Expo Rock ! Pop ! Wizz ! Quand la BD monte le son !
Cité Internationale de la Bande déssinée et de l’Image
Angoulême jusqu’au 31 décembre 2023.
Par Didier BOUDET
Rock, pop et BD – Une exposition au bon tempo pour les 50 ans d’Angoulême.
Quand Kent, le leader de Starshooter, groupe de référence de la scène punk rock française des mid 70s vous conseille par texto d’aller voir une expo ! On y court illico. Et pour cause, pour commémorer son demi-siècle d’existence, le Festival d’Angoulême a décidé de consacrer une exposition aux liens étroits qui existent entre la musique et le neuvième art. Une expo sans fausses notes ni larsen que notre envoyé très spécial a visitée pour vous et qui reste visible jusqu’au 31 décembre 2023.
Rock ! Pop ! Wizz ! Quand la bd monte le son ! la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image n’a pas lésiné sur les moyens en présentant plus de 300 œuvres originales émanant d’une cinquantaine de dessinateurs triés sur le volet à travers pochettes de disques, affiches de concerts, planches originales et archives filmées.
Longtemps relégués au rang d’art mineur ou de sous-culture, la bd comme le rock ont conquis de haute lutte leur légitimité. A l’heure où les romans graphiques relatant la vie d’un musicien ou d’un chanteur (de Coltrane à Bowie en passant par James Brown) ont le vent en poupe, il était naturel qu’une exposition soit entièrement consacrée au compagnonnage fructueux qui s’est instauré dès la fin des années 60 entre ces deux manifestations de la culture populaire.
Première étape de ce road strip pas comme les autres, l’immense Robert Crumb, pape incontesté de l’underground (Zap Comix, Mr Natural) et figure quintessentielle de la contreculture américaine avec son coup de pinceau subversif, son humour grinçant et ses hachures de forçat de la planche ricanant de ses propres névroses. Au milieu d’un papier peint aux motifs cinétiques à vous brûler la rétine, la pochette mythique de Big Brother and the Holding Company (1969) avec Janis Joplin aux vocalises, vous attend de pieds fermes. A cette ribambelle de beatniks arpentant en zombie les rues de San Francisco viennent s’ajouter des dessins originaux et quelques belles lithos généreusement prêtées par Dominique Cravic, proche de Robert Crumb et créateur des Primitifs du futur, un combo mixant avec bonheur le blues, la musette et la biguine.
Dans une pièce adjacente, les joyeux drilles de la bande à Pilote et les garnements de Fluide Glacial, rejetons de l’après 68, ne furent pas en reste avec leur graphisme psyché et leurs planches chaotiques explosant tous les codes de la bienséance narrative. Les pochettes d’Hendrix illustrées par Jean Solé sont un modèle du genre et l’on salue l’audace pionnière du compère de Gotlib. Pop Rock Et Colegram (1978), première bd entièrement consacrée au rock et à la pop, signée à quatre mains par ce duo d’enfer a marqué une étape cruciale dans ce mélange des genres. On comprend le choc pour la France de l’époque de voir ainsi s’entremêler les trombines de Dylan, Donovan ou John Mayall dans une anamorphose décapante, le cocktail parfait pour secouer l’indolence ronronnante de la France de l’après Pompidou.
Place aux années 80, période charnière marquée par l’avènement de la Ligne Claire, expression forgée par le dessinateur hollandais Joost Swarte et qui désigne le style graphique des héritiers d’Hergé, détournant la candeur initiale du papa de Tintin en y ajoutant une bonne dose de subversion. C’est dans Métal Hurlant revue devenue cultissime mêlant rock, SF et érotisme que cette tendance s’affirma avec le plus d’efficacité.
La revue dirigée avec maestria par le trio fatal Dionnet, Druillet et Moebius sera le laboratoire à bulles ouvertes d’un graphisme épuré dont Ted Benoit et Serge Clerc seront les figures de proue. Ce dernier, hérault du vrai chic parisien, illustrera les pochettes d’une bonne quinzaine de groupes (les Cramps en tête) et sa story sur la genèse de Blondie reste un moment fort de cette revue aujourd’hui prisée par les collectionneurs tout comme la pochette de Telex, icône de la synthpop bruxelloise, signée Ever Meulen.
A quelques pas de là, en plus cradingue mais tout aussi décapant, Tramber et Jano et son inénarrable Kébra, crapule de banlieue et rocker s’acoquinent par strips interposés avec les Closh de dodo et Ben Radis, autre binôme incontournable d’une époque où la musique tenait le haut du pavé dans des scénars bien déjantés. Les golden eighties, mutantes au propre comme au figuré accoucheront même d’une espèce nouvelle à vocation hybride, le chanteur – dessinateur avec Kent Cockenstock, Cleet Boris (Hubert Mounier de l’affaire Louis Trio), qui délaissèrent volontiers la moiteur des studios pour tâter de la planche à dessin, en toute humilité mais avec un talent indéniable.
Plus proches de nous les exquises esquisses de Dupuy et Berberian, auteurs des aventures de Mr Jean et mélomanes avertis s’invitent à la fête. Trois coups de crayons bien envoyés et une touche d’aquarelle leur suffisent à camper un Baschung et une Brigitte Fontaine plus vrais que nature. Leurs scénettes d’une élégance folle contraste de par leur légèreté assumée avec la raideur hypnotique des œuvres de Charles Burns dont le portrait d’Iggy Pop tout en clair-obscur prouve que le David Lynch du neuvième art est l’un des auteurs les plus talentueux de sa génération.
Dans la dernière salle de cette exposition, on découvre avec ravissement les planches originales de Love In Vain, le magnifique album consacré au destin du bluesman maudit Robert Johnson, signé Mezzo et Pirus, avant d’aller gouter aux déhanchés des patrons de la soul music dont Brüno, artiste spécialisé dans les biographies de musiciens sait narrer le destin comme personne. Après une telle odyssée, la récompense arrive enfin avec le dancefloor conçu par Typex (dessinateur néerlandais que Clémentine Deroudille et Vincent Brunner, les commissaires de cette exposition brillamment orchestrée, ont eu la bonne idée d’inviter). Cette scénographie malicieuse et ludique donne aux heureux visiteurs l’occasion de finir ce périple en beauté au milieu des dessins soudainement animés, le plaisir de bouger son body au milieu des idoles du passé laisse vite place à celui de se dire que le dialogue entre cases et rythmiques nous réserve encore bien des surprises.