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ALVIN CHRIS

Par Scolti

Rencontre avec ALVIN CHRIS, rappeur, auteur, compositeur et guitariste.

Salut Alvin, bienvenue chez ILLICO!. T’as fait tes classes dans le rap via le Boom Bap, avec une culture années 90. C’est pas ce qui ressort d’évidence quand on écoute ce que tu fais aujourd’hui. Comment s’est opéré le virage ?
Le virage s’est opéré au fil du temps. Le rap a plusieurs décennies. On est une génération de rappeurs qui a écouté énormément de musique, et on a grandit avec ça. Mes parents écoutaient beaucoup de musique à la maison, de la soul, du R’n’B, des disques de Marvin Gaye, ou d’Alicia Keys, quand j’étais petit, et de l’autre côté j’écoutais du rap, français principalement. Donc, d’un côté j’ai commencé à écrire des raps, que je posais sur des instrus que je trouvais, et de l’autre côté, via ma sœur notamment, je chantais beaucoup, et j’ai commencé à jouer de la guitare. J’ai intégré un groupe avec des potes du lycée. Pour moi y avait ce que j’appelle la musique d’un côté, et le rap de l’autre, ce qui était complètement ridicule. Mais beaucoup de rappeurs seraient d’accord pour dire qu’il fut un temps on se foutait de l’instru tant qu’on savait rapper. Mais la musique évoluant, et moi qui était dans un truc de rappeur à l’ancienne en mode boom bap, j’ai pris goût à de nouvelles sonorités, et y a eu la trap aussi, qui a fait sortir certains rappeurs de leur zone de confort, avec des nouvelles rythmiques. Et j’ai donc commencé à me dire que c’était bête de séparer le chant et le rap, alors qu’il y avait la possibilité de mélanger les deux. Et c’est comme ça que ça s’est fait, petit à petit, j’ai réussi à mélanger mon amour de la musicalité à mes raps, parce que ça me faisait chier de ne faire que du full rap, et j’ai donc commencé à chanter de plus en plus dans les refrains, puis à insérer du chant dans les couplets, et finalement je suis mon propre feat, j’ai pas besoin de ramener quelqu’un. L’autotune a beaucoup aidé à cette transition aussi, en démocratisant tout ça.

Il a fallu accepter certaines choses, et laisser certains principes de côté, pour opérer cette bascule ? Comme tu le disais, à une époque on distinguait clairement le rap et le chant ?
Je dirais pas qu’on peut appeler le fait de se poser sur un type d’instru un « principe ».

« Principe » peut être « mauvais » ?
Oui voilà, dans ce sens oui, ça peut être des mauvais principes justement. Mais finalement, on déconstruit, on se remet en question, et on se dit qu’on était un peu con. Je dis toujours que je suis un ex connard de puriste, parce qu’il fut un temps, pour moi c’était soit du boom bap, soit c’était de la merde. Mais on se remet en question, en se disant qu’on est plus large que ça, et qu’on n’a pas à être ce type de rappeur là.

C’est aussi accepter des choses qu’on a en soi et qu’on a tendance à refouler ? Est-ce que c’est le même chemin qui mène à s’accepter soi-même ? Parce que ce sont des thèmes que t’abordes ?
Ouais j’aborde ces thèmes, très bonne question. Si ce n’est pas le même chemin, il est au moins parallèle, parce qu’un moment donné c’est embrasser toute la personne que tu es. Y a pas de raisons que tu chantes du Usher sous la douche, et que quand tu te retrouves en open mic tu ne saches pas montrer ta technique de rap tout en y mettant des mélodies, et donc l’artiste que tu deviens mélange les deux, ce qui est une satisfaction pour soi-même, mais après, c’est pas une obligation. Y a des rappeurs qui ne font que rapper en boom bap, ou qui ont ouvert leur musique autrement, et qui restent dans une esthétique underground, ou nichée, et c’est très bien, ça leur va aussi, et peut-être que leur ouverture à eux sera de s’essayer à certains flows par exemple, ou à certaines collab’. En tout cas, pour moi ça n’avait pas de sens d’être guitariste et s’enfermer dans un carcan.

T’es congolais, t’as grandi en Belgique, et tu vis à Amiens. On est toujours la symbiose des éléments du parcours, ou c’est chaque fois un renouveau ?
Je suis la composante de tout ça. Mes parents son congolais, donc je suis congolais d’origine. Je suis né en Belgique, et je suis arrivé en France très tôt, j’avais quatre ans. J’ai donc grandi en France, puis j’ai vécu en Belgique à mes dix-huit ans, pendant deux, trois piges.

Donc ma question est éclatée ?
Non, elle n’est pas éclatée, parce qu’en fait il y a ces trois identités qui composent qui je suis. Et c’est une très bonne question d’ailleurs, j’apprécie le parallèle qui est tout à fait juste, et tout ça va ensemble tu vois. Ce que j’aime dire, c’est que le rap belge, quand le rap est arrivé en France, baignait dans un truc tout con : t’allumais la télé, et toutes les chaînes étaient gratuites et accessibles. Ce qui veut dire : MCM, MTV…Tu te bouffais du 50Cent toute la journée, des clips…donc ils ont grandi avec le rap US. Nous, on avait M6, et on avait Skyrock, quoi. Donc y a eu un moment où on était un peu en retard. Et forcément, musicalement y a un truc qui se retrouve dans leurs influences, parce qu’ils s’identifiaient beaucoup à ça, c’était sous leurs yeux. Là où en France, il a fallu qu’internet arrive, et il fallait être un peu connecté avec la culture hip-hop pour avoir accès à tout ça.

« j’ai fait un long parcours sans vivre de ça, mais en me disant toujours que le jour où j’arriverai à remplir mon frigo, j’aurai gagné. »

En France, tes références sont des gens comme Youssoupha, Oxmo Puccino, Mc Solaar ou Orelsan et Booba. D’autres auteurs ont une un impact sur ton rapport à l’écriture ?
Je vais dire des trucs éclatés, mais allons-y ! Quand j’ai lu L’Alchimiste, de Paulo Coelho, ça m’a matrixé, ça m’a donné envie d’écrire plein de choses, ça m’a inspiré. Quand j’ai relu Le Petit Prince, ça m’a inspiré de ouf, je l’ai relu adulte, et la naïveté…

C’était une autre lecture, une fois adulte ?
Exactement. Dans sa simplicité il y a une profondeur de ouf, ça m’a beaucoup inspiré. Récemment j’ai lu du Amélie Nothomb, Les Prénoms Épicènes, qui est d’une poésie magnifique. Lire des livres nourrit ton esprit. Mais après ce n’est pas du tout le même procédé. Ce qui est sûr, c’est que ça met en tête des images.

Mais t’as peut-être une approche plus littéraire quand t’es lecteur que quand tu l’es pas ?
Une phrase d’un livre peut me donner une idée de morceau. Ça nourrit beaucoup l’auteur que je suis.

Très bien… Dis moi, quand on est artiste, on fait vraiment juste ce qui nous plait, ou il y a une part de séduction réfléchie ?
On fait ce qui nous plait, artistiquement

Et à aucun moment on se pose la question du « est-ce que ça va plaire ? » ? Est-ce qu’on fait VRAIMENT ce qui nous plaît ?
Très bonne question encore une fois ! Après chacun voit, dans son propre rapport à la musique… Mais moi je vais faire quelque chose qui me plaît, je vais essayer de me séduire moi-même, donc à chaque fois que je compose de la musique, je questionne l’auditeur que je suis : est-ce que je suis cohérent ? Ou est-ce que je fais quelque chose qui me plaît, parce que je sais que ça va plaire aux gens qui me suivent ? Je me pose tout le temps la question. C’est une question de dosage, tu fais un cocktail. Évidemment que quand je fais un refrain, et que je le kiffe, je me dis « ah ! Ouais ça je sais que… », mais j’ai certains styles de morceaux, certains qui plaisent, qui font plus de streams, qui retiennent plus l’attention de mon public, donc évidemment je me pose la question. Après, quand ça sonne faux je le sens. Y a des morceaux que je regrette, j’ai voulu faire un truc, et c’est un peu nul… et ce sont des morceaux que j’ai sorti, je te dis la vérité !

Faire juste ce qui nous plaît, c’est se mettre du côté du risque, de la niche, du segment. On cherche à être singulier quand on fait ce qui nous plaît, avec une forme d’anticonformisme. Est-ce que le revers de l’anticonformise n’est pas de risquer de se retrouver seul ?
Oui, c’est sûr. Mais on revient à ce qu’on disait : s’accepter soi-même. Mais ce qui me plaît, c’est quoi finalement ? Est-ce que ce qui me plaisait hier me plait encore aujourd’hui ? Est-ce que je ne peux pas m’autoriser à me dire que je kiffe aussi autre chose ? Tout dépend comment on se positionne sur l’échiquier. Mais tant qu’on arrive à être soi-même… Évidemment qu’on pense au public, mais le plus important pour moi est qu’il y ait notre âme dedans, et qu’on n’ait pas l’impression d’avoir fait un truc à l’opposé de ce qu’on avait envie de faire, pour une opportunité. J’essaye de faire ce que j’aime, et d’apporter ma patte dans ce que je fais, et c’est à force d’avancer et de faire des morceaux que je regarde le tableau, et je me dis « OK, ça va vers quelque chose ».

L’idée est de savoir si on peut tendre vers une liberté totale dans la création. La musique offre une liberté qui permet d’échapper au système ?
Totalement. La musique est une forme de liberté qui m’a permis d’échapper au système. C’est exactement ça. Que ce soit dans les choix que j’ai du faire, ou… Parfois, la précarité dans laquelle tu vis quand t’es artiste, parce que les lendemains ne sont pas sûrs, tu dois faire des choix, prioriser… et y a aussi le sentiment de jouissance qu’on a… tu vois aujourd’hui par exemple je vis de la musique, c’était pas le cas y a deux ans. J’ai 31 ans. Donc j’ai fait un long parcours sans vivre de ça, mais en me disant toujours que le jour où j’arriverai à remplir mon frigo, j’aurai gagné. Et, ayant été derrière un bureau à faire mes 35 heures, là j’ai la sensation d’être en dehors du système et de ne pas subir ce que j’ai pu difficilement vivre auparavant. Je pense que c’est le cas avec toutes les passions en fait, dès lors que le travail est un plaisir, et que tu ne vois pas le temps passer, t’as gagné.

Mais la réussite artistique ça peut aussi devenir un piège qui peut te priver d’une forme de liberté ?
Laquelle ?

Celle de circuler tranquillement, par exemple, quand t’es connu ?
J’y suis pas encore. C’est pas étouffant dans ma vie actuelle. Mais j’ai envie de te dire qu’on a les défauts de nos qualités et les conséquences de nos privilèges. En tant qu’artiste, t’as accès à une grande liberté, à beaucoup de privilèges, et y a un revers. La vie est toujours une question d’équilibre. On va pas se plaindre.

Y en a qui le font ?
Oui, parce que ça doit être pesant.

J’aimerais que tu commentes la phrase attribuée à Sénèque : « La vie ce n’est pas d’attendre que l’orage passe, c’est d’apprendre à danser sous la pluie. »
J’ai un morceau qui s’appelle «L’Averse», qui résonne grave avec cette phrase.

T’as remarqué que je bosse, donc ? (rire)
Ouais, j’apprécie beaucoup les questions ! (rire) ça fait vraiment plaisir ! Pour moi, il pleuvra toujours, y aura toujours de la grêle, de la merde, et la vie est insaisissable. Y’a des choses qu’on peut contrôler, et je pense que c’est là-dessus qu’il faut se concentrer. Après, quand on se plaint, c’est qu’on souffre, et ce sont des indicateurs de nos émotions, qu’il ne faut pas laisser de côté. On arrive parfois à changer le monde en se plaignant, et à être entendu. Question d’équilibre.