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PHILIPPE PASCAL

Par aSk

Philippe Pascal s’en est allé le jeudi 12 septembre 2019, à l’âge de 63 ans. Figure leadership évidente et véritable paradoxe ambulant, il serait pourtant injuste de ne le résumer qu’à l’image véhiculée via MARQUIS DE SADE, le groupe qui l’a fait connaître à la fin des années 1970. Car outre la flamboyance post-punk, l’éternel jeune homme moderne a connu également quelques passages à vide et autres pas de côté, entretenant un succès certes confidentiel, quoique déjà culte.

Les 40 ans de MARQUIS DE SADE avaient été dignement fêtés, à l’initiative du plasticien rennais Patrice Poch, qui coordonna une expo-anniversaire en hommage au groupe, avec bouquin en prime (Marquis de Sade, 1977-2017). Contre toute attente, le 16 septembre 2017, MARQUIS DE SADE remontait sur scène au Liberté à Rennes pour un concert événement, inespéré, complet, presque en huis clos (dans une salle de 3000 places tout de même) et qui ne devait être qu’un coup d’un soir. Dominique A, Miossec, Obispo, Daho, Yann Tiersen, Bertrand Belin – entre autres- étaient dans la salle ce soir-là. Mais la machine (à remonter le temps) était relancée. Et d’enchaîner avec d’autres dates en 2018. Enfin, ce live donné au Petit Bain à Paris en février 2019, et ce troisième album chuchoté et qu’on espérait pour cette année…

Sans doute dépassé par cette remise en selle, Philippe Pascal se disait fatigué de tout ça, à la fois ravi mais prêt, au fond, à jeter l’éponge, sans remords. Il faut dire, le groupe n’avait pas splitté sans heurts, trop de divergences quant à la ligne éditoriale, trop d’ego et de leader ex-aequo. MARQUIS DE SADE fut une comète, mais quelle comète. Peut-être eût-il mieux valu laisser celle-ci filer définitivement, plutôt que de ressasser le spectre d’une jeunesse insolente qui brûla ses vaisseaux en deux opus sous forme de diptyque aussi cinglant qu’élégant (Dantzig Twist en 1979 et Rue de Siam en 1981). Paresseusement étiqueté « cold » et souvent vanté comme l’équivalent martial de Joy Division (mais qui penche tout autant du côté des mélodies prog de Magazine), leur son sec et tendu est à entendre comme un savant cocktail pop-funk, polyrythmique, finalement plus luxuriant qu’aride, et plus débridé que frigide. Telle la synthèse hexagonale parfaite de Television, et écho étrange au combo hollandais Mecano (pas celui de «Hijo De La Luna», non, celui emmené par Dick Polak) – cf. le titre «Rythmiques». A cela s’ajoutent les écrits (et les cris) organiques (hypocondriaques ?) de Philippe Pascal, entre réseau de nerfs à vif et écorché en perpétuelle auscultation. Les vocables anglais, français et allemand s’entrechoquent au détour de références-carburant (en vrac, le cinéma expressionniste, Arnold Schönberg, Egon Schiele), révérence brûlante à l’effervescence artistique de l’entre-deux guerres. Le mythe était en marche. Pour sûr qu’une longévité prévisible n’aurait pas eu le même impact.

Loin de l’hideux Sade ou telle une glissade-pichenette, Philippe Pascal (ou son inconscient) n’en conserve que l’incipit : le Marquis élagué en Marc, et c’est MARC SEBERG qui surgit, sans particule aucune. Une aventure qui prolonge et entretient lyrisme, androgynie corbeau et appétence pour la poésie classique. Le tout sur fond de productions so 80’s, pour un son loin d’être dénué de charme, mais non sans exacerber par moments une certaine grandiloquence tenace. Heureusement que les moments en live sont là pour rappeler la sueur et l’autodérision sous-jacente (cf. leur cover non innocente de « Public image » de P.I.L.)… Ce groupe-avatar sort tout de même quatre albums studio en dix ans d’existence. Un parcours honnête qui a su fédérer, à la sauvette, un parterre de fervents admirateurs de la première heure. Puis c’est PHILIPPE PASCALE qui émerge dans les années 1990, duo discret formé avec sa compagne d’alors (ex-Complot Bronswick et déjà pilier de MARC SEBERG à partir du second album Le Chant Des Terres), la multi-instrumentiste et productrice Pascale Le Berre (qui remixa en 2017 les albums de MARC SEBERG et cet unique opus de PHILIPPE PASCALE).

Photo Faux Catherine /SIPA

Faux branché, trop élitiste pour être foncièrement pop et n’étant assurément pas le genre à aller se fourvoyer dans les trucs hype, Philippe Pascal avait toujours pris soin de se renouveler et d’étayer son propos à contre-pied des promos traditionnelles (cf. son passage dans l’émission de Philippe Meyer, dédiée à la musique classique). Ancien instit (il plaqua très vite le confort de sa future vie de fonctionnaire mais n’en demeura pas prolo pour autant), il aimait à privilégier – comme il le disait- la Province à la jungle parisienne (bien qu’il gardât toujours un œil sur ce qu’il s’y passait), et se définissait comme un Européen né en Algérie et échoué en Bretagne (malouin avant d’être rennais) « par la force des choses ». De ce fatum, Philippe Pascal en tira tout le suc, à travers une hyperactivité ascétique (cf. son recueil Lignes De Fuite, qui rassemble ses écrits de 1978 à 1990, dont principalement des textes de chansons ; soit une sorte de Parole de la nuit sauvage – Lou Reed- avant l’heure…). Bref, la grâce cosmopolite plutôt que le strass étriqué des années 80.

Car il y a eu cette étape initiatique au Maroc (dans les 90’s, après le split de MARC SEBERG), vers ce Maghreb originel, et qui inspira le duo amoureux Philippe & Pascale. Reflet à peine narcissique (cf. leur troublante ressemblance capillaire), où s’épanouit la plume délicate et diablement efficace de l’un (où surgit la langue espagnole) et les arrangements subtils et complémentaires de l’autre (le phrasé de Pascale Le Berre qui rappelle celui de Malka Spigel…). Une invitation au voyage certes, mais non déconnectée des affres de cette fin de siècle : leur premier concert fut donné à Casablanca au profit de l’Association de lutte contre le SIDA (l’ALCS, association marocaine créée en 1988 par Hakima Himmich, et première du genre en Afrique du Nord). Enfin, cette nouvelle aventure sous le nom de THE BLUE TRAIN CHOIR qui a pu en dérouter certains. Pourtant c’est l’évidence même, Philippe Pascal était un réel bluesman au fond – le delta du Mississippi avait toujours fait partie de sa géographie intime. Sorte de Jeffrey Lee Pierce en veille et enfin révélé. Voilà pour l’épilogue. Du moins c’est ce qu’on pensait.

Le voici donc de nouveau projeté sur le devant de la scène en 2017, toujours aussi svelte et fringant, bien qu’amaigri et le visage marqué (de sad…ness ?), véritable masque où se lisait à la fois une infinie lassitude et cette même fièvre passionnée. Cet homme avait vécu, cela se sentait, il avait fait le tour de la question et n’espérait pas grand-chose de cette « reformation », terme qu’il abhorrait tant. Soulignons que malgré son charisme XXL, il avait la délicatesse de toujours mettre en avant ses camarades de jeu, dont le pragmatique Frank Darcel, qui, à l’inverse des velléités faussement éthérées de son compère, s’était empressé de succomber au mirage de gloire promis par les années 80, en misant d’abord sur Daho, puis plus tard sur Obispo. Mais à chacun son parcours, et quoi qu’on en dise, ce sont aussi ces contrastes-là qui ont contribué à l’alchimie feu follet de MARQUIS DE SADE. Pour l’anecdote, en 1979, The Cure (alors inconnus à l’époque), avaient ouvert le bal pour eux au Théâtre de l’Empire (quand celui-ci existait encore)… Quel autre groupe français peut se targuer d’une telle première partie franchement !

Alors oui, souvenons-nous encore longtemps de la beauté anachronique de Philippe Pascal, sans le côté papier glacé (et sans aucun doute plus proche de cette autre tête brûlée, Daniel Darc). N’oublions pas sa gestuelle syncopée (hello Ian Curtis) ni son incarnation scénique à bout portant, énergie punk sans l’attirail grotesque, époux épouvantail, ses longs bras qui semblaient chasser on ne sait quel tourment de papier… On l’aurait mieux imaginé entouré de l’écurie Crammed Discs par exemple, à partager les tournées de Tuxedomoon ou de Minimal Compact, autres apatrides du show-business. Enfin, profitons-en pour mentionner la chaîne Youtube de « Marquis Seberg », qui nous gratifie depuis plusieurs années déjà de bien belles archives.

La Brune & Moi (Marquis De Sade)
Voilà ce qu’on avait envie de dire à propos de Philippe Pascal, ce beau brun (et moi). Private joke qui ne sert qu’à introduire notre bonus. Nous nous faisons en effet le devoir de vous signaler l’apparition de MARQUIS DE SADE dans un film, et pas n’importe lequel. Signé Philippe Puicouyoul, La Brune & Moi (1979) est un ovni filmique, sorte de docu-clip-fiction d’anthologie au sous-titre prometteur (« Le film témoin des eighties punk new-wave »). Tourné en quinze jours et réalisé avec deux-francs-six-sous, on ne saurait trop vous conseiller d’aller jeter un œil et une oreille sur cette pépite introuvable-désormais-trouvable (merci les éditions « Le Chat qui fume »). On y retrouve donc MARQUIS DE SADE en « live », mais aussi Edith Nylon et les Dogs pour les plus notoires, ainsi que les Lou’s (renommées ici Les Questions), Astroflash, Go-go Pigalles et les Privés – le groupe qui accompagne Anouschka, « l’héroïne » du film. On y entend également Ici Paris (première mouture) et Artefact – dans lequel joua l’écrivain Maurice G. Dantec – (au début), The Party (au milieu) et Taxi Girl (à la fin).

Outre son argument musical, ce moyen-métrage (55 minutes) se fait le reflet sociologique de cette toute fin des années 70 : le générique introduit une bande de jeunes (celle des Halles en l’occurrence) et donne le ton. Casting sauvage d’une caste post-punk issue de la petite bourgeoisie et estampillée dans la foulée « Jeunes Gens Modernes » (cf. la fameuse couv du n°4 d’Actuel). Le tout illustré d’un collage de clips, sorte d’auto-promo de sa propre chapelle (qui sera synthé, et qui ne le sera pas), comme pour mieux noyer le poisson sur le devenir rock et pop en France (qui fera carrière, et qui tombera aux oubliettes). Libre à nous de n’y voir qu’une toile de fond forcément partielle (Paname vs Province) où se presse une jeunesse dorée en soif d’images et de décadence que l’on regarde avec tendresse osciller entre phénomène collectif « underground » et gloire individuelle à tout prix, attirée malgré elle par les premiers effets d’un super marketing en marche (welcome les années fric)…

Clin d’œil à La Blonde Et Moi de Frank Tashlin pour le titre et le pitch (un homme s’autoproclame pygmalion d’une jeune femme, résolu à faire d’elle une star de la chanson, et ce malgré son absence flagrante de talent – avec ici l’apparition de Julie London, Little Richard, The Platters, Fats Domino, Gene Vincent ou encore Eddie Cochran, excusez du peu), la fiction pêche vraiment, les acteurs y sont franchement mauvais (ou plutôt ne cherchent pas à être bons), et là-dessus ni la B.O. ni les tentatives formelles de cadrages excentriques ne sauvent la mise. La lumière est ratée, la photo remplit tout juste son rôle de polaroïd de l’époque, le son est pourri et la direction d’acteur y est quasi inexistante (ah, Pierre-Jean Cayatte – bassiste dans Gazoline puis dans Asphalt Jungle- tripotant timidement Anouschka…). On hésite entre un Rohmer sous acide et un film X tronqué (mais n’est-ce pas l’impression donnée par la plupart des films de Rohmer… ?). Pourtant, un « vrai » acteur (et lui-même réalisateur) figure au casting, Pierre Clémenti (Le Guépard, Belle De Jour…), mais qui ici ne brille pas vraiment par son talent dans le rôle de l’homme d’affaires libidineux en quête d’une punkette-objet sexuel (effets d’un post-féminisme « à la française » ?)…

On appréciera toutefois l’effort de mixité côté groupes (même si tant d’autres nanas auraient pu apparaître également) : Edith Nylon, emmenés par Mylène Khaski (devenue par la suite femme d’affaires en aéronautique à Singapour), Les Lou’s (elles avaient joué en première partie de P.I.L.) et Ici Paris (injustement méconnus et réhabilités par les valeureux Didier Wampas et David Vallet). Quant aux Privés featuring Anouschka, silence radio. Cette dernière aurait été portée disparue, dit-on, lors de la première du film (titre du dernier bouquin en date de Patrick Eudeline : Anouschka 79)… Notons la reformation récente d’Edith Nylon suite à la réédition de leurs albums (avec live au Petit Bain en début d’année et annonce d’un nouvel album, eh oui, eux aussi), et Ici Paris qui poursuit l’aventure avec la fille d’Anicée Alvina au micro.

En clair, La Brune & Moi est un document aussi émouvant que kitsch à souhait, aussi culte et (in)dispensable que le film de Bruno Nuytten sorti en 1992, Albert Souffre (avec sa B.O. 100% Pixies).

Et en guise de bonus bis, notre ami SCIEUR Z (son dernier album Virtuellement Vautre chroniqué dans nos pages – cf. ILLICO!#31, p.47), en fan inconditionnel, nous relate ici quelques réminiscences de live ainsi que sa rencontre – hélas- manquée avec Philippe Pascal, le tout agrémenté d’archives ô combien précieuses :

Conrad Veidt ne dansera plus…

(Marquis de Sade, Marc Seberg : « marque-coeurs » indélébiles…)

« Si le film est muet, tout se lit dans les gestes… » Notre « Brel du rock » s’est éteint brutalement (la veille d’un Vendredi 13…). Disparu Philippe Pascal, le charisme incarné ? Rien à faire, je ne peux me faire à cette idée…

Écoutes avant sortie

Premier 45T. («Henry/Air Tight Cell»), reçu avant sortie (1979) par mon chroniqueur de frère, et que j’écoute en boucle. Véritable choc esthétique et émotionnel, dont j’ignorais alors la trace indélébile que ce groupe laisserait dans ma vie d’auteur-compositeur-interprète…

En effet, quelques mois plus tard (et toujours avant sortie), mon frère recevait Dantzig Twist. La pastille centrale blanche immaculée (n’indiquant sobrement que face A/face B, inscrits au marqueur), rivalisait bien vite avec le Stalingrad (1978) tant vénéré, du groupe anglais expatrié en France BACHDENKEL, qui diffusait alors un progressif alternatif, cependant tout autant post-punk dans l’âme que MARQUIS DE SADE. Ce groupe prog atypique, qui n’avait lui aussi sorti que deux albums, aux deux dates charnières de l’histoire du Rock (1968 puis 1978). Précurseur qui avait déjà inventé le crowdfunding avant l’heure avec leur label participatif IRC, et dont j’arborais non sans fierté le lot de badges généreusement envoyé par leur manager parolier Karel Beer. Rares étaient ceux au lycée alors capables de déchiffrer celui qui affichait « Stalingrad » en caractères cyrilliques, et dont j’improvisais quelque prononciation imaginaire au doux nom de « Shtakignetpeupeutt !! »…

Une lettre de Thierry Haupais destinée à mon frère et l’accréditation tapée à la machine accompagnaient ce déchirant Dantzig Twist (1979), reliques que j’ai jalousement préservées jusqu’à ce jour…

Un an et quelques mois plus tard, nouvelle claque lorsque je découvrais la maquette de ce qui allait devenir Rue De Siam dans la voiture de mon frère, quand celui-ci partait travailler à l’Aisne Nouvelle et qu’il me déposait devant la porte du Lycée H.M. de St-Quentin. Entre temps, l’excellent deuxième 45T «Rythmiques», deux K7 enregistrées en répéts, avec quelques inédits que je m’évertuais à interpréter avec un mortel entêtement (« I wanna die for a little while »), auprès d’amis musicos d’alors…

Et si je montais ce groupe « Président Z », ce fut en grande partie sous l’impulsion de deux figures majeures de cette épique époque : l’Orchestre Rouge de Théo Hakola, et le MDS de Philippe Pascal. Les textes « poético-politiks » de celui-ci, sa voix chargée d’affects, entre Tom Verlaine et Patti Smith, la gestuelle épileptique d’un Ian Curtis écorché, et les références à un expressionnisme allemand torturé, ne pouvaient que nous émouvoir au plus haut point…

Le grand Théo Hakola nous fascinant également, nous reprenions avec un acharnement non démenti «Soon Come Violence», dans la cave de Flap, notre bassiste, lui aussi disparu brutalement depuis… Répétant parfois 10h/jour dans cette cave mitoyenne à celle du groupe ami « Rockin’ sixteen » (ceux-ci nous prirent définitivement pour des fous !), nous recherchions l’essence même de ce que Théo avait alors baptisé « Rock dramatique »… Notre répertoire comportait déjà une adaptation d’un poème de Paul Eluard « La Puissance De l’Espoir », qui pourrait faire écho quelques années plus tard au « Recueillement » de C. Baudelaire, magnifiquement mis en musique par Marc Seberg. « Hasard objectif » dirait André Breton, destins croisés, nous cherchions tous « l’O(rchestre) R(ouge) du temps »…

« Divorce à la française »…

… avait alors titré « Best », et bien que l’article ne fut pas de mon frère, j’apprenais de sa bouche quelques temps avant sa parution et à mon grand désespoir, la séparation très inattendue de MDS…

Et l’on put effectivement se sentir abandonnés comme enfants de divorcés, tous « Enfants du Rock » que nous étions, et plus encore « enfants de MDS »…

Tel le poison soluble, pour noyer mes larmes, j’avais alors lancé à mon frère : « MDS est mort, vive Maquis de Sable ! », dadaïste boutade qu’il s’était alors empressé de relayer dans sa rubrique « Rock d’Ici »…

Concert classe au Palace

Quelques mois auparavant, ce fut bien mon frère cette fois qui consacra une belle chronique à Rue De Siam. Hormis notre petit désaccord quant à «Submarines And Icebergs», c’est avec fierté que je découpais et affichais l’article sur les murs de ma chambre minuscule.

Venant miraculeusement d’obtenir mon Bac, ainsi que l’entrée au concours de l’école Nationale d’Art de Cergy-Pontoise, c’est en compagnie de Jean-Marc, également étudiant en Art (de la Fac de Vincennes), que nous partîmes voir, pour la première fois, MDS sur la scène du célèbre Palace…

Jean-Marc, sorte de poète maudit décalé (rencontré via une annonce, passée dans Best bien sûr), s’était alors présenté comme batteur en tapant sur des casques de motos, et qui rêvait de concerts avec bergers allemands sur scène !…

Arrivés suffisamment tôt au Palace pour croiser la longue mèche rebelle de Spatsz du fameux Kas Product, celui-ci s’installait pour assurer la balance de leur première partie. Quelques heures plus tard, l’ambiance sonore qui se dégageait du duo transformé en trio pour l’occasion, était indescriptible. En effet, armé d’une sorte de « marteau-piqueur musical » sorti de nulle part, un percussionniste expérimental venait picorer la divine voix de la Rock diva Mona Soyoc…

Placés aux premières loges en début de concert, nous n’en perdions pas une miette visuelle et sonore… mais nous ne tardions pas à nous retrouver au fond, lorsque MDS fit son apparition, tant ça pogotait dans la salle ! Le duo de sax (Paboeuf/Herpin) créait alors une alchimie parfaite par un jeu de réponses free, tout en préservant l’énergie Rock et la puissance émotionnelle du divin Marquis. Ce jeu subtil faisait écho en moi, à certaines ambiances de VAN DER GRAAF GENERATOR, quand l’excellent Dave Jackson s’employait miraculeusement à jongler avec deux sax en même temps…

Rencontre avortée ensuite avec les maîtres de cérémonie, dans l’arrière-cour du Palace, où Frank Darcel dédicaçait sur le dos de quelques jeunes gens modernes… Tapis dans l’ombre, nous parvenions néanmoins à serrer la main au passage furtif des deux sax, accompagné d’un plat « Super, c’était bien ! » lancé par un J-Marc frustré de ne pas avoir été « à la Auteur »… Rongés par le remord précoce de la timidité maladive, nous prolongions l’observation des silhouettes (« épidermes secs ? ») effilées, de nos inaccessibles idoles, pour nos yeux d’ados attardés…

Philippe Pascal, repartit aux bras d’une jolie petite post-punkette, à la mèche d’un bleu-vert aussi étincelant que l’éclat de ses yeux… Philippe Pascal, « notre héros romantique », que j’aurais tant aimé rencontrer, car j’avais tant de choses à lui dire… Mais par quoi commencer ?…

« Tu sais Marc (Seberg), nul endroit où se fuir, dans la nuit… »

Quelques années plus tard, c’est sur les scènes de Reims que je le retrouvais, aux côtés du majestueux MARC SEBERG. Une première fois au Théâtre du Chemin vert, où je parvenais enfin à déposer auprès de leur manager, K7 maquettée et presse book, accompagnés de mon premier 45T et d’une lettre à son attention, dans laquelle, bien que très épris de MS, je lui suggérais (non sans maladresse…) la reformation de MDS… Une fois de plus, c’est seulement de loin que j’apercevrais la silhouette de Philippe qui fuyait dans la nuit. Néanmoins, nous parvenions avec mon guitariste à glisser, non sans fierté, quelques mots furtifs à la charmante Pascale Le Berre…

Puis ce fut dans la petite salle de L’Usine, que je rencontrais leur batteur Pierre Thomas, avec qui j’évoquais l’épisode du dépôt de mon petit colis, car je n’avais pas eu de retour direct…

Peu de temps après, « Scieur Z » (en formule quatuor) avions été contactés par l’équipe de J. Louis Brossard pour venir jouer au « Cactus » dans le cadre des « Apéros Trans’ » des célèbres « Transmusicales de Rennes » : chance inespérée pour un groupe du fin fond de la Picardie profonde, qui, pour le coup, fit un concert mémorable (voir « Mémoire de trans »)… Au téléphone, je me souviens que les programmateurs avaient largement évoqué maquette et 45T déposés, et je soupçonne la bienveillance de P. Pascal d’y être un peu pour quelque chose (Noir ?)…

Rencontres manquées…

En effet, à peine revenus des Trans, j’aurais l’honneur et le bonheur de recevoir un petit colis comportant quelques inestimables trésors : CD Le Bout Des Nerfs + Quelque Chose Noir (en deux versions), + le superbe recueil de textes Lignes De Fuite dédicacé par P. Pascal, l’ensemble numéroté… Enigmatique signature (en caractères hiératiques ?), que je mettrais des années à déchiffrer, mais accompagné d’un petit mot qui m’allait droit au coeur :

« J’aurais aimé vous voir à Rennes, seulement nous tournions notre premier clip à Paris ces jours-là…alors… ! Amicalement »

Encore une rencontre manquée…

Une de plus…

« Marc Seberg » se transformait en « Philippe Pascale », tandis que mon groupe « Scieur Z » devenait duo, puis solo…

Une résurrection éphémère

Tout d’abord je ne pus croire à ce qui répondait au doux nom de « fake », tant la nouvelle paraissait inespérée : MDS se reformait ! Annoncée dans un premier temps pour un unique concert au « Liberté » de Rennes, dans le cadre d’une fabuleuse expo sur le groupe, je convoquais d’emblée mes amis musiciens de ne louper l’évènement sous aucun prétexte. Mais hélas, un à un se désistant, je dus renoncer amèrement à ce projet…

Réjoui d’apprendre que d’autres dates allaient suivre (et même une tournée !), ce fut, presque 40 ans plus tard, l’immersion totale à bord de la structure flottante du « Petit Bain », arrimée en quai de Seine.

Armé de sax de toutes tailles, d’un looper et d’un ordi, c’est Daniel Paboeuf qui en fit magistralement l’ouverture, avec un émouvant hommage à Spatsz qui venait tout juste de nous quitter. Retour à la « casse » départ, avec un « Kas Product » cassé à jamais…

Peu avant, au bar, je croisais Frank Darcel à qui j’offrais mon dernier CD Virtuellement Vautre… en vue d’une première partie (l’âge aidant, j’osai même la proposition d’une hypothétique collaboration, que de progrès !). Je partageais à ma compagne, le chaleureux accueil qu’il me réserva, m’invitant même à les rejoindre après leur set !

Concert fabuleux s’il en fut : un Philippe Pascal qui se fit attendre certes, mais qui, malgré rides et blanche crinière, déploya ensuite l’énergie charismatique et l’intacte émotion des débuts. Je reprenais à gorge déployée les chants de certains titres que je connaissais par coeur, et qui me valurent les regards (admiratifs ?) des spectateurs plus ou moins proches.

Hélas, une fois de plus, un incroyable enchaînement de circonstances dut nous faire renoncer à la délicate invitation de Frank. Enragé par cette sombre « fatalitas », nous devions repartir précipitamment dans un épais brouillard, pour récupérer notre véhicule au plus vite, finalement immobilisé… ignorant encore, cependant, que cette ultime chance serait donc la dernière : je ne rencontrerais JAMAIS Philippe Pascal, et que ce brouillard serait donc bien définitif

« No way, I’m dead ! Suicide tomorrow…»

« La vie c’est dur, et puis tu meurs… personne n’en sort vivant d’ailleurs… »

Renaud LACOCHE / le 20/10/2019