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© Louis Teyssedou

LES WAMPAS

Par Raphaël LOUVIAU

On doit admettre qu’on n’y croyait pas vraiment. On pensait la communion impossible, on attendait l’annulation. La veille, le Premier Ministre devait annoncer la fin de la récré déjà sévèrement amputée de ce qui fait tout son sel, la fin du monde tel qu’on le connaissait, le blackout total. Il n’en fût rien. On se remit à respirer…

On avait réservé des places bien sur. On ne voulait prendre aucun risque. On a bien compris qu’on se préparait des mois de disette, des hootennanies tristes, assis avec Folk neurasthénique et micro-concerts Covid-safe, des antithèses affligeantes. Les amis chuchotaient sur Facebook, priaient, n’osaient nommer la joie qui nous habitait de peur de la voir disparaitre. Les WAMPAS à Longueau, excroissance ferroviaire historique de la métropole amiénoise ? Après 7 mois de concerts Subutex®, il fallait oser le rêver ! On fit remarquer que pour beaucoup, le dernier concert avait été celui des WAMPAS à Gauchy (02) six mois plus tôt. On y vit forcément un signe du destin. Des messages furent échangés, d’éminents membres du groupe confirmèrent la date, des photos en répétition furent postées. On pouvait réserver notre samedi soir.

« Les WAMPAS sont bien la preuve que Dieu existe… »

Rien n’avait filtré, tout au plus savait-on que le festival aurait lieu sur un site en extérieur, qu’il y aurait des food trucks et même une buvette. Une buvette ! Rien que l’évocation de ce concept désuet nous mit en joie. Nous arrivâmes en retard, non par snobisme mais parce que la joie des retrouvailles dans un café du centre nous avait retardés. Première surprise : il y avait du monde ! Plusieurs centaines de personnes prenaient la température de la soirée. Nous finirions 600. Le site était cosy, ça ressemblait à une kermesse. Ne manquait que les lampions. J’avais amené ma fille pour tenter de baisser la moyenne d’âge que j’imaginais plus proche de la retraite que des premiers émois amoureux. J’avais tort. Ce n’était certes pas la foule juvénile des sensations du mois (Pan ! Scotch et compagnie) mais pas non plus le loto de la maison de retraite. Didier Wampas est un Jacques Pradel redoutable parce qu’il aimante tous ceux qui un jour ont acheté un disque des Ramones, de France Gall ou des Liminanas. Et ça fait du monde. Avec lui, les murs des chapelles se lézardent et les esprits s’ouvrent comme par enchantement. Les WAMPAS sont bien la preuve que Dieu existe… D’ailleurs, tout ce soir n’est qu’harmonie : les sourires éclosent sur les visages stupéfaits de se retrouver là, l’ambiance est étrangement feutrée, le public marche précautionneusement sur des œufs, comme si cette parenthèse enchantée menaçait de se refermer à la moindre fausse note.

Au bar, les tournées défilent pendant le set des CRAPPY COYOTES. La mission du quatuor Rockabilly est ingrate : impossible de fédérer le public, on préfère à cette heure le ton badin des retrouvailles, la bière bon marché ou les délicieuses linguines au pesto. Pourtant le groupe varie les reprises, de l’obscur (« Whisle Bait », The Collins Kids, « Voodoo Voodoo », Lavern Baker) à l’évident (deux chansons d’Eddie Cochran) jusqu’à une dernière tentative pour capter l’attention avec un « Rock This Town » d’honnête facture.

On avait pris soin un peu plus tôt de saluer ATTIC MAN, le tout nouveau one-man band amiénois. Philippe avait l’air un peu secoué devant l’enjeu. Pendant tout le confinement il nous avait offert une heure quotidienne (comme Dieu, il se reposait le septième jour) de reprises, compositions et improvisations, seul dans son grenier, posant, parfois goguenard, devant deux posters, l’un des Clash, l’autre des Ramones, armé d’une Gibson, d’une boite à rythmes et d’une loop machine. Philippe présentait ce soir le résultat de ses errances solitaires durant les mois qu’ont duré le confinement. Les chansons électriques qui en découlent semblent servir autant de thérapie que de phares. On vit bien la tentation du concert théâtralisé, entre introspection douloureuse et rigueur autobiographique mais sans sous-titres ni explication, le concept est resté abscons pour beaucoup. Par honnêteté intellectuelle, on doit admettre que l’on n’a assisté qu’au premier set, le second ayant involontairement servi de fond sonore à de belles retrouvailles avec le seigneur de Sète, l’illustre Tony Truant.

 

© Louis Teyssedou

A 22h30, le soir tombe, tout est possible, tout est à faire, les WAMPAS investissent leur terrain de jeu. On se demande comment le groupe va négocier le virage du concert sans contacts. Ce soir, la gente féminine n’envahira pas la scène sur « Petite Fille », Didier n’arpentera pas l’herbe de la plaine, n’embrassera personne, restera sagement, ou presque, derrière la croix au gaffeur fluorescent apposée précautionneusement à un mètre du premier spectateur. Le concert débute par un « Sauver Le Monde » de circonstance. Le groupe est en place, il gagne ce soir en cohérence ce qu’il perd en déchainement anarchique mais Didier est un tel showman qu’on n’y perd même pas au change. Une partie du public, exultant d’une joie trop longtemps contenue, s’adonnera toutefois au rituel du « wall of death », sorte de bataille rangée joyeusement simulée et portera un Didier christique sur la chaise des retrouvailles. Seuls les WAMPAS savent transformer de gentils garçons en apprentis barbares. J’avoue dévisser systématiquement, happé par une irrépressible envie de faire corps avec d’autres à qui il est peu probable que j’adresse la parole en dehors de cette messe païenne. J’ai essayé avec les Zombies ou Townes Van Zandt, ça marche pas. Les WAMPAS déroulent un best of impeccable, entre évidences Pop récentes (« C’est Politique »), tire-larmes irrésistible (« Jenny »), passages obligés (« Manu Chao ») et prétextes à exultations collectives (« Les Bottes Rouges », « Yeah Yeah », « Ce Soir C’est Noël »). Le groupe lâche finalement l’ultime « For The Rock », eulogie naïve qui vient clore en beauté et en émotion une heure et trente minutes d’un chaos plus maitrisé que d’habitude mais pas moins indispensable. Nous nous replions vers la buvette et savourons le bonheur simple d’être ensemble encore un peu. Le service d’ordre nous raccompagne gentiment mais fermement. Tout le monde dehors, plus rien à faire, plus rien à boire mais heureux sur le trottoir.