, car c’est important pour Gary et pour moi, c’est le défi. Je pense que j’ai réussi à ne pas me faire écrabouiller par ce bouillon d’ectoplasmes.

Quel était ce « rêve étrange » (évoqué dans le dossier de presse – ndlr) qu’il fallait absolument relater à Gary… ?
J’ai rêvé de lui et Jeff Buckley une nuit. Dans ce rêve, j’étais à New York, je me baladais sur une avenue et il y avait cette vitrine pleine de téléviseurs dans lesquels passait en boucle un clip live où ils jouaient leur morceau «Mojo Pin». J’ai enregistré une reprise quelques jours après, et la suite… Vous la connaissez, non ?

Hormis «Mojo Pin» interprété lors de cette fameuse soirée à New-York, j’imagine que vous avez joué d’autres titres de Jeff Buckley sur scène, en tout cas que cette piste a été évoquée. N’était-ce pas tentant en effet de vous « contenter » de faire une sorte de tribute à Jeff Buckley ?
Oui, au début, il voulait qu’on joue Grace et son répertoire avec Jeff partout. Dans un premier temps, c’était super comme expérience de les chanter avec le compositeur original, puis après un moment, notamment un jour particulier en Angleterre, la créativité s’est déliée et on s’est livrés tels qu’on était, en assumant nos background respectifs, en allant au-delà. Mais non, je ne me voyais pas faire tout ça juste pour faire un tribute, ce n’est pas mon style !

Quelles sont les perspectives avec Gary, visez-vous un LP ensuite? Pourra-t-on vous retrouver sur scène prochainement ?
Si le retour des programmateurs est aussi enthousiaste que celui des chroniqueurs du disque et de ceux qui l’écoutent, à n’en pas douter ! Je ne peux encore rien annoncer, mais oui, on pourra nous retrouver sur scène prochainement en Europe. En France, peut-être aux États-Unis. Il y a de belles choses en discussion, on va voir. Quelle belle aventure en tout cas, voyons où ça mènera.

L’idée est de rester en duo ou prévoyez-vous de vous entourer d’autres musiciens.nes à long terme et/ou pour des événements en particulier ?
Des choses se préparent, en effet !

Quelles sont les perspectives avec Gary, visez-vous un LP ensuite ? Pourra-t-on vous retrouver sur scène prochainement ?
Si le retour des programmateurs est aussi enthousiaste que celui des chroniqueurs du disque et de ceux qui l’écoutent, à n’en pas douter ! Je ne peux encore rien annoncer, mais oui, on pourra nous retrouver sur scène prochainement en Europe. En France, peut-être aux Etats Unis. Il y a de belles choses en discussion, on va voir. Quelle belle aventure en tout cas, voyons où ça mènera.