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CHLOÉ MONS

Éditions Médiapop 2020
Éditions Médiapop 2020

Jachère – Portrait En Mouvement

par aSk

Faut-il encore présenter CHLOÉ MONS, maudite Aphrodite, ex-Mme-qui-on-sait… D’épousailles en funérailles, sa romance rock n’roll époque 90’s lui vaut encore le sobriquet douteux de « Courtney Love en v.f. ». Et pour cause. Quiconque l’aura vue en première partie de son défunt époux comprendra. Pourtant, CHLOÉ MONS est tellement plus que cela. Et de le démontrer à ses détracteurs depuis ce début de millénaire, en disques, en livres, en documentaires, making-of et autres carnets de voyage filmés. Au travers d’entretiens divers, elle se livre autant qu’elle se protège et continue d’avancer, cash, tranquille. Pas besoin de monter sur ses grands chevaux.

L’Aéronef, avril 2008. Tandis qu’une salle comble attend l’arrivée du maître de cérémonie, voici que déboule sur scène une blonde voluptueuse avec son ukulélé. Une demi-heure de malaise, car la demoiselle fit rire et siffler une assemblée aussi pitoyable qu’impitoyable. En effet, nous étions à la fois crédules et incrédules face à ce show sauvage, ne sachant si l’on avait affaire à de l’art ou à une Peggy Sue sous acide en plein trip d’Amérique, sorte de happening beuglé où la chansonnette sonne faux à en devenir comique. Personne n’a pris la peine d’y voir une pulsion de vie terrible, un cri déchirant, un tremplin de feu pour l’entrée en piste du grand monsieur adulé et respecté, mais néanmoins très diminué. Personne n’y a vu le chant d’amour absolu d’une femme pour faire tenir son bonhomme debout, l’espace de quelques semaines, quelques mois encore, quelques dates, d’autres villes et au-delà des péages, juste entretenir le mirage. Honorer et boucler cette tournée infernale aux coulisses fiévreuses. Chasser le désarroi et tenir bon, coûte que coûte. Voilà le courage qu’aura eu, au fond, Madame Bashung. D’aucuns lui reprocheront un prétendu opportunisme, ou lui en voudront pour son bouquin relatant la disparition d’Alain (Let Go, paru initialement en 2012 et réédité en 2019 par Médiapop en version augmentée). Impudique jusqu’au-boutiste.

Qu’il semble loin ce temps des premières scènes fracassantes – qui plus est, dans son fief natal. Exit la caricature country simpliste, Miss Mons poursuit son périple. Au fil des années, son art déroutant – et indépendant- aura mis à genoux quelques critiques chevronnés. Et d’enchaîner de façon maligne les projets et collaborations de choix (Blixa Bargeld et Chris Eckman des Walkabouts aux manettes de ses albums ; Jean-Louis Murat, Anna Mouglalis ou encore Helena Noguerra en guest). A cela s’ajoute le soutien indéfectible de l’impeccable dompteur de la six-cordes, Yan Péchin, camarade de route, de scène et de studio.

Autre comparse notoire dans la chaîne : David Vallet. Le Normand à la caméra sait mettre en scène les zicos fissa et avec trois fois rien (cf. son excellente série « Scopitone Is Not Dead »). Les plans pour illustrer « Chains » n’échappent pas à la règle et profitent de son regard incroyablement inventif. Il faut dire aussi que CHLOÉ MONS est une performeuse qui en a dans le sac. Avant tout comédienne – option Bette Davis, cf. l’une des épigraphes de Jachère-, sa présence en scène n’est donc pas le fruit de tâtonnements de débutante. Et même si l’on pourrait avancer qu’elle use et abuse parfois de ses charmes ensorcelants, disons qu’elle sait parfaitement tirer parti d’une image qui ne cadre décidément pas avec une certaine idée de la « chanteuse française ». La langue de Marguerite Duras s’invite pourtant régulièrement dans son œuvre, dévoilant une plume gracieuse qui ferait presque oublier ses débuts de vilain petit canard. Mais peu importe au fond ce qu’elle représente, car son écriture, claire et limpide, la révèle enfin.

Témoignage de vie et d’envie, Jachère transpire l’urgence et dit l’essentiel. CHLOÉ MONS s’amuse de son aura de muse, de son armure de femme fatale, et joue de ce pouvoir-là, pour le plaisir. De récits d’alcôve débridés (La Vie sexuelle de Catherine M., en moins glauque ?) en relations abusives, d’amours libertines en débriefings post-coït lucides, c’est une parole d’amante no limit qui connaît l’art de se soumettre faussement, juste pour avoir la paix. Ne retenir que son excitation première, le jus initial, et puis laisser couler, en somme. On ne peut que saluer ce flot rafraîchissant et sans chichi, à contre-courant des discours ambiants où la femme est nécessairement victime. Chloé brandit la vie, la vraie, et repart de plus belle. Maîtresse… de son destin.

Femme désirante, mère-tigresse et artiste libre. CHLOÉ MONS continue de tracer son sillon et de mener sa petite entreprise, sans concession. C’est qu’elle a compris la leçon. Bien mal lui en a pris d’avoir conquis le cœur d’une vedette de la chanson française. Et la veuve solaire – et désormais ambassadrice de l’œuvre de son défunt mari- d’écrire pour se (re)construire, pour se réhabiliter elle-même. Avec sa prose experte et vengeresse, CHLOÉ MONS est cette Calamity Jane des Flandres qui n’accuse personne mais flingue tout le monde, bien décidée à régler ses comptes avec un cadeau-fardeau familial qui émancipe comme il peut asphyxier, avec une région qu’elle adore et déteste dans le même temps. S’en détacher et y revenir malgré tout, ou les allers-retours d’une vie. Ses anecdotes sont des remakes horrifiques peuplés de gueules cassées, dévorantes et attachantes, le tison de l’alcool comme lien social, à l’œuvre dans une salle des fêtes perdue au beau milieu d’une campagne digne d’une Twilight Zone… Est-ce cette torpeur avinée (mais attention aux clichés, car non, tout le monde n’est pas tenu d’être alcoolique dans le Nord-Pas de Calais) qui la pousse sans cesse vers d’autres contrées, quitte à arpenter dans le même temps et sans relâche la ville sans pitié… ? Arrimée à la city où les points d’ancrage semblent parfois illusoires, on saisit mieux sa soif des grands espaces et des expéditions insolites. Bref, globe-trotteuse forever version James Bond girl qui n’a que faire de cette satanée horloge (cf. son dernier LP, Globe-Trotter – Ode to Bond, constitué de covers des génériques de la mythique saga)…

Jachère se lit non seulement comme une ode à l’amour – de soi, de l’autre, physique, psychique, spirituel, intellectuel-, au respect, mais aussi et surtout à la création, au mouvement, à l’introspection, au voyage. Ou comment faire peau neuve et lâcher du lest pour mieux s’ouvrir au monde, et aimer à nouveau. Mieux qu’un bouquin de développement personnel ou qu’une doctrine féministe, c’est un message intime que nous confie CHLOÉ MONS, soufflant à notre oreille sa belle joie de vivre. « La vie en rose en vert et contre tout », comme elle le formule avec panache. Le dresscode d’une vie, vouée à être autre chose qu’une succession de soirées à thème, loin des mondanités, si possible.