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© Anne-Laure Etienne

DAPHNÉ SWÂN

Par aSk

Ce 10 novembre 2023 paraît son premier LP au titre bien mystérieux, Eecloo. Loin d’être un igloo, c’est un univers chaleureux et fédérateur que DAPHNÉ SWÂN propose, avec de pures pop songs qui, sous leurs airs de rafraîchir la tête, n’en font pas moins cogiter voire bouillonner. Elle évoque ici sa rencontre avec Daran (qui a réalisé l’album) et ses différentes pérégrinations qui ont alimenté son âme d’artiste ainsi que certains choix cruciaux. Entre ramifications insoupçonnées et revirement professionnel, bilan et projection. Et si le futur n’était plus vert mais finalement à point ?

Pourrais-tu nous parler de ta collaboration avec Daran ? Comment s’est faite cette rencontre et quelle a été son implication sur cet album ?
Je dois mon salut au confinement… Avant que cela n’arrive, je m’étais inscrite à une résidence de création à Astaffort (que j’appelle affectueusement « le village à Francis Cabrel »). Elle devait durer une semaine sur place, et s’est transformée en expérience bâtarde à demi à distance. Ce qui fait que quand je suis arrivée à Astaffort pour la partie « présentielle » de la résidence, je suis tombée sur Daran qui avait été appelé en renfort. Il n’était pas censé être là. Je suis arrivée avec un bouquet de nouveaux titres révisés en amont, avec une nouvelle bassiste / chanteuse / claviériste (Laurène Vatier) recrutée la semaine précédente. On a déballé et façonné ces premiers titres en live, et à la fin de cette expérience, Daran a proposé de travailler ensemble sur un album. S’en est suivie une période d’apprivoisement mutuel, faite d’une correspondance assez fournie. Après un premier test studio sur le titre «Chante-Moi», on s’est lancés dans le grand bain. Et mes titres ont pris une toute autre dimension. Ma façon d’être aussi, c’est fou. Daran a fait quelques instrus additionnels dans le cadre de sa mission de réal (notamment de la guitare, alors que l’album en comporte très peu, et aussi quelques parties de basse). Sa casquette principale reste celle de réal (il a aussi été au mix), même s’il a joué un rôle informel de mentor. Il y a aussi un secret dans cet album, un chœur à très très bas bruit qui n’a pas été crédité.

«Eecloo» : mot mystère ? Anagramme ? Clin d’œil à la ville belge Eeklo (cf. ta bio) ? En lien (indirect) avec la danseuse Armelle van Eecloo, du moins avec la danse ? Est-ce une discipline qui t’a influencée par ailleurs ?
EECLOO m’est apparu dans un flash quand j’ai pensé au nom de mon futur album. Cet album n’existait pas encore qu’il avait déjà un nom, et je n’en ai jamais trouvé de meilleur depuis. Tu m’apprends l’existence d’Armelle Van Eecloo, je vais voir ça de ce pas. C’est drôle comme coïncidence, car tu as pu voir que mes derniers clips faisaient davantage appel à la danse et au geste. C’est une discipline que j’ai pratiquée pendant ma petite enfance et une partie de mon adolescence. Ce n’est qu’aujourd’hui que je convoque ça, notamment sur scène, car j’avais oublié ce background. Il s’avère que je suis moi-même une Van Eecloo (et après vérification de l’intéressée, il existe bien un lien de parenté avec Armelle Van Eecloo – ndlr), du côté de ma grand-mère paternelle. EECLOO est autant un appel à l’éclosion, à l’éclat dans un contexte assombri, qu’un pied-de-nez aux personnes qui ne soupçonneraient pas mes origines flamandes si elles se fient uniquement à mon visage. Une façon de montrer que mon père existe à travers moi, même si on ne le voit pas. C’est une façon de m’inscrire dans un territoire particulier, dans mon Nord affectif et fantasmé.

Quel regard portes-tu sur ton parcours depuis le premier EP (Eventail, paru en 2017), sur ta façon de composer, ton écriture, l’évolution de ta voix ?
J’ai fait une poussée de croissance, c’est indéniable. Il y avait chez moi une part de conformisme contre laquelle j’essaie de lutter. Et en même temps, je n’étais pas tout à fait à ce que je faisais, de par notamment mes petits boulots avant intermittence qui m’occupaient l’esprit. Je manquais sûrement d’auto-exigence. Ce qui m’a changée, ce sont les rencontres. En immersion avec d’autres artistes, en Secrètes Sessions, aux Rencontres d’Astaffort, en résidence croisée entre l’Occitanie et le Québec, j’ai touché du bout du doigt mon étrangeté. Un truc que je ne maîtrise pas tout à fait, qui fait le sel du projet que je construis. J’essaie de cultiver ça. Je pense avoir aujourd’hui une écriture plus vraie, moins démonstrative, moins « bonne élève ». J’apprends à assumer des choix esthétiques plus audacieux qui me ressemblent plus. Vocalement, Daran m’a appris énormément de choses lors de l’enregistrement de l’album. C’était loin d’être facile, mais je fais maintenant confiance à mon oreille et ma vigilance pour progresser techniquement.

« Je suis fière d’avoir de vrais violons sur mon album car j’ai cette chance d’être ma propre violoniste. »

Comment t’impliques-tu dans la production de tes morceaux ?
J’ai un truc avec les harmonies vocales, j’en fous partout et j’adore ça. Elles sont souvent non-parallèles, impossibles à générer avec une pédale. Sur cette base, je fais souvent le piano, des couches de claviers divers de façon parfois non-conventionnelle (des nappes d’orgue par exemple), quelques contrechants vocaux ou instrumentaux, et des accroches mélodiques secondaires. Je présente tout cela comme une proposition dépouillée qu’on peut ensuite compléter et sculpter. Je bidouille pas mal sur Ableton et suis semi-autonome sur ces questions-là. Je sens que j’ai encore des choses à apprendre sur les choix rythmiques, la synthèse, acquérir un vocabulaire plus étendu pour les lignes de basse, et la recherche d’une certaine sobriété de production. Je suis assez vigilante sur les mixes, je chéris mes oreilles ! Je suis fière d’avoir de vrais violons sur mon album car j’ai cette chance d’être ma propre violoniste.

D’une manière plus globale, quel a été le déclic pour oser cette reconversion ?
Il y en a eu plusieurs. C’est comme pour arrêter la clope je suppose, des fois il faut plusieurs tentatives. Mon premier déclic a eu lieu lors d’un séjour de six mois au Vietnam, vers la fin de mes études. En dehors de mes repères habituels, j’ai commencé à questionner cette hiérarchie illusoire entre les choses sérieuses (le droit, vraiment ?) et les choses pas sérieuses (la musique, vraiment ?). Mais je suis rentrée en France, j’ai prêté serment en voulant aller au bout de ma démarche. Je suis restée presque deux ans en cabinet d’avocat d’affaires, avant deux évènements quasi simultanés. A l’issue d’un tremplin, je gagnais une formation musicale de deux semaines au Québec. Et deux jours plus tard, nous étions frappés par les attentats du Bataclan. Je me suis beaucoup projetée sur les victimes, des gens qui me ressemblaient, un confrère aussi que je ne connaissais pas mais qui avait à peu près mon âge. Je ne me voyais pas le vendredi soir terminer mes dossiers, m’envoler vers le Québec faire de la musique, puis reprendre mes dossiers le lundi matin. C’était devenu inconcevable. Je n’étais visiblement pas à ma place. Je vivais la vie de quelqu’un d’autre, et avec le recul, je me dis que je vivais surtout la vie de mon père, qui était avocat lui aussi. Quelques mois plus tard, je démissionnais de mon cabinet et je m’omettais du barreau.

Tu abordes volontiers cette thématique de la reconversion (cf. ton intervention récemment pour le MaMa festival). As-tu éprouvé à un moment le besoin de partager cette expérience, de distiller en quelque sorte une « boîte à outils » à l’attention des artistes qui hésiteraient à franchir le cap ?
Cela participe-t-il d’un certain engagement ? Je considère que nous faisons partie d’un maillage humain et que si mon expérience peut aider d’autres personnes, alors tant mieux. C’est aussi une façon de rendre à l’univers ce que mes mentors m’ont transmis. Il peut être très facile d’avoir le nez dans le guidon, de se perdre ou de s’endormir. On doit avancer ensemble. Il y a aussi pas mal de pédagogie à faire autour du rôle des artistes dans la société, surtout celles et ceux qui ne sont pas en tête de gondole.

Dirais-tu que ce qui compte avant tout c’est d’être entourée et bien entourée ?
Oui, et pas uniquement dans ses activités musicales, mais aussi dans la vie. Les artistes ont souvent la chance de choisir leurs interlocuteurs, contrairement à d’autres métiers, de l’accueil, du soin ou de la vente par exemple. Je constate que mon entourage le plus proche (musicien·nes, ingé son, tourneuses et les gens qui gravitent autour) a une vibe « bisounours avec du caractère » qui me fait beaucoup de bien.

Côté structuration professionnelle, as-tu atteint un certain objectif ? Que te fixes-tu désormais ?
Je suis heureuse d’avoir des tourneuses lilloises (Sostenuto), proches de moi humainement comme physiquement. J’ai eu souvent la bougeotte, été pas mal dans le sud-ouest, me suis formée en partie à Paris pour le songwriting, ai découvert la richesse de la scène canadienne francophone. Aujourd’hui j’essaie de me reconnecter à mon territoire de vie. Côté structuration, il reste encore l’éditeur. A la base je voulais surtout créer, pour moi, mais aussi pour les autres. Mon rêve serait de créer pour des artistes très populaires, et/ou avec d’autres créateurs.trices. Je reste persuadée qu’on peut faire de la qualité, ne jamais prendre les gens pour des imbéciles, tout en jouant la carte du grand public. Un éditeur, une éditrice me permettrait d’accéder à des terrains de jeu auxquels je n’ai pas accès pour le moment.