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Photo © Jef Leo

JOYSAD

Par Scolti

Salut JOYSAD, bienvenue chez ILLICO!, c’est un vrai plaisir de te rencontrer !

Pour commencer, j’aimerais que tu me dises : quand on grandit à Périgueux, en Dordogne, au pays des chevaliers, des grottes, des noix et du foie gras, on se dit que le Rapgame est accessible, ou ça semble être quelque chose de trop éloigné ?
Quand on grandit à Périgueux, le rap est une image tellement éloignée de l’image que les autres s’en font, quand t’es dans une province comme celle-là t’as intérêt à faire tes recherches seul, parce que c’est pas la mode de ton village qui va t’inculquer les choses, quel son est sorti cette semaine etc… nan. Alors je suis de la génération 2000, j’avais quand même internet, mais les débuts d’internet c’était chaud, y avait pas autant de médias rap qu’aujourd’hui, et donc fallait se renseigner soi-même, et encore plus si tu voulais faire du son.

Comment t’y es arrivé alors ?
Je pense que c’est la curiosité et l’opportunisme.

Et comment c’est arrivé dans ton oreille ?
Mon beau-père écoutait ça, mon père un peu aussi, et j’ai toujours kiffé. Et à nouveau, je suis un enfant de la génération 2000, R’nB et rap quoi. Je connais pas beaucoup de potos de mon âge qui, quand ils avaient dix piges, écoutaient du Christophe Maé. On était branché hip-hop, même si on n’y connaissait que dalle.

Tu pouvais croire à un parcours dans le rap qui irait au-delà de rapper dans sa chambre ?
J’y ai toujours cru, ouais. Je me suis toujours dit que c’était possible. Je ne me suis jamais mis de limites pour quoi que ce soit. J’ai toujours fait en sorte de réussir ce que je voulais entreprendre, par tous les moyens, même quand c’était dur. Mais je ne me suis pas posé la question en mode « je ne peux pas le faire parce que je viens de là ». Ça aurait été se cacher derrière un truc débile. Je me suis dit que si je me mettais cette pensée dans les pattes j’aurais mis encore plus de temps pour cé-per. Alors OK là ça prend du temps, mais je fais déjà ma première tournée, on a des dates full en France, je suis refait ! Et ça je ne l’aurais pas espéré pour le coup, je l’aurais pas imaginé. Je m’imaginais faire des sons et être un peu connu, tu vois.

T’as fait cette percée par le biais des réseaux. C’est la force des réseaux de réussir à défoncer les (mono)pôles de création qu’étaient Paris et Marseille dans le rap ?
Ouais, c’est ça. C’est vrai. Aujourd’hui les meilleurs vendeurs ne sont pas de Paris. Orelsan, de Caen, Laylow est de Toulouse je crois, y en a plein comme ça, qui ne sont ni de Paris ni de Marseille et qui commencent à tout niquer, parce que je pense que les codes sont révolus. On veut juste de la bonne musique. Et j’ai l’impression que les auditeurs changent aussi, qu’ils ont un peu nettoyé leurs oreilles, et qu’ils écoutent mieux. Nan mais en vérité ils sont surtout plus curieux, et du coup on se permet plus de choses. Pour moi c’est mieux qu’avant, tu vois. Pourtant je suis un vrai adepte de la old school, mais le rap est beaucoup mieux aujourd’hui, il est tellement divers. C’est génial le rap ! C’est une dinguerie ce qu’il s’est passé. Tout se ressemblait, et tout est devenu différent. Et merci les États-Unis. Je suis content de ce que devient le rap français.

« J’espère que je ne fais pas partie de ces artistes qui font semblant. J’ai l’impression d’avoir des avis. »

T’es atypique à plusieurs niveaux. Qu’est-ce qui me fait dire ça selon toi ?
Je sais pas. J’espère que c’est parce que c’est moi qui écris mes sons et qui les chante (rires), ce qui n’est pas propre à tous les artistes.

Le simple fait de venir de Périgueux, on l’a dit, est atypique.
Déjà, et ça fait que je ne raconte pas la même chose. Je ne me mens pas et je ne mens pas aux autres non plus, en tout cas dans mes sons.

Un vécu atypique aussi ?
Ouais, peut-être que je suis un peu différent, mais on a tous nos problèmes…

L’autre truc atypique, dont tu as déjà parlé, est que l’un de tes grands-pères était CRS. Est-ce que tu t’amuses de la dichotomie qui voudrait que c’est le genre de chose qui, sur le papier, est censé fermer d’emblée l’entrée dans le rap ? C’est un fuck de plus dans la série ?
Je l’assume. J’ai déjà reçu des messages en mode « fils de keuf » etc, mais c’est rare franchement. Y a pas une si grosse haine que ça en vrai… et surtout je connais l’histoire de mon papi, et j’ai pas besoin de justifier plus que ça. Si on me pose la question je répondrai, mais j’ai pas à défendre l’histoire de mon grand-père que je trouve magnifique.

T’as pu parler de son job avec lui ? Ça t’a aussi amené à des réflexions qui ont pu donner un titre comme «Mauvais Flic» ?
Nan, «Mauvais Flic» j’ai juste regardé des faits divers, comme «Diego», le story telling d’un jeune qui se fait assassiner dans le train. Et voilà, j’ai juste romancé l’histoire que j’ai lue. Parce que, ouais, je ne lis plus de bouquins, mais je me cultive autrement (sourire).

Y a un côté engagé dans ce que tu fais ?
J’espère. J’espère que je le suis un peu. J’espère que je ne fais pas partie de ces artistes qui font semblant. J’ai l’impression d’avoir des avis.

Et c’est important pour toi d’être dans ce truc là ?
Je pense, ouais. Mais en vrai j’aimerais trop raconter plein de trucs… des trucs que je ne vis pas…mais je ne peux pas le faire dans ce projet-là, dans lequel j’incarne JOYSAD, dans lequel je suis moi. Peut-être qu’un jour tu verras un mec masqué arriver sur la scène, et ce sera moi, et je vendrai des millions d’albums en racontant plein de dingueries, mais je ne les vivrais pas. Alors que ça, j’ai décidé de le vivre, et je le vis à fond.

Dans ce mélange de paradoxes que t’envoies, y a aussi l’oxymore de ton blase. C’est compliqué de se définir ?
C’était. Je pense. Je l’ai gardé, ce blase, que j’ai trouvé quand j’avais dix piges.

Et de se trouver, c’est compliqué aussi ?
Ouais, grave ! J’ai du faire des années de studio, et tout le reste, pour savoir où je voulais aller avec mon idée de base, et dans laquelle j’étais déjà parti, j’avais pas envie de tout recommencer.

Photo © Jef Leo

« La création je la fais parce que je dois la faire pour avoir ce que je veux, mais ça me fait chier de ouf (rires) »

Mais tu me parles de l’artiste, là. Je parle aussi de la personne. Quand tu choisis JOYSAD, sans forcément y voir tous les implicites ni l’oxymore, ça reste le reflet d’une forme de personnalité. Est-ce que tu arrives à te trouver ?
Ouais, grave. De ouf. Je sais qui je suis en tant qu’être humain. Je sais vraiment exactement qui je suis. C’était musicalement parlant que j’avais du mal. En tant qu’homme, j’évolue. Je suis un mec de 23 ans, qui a fait un BAC L, qui était borderline et qui n’en branlait pas une. Je sais très bien qui je suis. Je suis un mec qui a été sauvé par la musique. Et j’en suis grave reconnaissant. Je sais qui je suis humainement parlant, mais artistiquement je me suis cherché, et y a encore pas si longtemps.

Mais t’as aussi un prisme, qui te permet un certain regard sur les choses. Je fais allusion ici à ton frère décédé. T’as pris le parti de faire de ta tristesse une certaine forme de joie, pour au moins réussir à parler de lui avec des sourires plutôt qu’avec des larmes. C’est le cas ?
Ouais. C’est joliment dit. C’est un peu le but de l’écriture, aussi. La plupart de mes sons contrebalancent entre le positif et le négatif. Des sons comme «Ciel Et Terre» par exemple, que j’ai fait pour mon reuf, sont des sons qui contiennent une note d’espoir. Parce que j’aime cette note, y compris quand je crée une prod. De la mélancolie, et de l’espoir, où sur le refrain tu peux faire un truc de revanchard, un mec qui sort d’un trou dans la terre en levant le poing. C’est ce que je visualise dans ce genre de sons. T’es blessé, tu te relèves.

Même sur scène, t’arrives à te détacher de la mélancolie que peut contenir un titre comme «Ciel Et Terre» par exemple ?
Franchement, quand je suis sur scène c’est hyper bizarre. Je suis juste… y a le son, je le chante, et voilà. C’est indescriptible en vrai, je sais pas. Je suis incapable de te dire si je l’ai bien chanté ou pas, après l’avoir chanté.

Et quand t’es pas sur scène, et que t’es juste en phase d’écriture, tu sens une forme de réconfort ?
Non. Pas du tout. Je ne suis pas à l’aise quand j’écris. Parce que je regrette beaucoup. J’efface beaucoup. Donc ça me fait chier des fois d’écrire des trucs dont je ne suis pas sûr.

C’est des restes du lycée, de la scolarité ?
Non, je ne pense pas. C’est juste que ça a toujours été des brouillons. N’importe quel écrit. Je me suis toujours corrigé, j’ai toujours hésité. Mais juste je n’aime pas ça en vrai je crois, j’adore juste voir le rendu. La création je la fais parce que je dois la faire pour avoir ce que je veux, mais ça me fait chier de ouf (rires), ça m’emmerde grave. Des fois, je lis deux strophes, et je me dis « merde, la première est vraiment mieux que la deuxième » « le son doit être évolutif, ça pue du cul fait chier ». Et je recommence. Et ça me fout le seum. Donc j’aime pas. (rires)

Face aux différentes embûches qu’on peut tous connaître, dans nos différents parcours, dans la vie, est-ce que le seul remède, c’est le temps ?
Alala ! Elle est belle celle-là ! (sourire). J’ai envie de dire : oui. Le seul remède, c’est le temps. De toute façon, sinon, qu’est-ce qui fera bouger les choses ?

Tu vas au bout du lyrics quoi (rires). Mais t’iras pas plus loin que le lyrics ?
Nan écoute, ouais le seul remède c’est le temps, évidemment, et surtout que j’en ai fait les preuves. C’est moi qui ait écrit ce refrain, pas le frérot. Et pourtant je n’ai que 23 ans. Mais je pense avoir vécu beaucoup trop de trucs que t’es pas obligé de vivre.

Mais t’as déjà vu le bénéfice du temps qui passe…
Exactement. J’ai vu les bénéfices de se prendre des tartes et de soigner par le temps qui passe.

C’est une leçon importante pour le reste de ta vie ça…
Grave. Je pense que c’est l’un des premiers trucs que j’inculquerai à mes enfants. « C’est pas grave » (rires). C’est le premier truc que je leur dirai…

Qu’est-ce qu’on pourrait te reprocher mais que tu ne regrettes pas ?
Tu me poses une colle de ouf. J’ai rien que je ne regrette pas et qui a posé problème. J’ai toujours fait des trucs en mode « de toute façon c’est comme ça ».

T’es droit avec toi-même.
Oui même avec les autres de toute façon. Sinon j’arrête de les fréquenter.

Tout à l’heure je faisais allusion à ton dernier single «Remède». Qu’est-ce qui arrive ensuite ?
J’ai encore envie de sortir des sons comme ça. «Remède» n’est même pas accroché au dernier album, je l’ai sorti comme ça. J’ai encore envie de sortir un son, comme ça, avec un visualizer. Je pense qu’avec Transparent, et tout ce que j’ai fait entre temps, la tournée etc, je me suis trouvé. J’arrive à savoir où je vais. Là j’ai des cartouches de côté, à envoyer, et je sais pas si je les envoie ou pas, mais y en a au moins un que je suis sûr d’envoyer. Ça arrive sous peu. Avec un petit clip aussi. Et derrière on verra. Mais je pense qu’on va partir sur un nouvel album. Je ne sais pas, je ne me projette pas. Mais selon mes pronostics, ça fait quatre ans que je suis dans le game, quatre projets en quatre ans, donc techniquement je suis censé sortir un projet (rires).

Un projet avec une cohérence, comme le deuxième, par opposition au côté fourre-tout du premier ?
Oui bien sûr, au niveau du contenu on restera toujours fidèle à nous-mêmes tu vois, c’est vraiment au niveau du concept qu’il faut amener un truc différent. Les auditeurs ont besoin d’autre chose aujourd’hui, faut leur faire un spectacle ! Faut pas arriver avec un album qui est juste du bon rap, si t’as pas un délire autour et tout ce qui crée de l’engouement…

C’est le côté « théâtre » qui parle ?
Pas que. Mais du coup j’ai des petites idées. On est en train de mettre ça en place. Le label est partant. Tout est bon. Faut juste que je gratte maintenant ! Mais sinon on y est.

Merci beaucoup JOYSAD !
Merci à toi Scolti !