You are currently viewing MOONE
Moone © Paule Neel

MOONE

Par aSk

Pour prolonger la lecture de ce numéro de mai (ILLICO!#57, p.37), voici notre entretien avec MOONE à l’occasion de la sortie de son nouvel opus, Mon Monolithe.

MOONE est toujours bien entourée (David Bausseron à la guitare, Nicolas Chachignot à la batterie et Patrick « Paddy » Cereghetti à la basse et à la contrebasse) : on ne change pas une équipe qui gagne ?
Depuis 2017, je travaille avec la même équipe de musiciens rencontrés au fil de mon parcours, nous nous sommes choisis les uns les autres et avons un plaisir immense à nous retrouver à chaque étape. Plus nous avançons ensemble, plus la compréhension, l’osmose s’intensifient entre nous ! Non seulement ce sont des musiciens très talentueux et des artistes accomplis, mais en plus ils sont gentils et généreux… Alors, tu as raison, on ne change pas une équipe qui gagne !

Je m’impose une seule chose : garder en tête une ou deux phrases centrales, qui sont le thème principal, sans jamais les écrire…

Les morceaux sont-ils construits autour de ta voix et de tes textes, ou est-ce ta voix qui vient se greffer sur la toile riche en textures que te proposent tes camarades ?

La plupart du travail d’écriture et de composition est un travail solitaire que je fais dans mon antre, mon laboratoire chez moi. J’écris en permanence, mes instruments sont toujours branchés, à disposition, afin de pouvoir jouer et composer à tout moment. C’est un travail de fond qui est partie intégrante de ma vie quotidienne, il m’arrive d’en rêver la nuit… C’est dire ! Quand mes chansons arrivent aux musiciens – en général en premier à Patrick Cereghetti dit Paddy, contrebassiste et bassiste-, le texte est finalisé, la mélodie écrite, la musique aussi, la structure, les ponts… Mais il y a toujours une plasticité à ce cadre, qui pourrait sembler rigide, pour que chacun puisse venir poser son propre discours. C’est le cas pour « Psychotrope » ou « Old truths In A New Light », et beaucoup d’autres titres que je défends sur scène dans ce répertoire.
Un jour, David Bausseron, guitariste, a insisté pour que nous nous retrouvions dans des conditions d’improvisation totale ensemble. En effet il travaille beaucoup sur des projets de musiques improvisées, ce qui est également le cas de Nicolas Chachignot à la batterie. De cette séance, j’ai extrait les moments qui me semblaient les plus intéressants, dignes d’approfondissement ; ils ont servi de socle à de nouvelles chansons. Par exemple dans cet EP, c’est le cas de « Mon Monolithe », « Entre Ciel Et Terre » et « Mélinara Sour ». Le plus difficile ensuite est de reproduire (pas tout à fait pareil, bien sûr) les séquences mélodiques, très particulières, puisqu’en situation d’improvisation une adaptation permanente avec tout ce qui se passe autour est nécessaire et provoque des « accidents » !
Réécrire un texte avec la contrainte – que je m’impose- de partir des sonorités de cette improvisation n’est pas chose aisée. J’adore le résultat que ça donne. Ça fait référence pour moi à l’écriture automatique appliquée à la composition, écriture automatique que je pratique également beaucoup… Je m’impose une seule chose : garder en tête une ou deux phrases centrales, qui sont le thème principal, sans jamais les écrire… C’est comme ça que j’ai écrit la majeure partie du texte « Entre Ciel et Terre ». Pour « Mon Monolithe », je suis partie de l’improvisation et de ses sonorités avec, évidemment, en toile de fond un sujet précis… J’adore ce genre d’exercice.

Après Anachronique et Sortilège, dirais-tu que Mon Monolithe est le dernier volet d’un triptyque avant nouvelle transformation, ou que ce nouvel album marque déjà un virage important ? Je pense notamment à l’aspect scénographique, car autant se dégageait une chaleur de salon sur les précédentes créations, autant on sent là comme une volonté de pousser les murs !
Il me semble que je suis en perpétuelle transformation, toujours en mouvement vers autre part, autre chose… J’ai l’impression que c’est le mouvement qui me procure mon équilibre, il m’est nécessaire peut-être parce que l’ennui me terrifie !… Tu as raison sur l’aspect scénographique. Pour ce nouveau répertoire, j’ai eu envie d’espace, d’ouverture, de me déplacer dans cet espace, de me le réapproprier et de remettre le mouvement, la circulation, le geste au coeur de ma proposition artistique. Pour cela il fallait que le décor soit épuré, uniquement composé de l’indispensable.

Ce nouvel opus, est-ce un retour à la source et à tes premières amours (le rock progressif, le métal…) ?
Sûrement ! « Entre Ciel et Terre » en particulier me fait renouer avec cette colère salutaire, réjouissante et libératrice, qui a été longtemps mon moteur principal ! Les événements que nous avons tous traversés ces deux dernières années y sont, c’est évident, pour beaucoup. « Mélinara Sour », écrit dans une langue inventée et qui me ramène à mon enfance, entre musique égyptienne, films indiens, musique française et internationale, est une sorte d’objet sonore dans un style progressif que j’affectionne et qui m’a beaucoup influencée. C’est le cas aussi pour « Old truths In A New light », que je joue au bouzouki, cet instrument que j’aime tout particulièrement parce qu’il évoque l’Orient et l’Occident en même temps. Ce titre est très planant, très doux mais puissant. J’aime cultiver les paradoxes. Une chose est certaine, pour cet EP (5 titres), j’ai eu envie de laisser « parler mes tripes », j’ai essayé de moins intellectualiser l’écriture et la composition, afin d’être plus proche de moi-même, j’ai laissé tomber mes défenses. Parce que pour Sortilège par exemple, je m’étais rendue compte, sur scène, que cette pudeur que j’avais positionnée autour de moi, de mes textes, érigeait un mur entre le public et moi. Je voulais abolir ce mur, et je crois que ce répertoire y parvient. Je l’espère en tout cas !

Moone © Paule Neel

Oui, j’ai retrouvé de vieilles amies pendant ce mois de mars 2020 où nous étions tous enfermés, isolés : les machines.

Souhaitais-tu ici pousser le curseur de ta ligne éditoriale, à savoir livrer une intimité aux fils dénudés, et à la fois explorer un vent de liberté avec une envie de lâcher les fauves ?
Oui, j’ai retrouvé de vieilles amies pendant ce mois de mars 2020 où nous étions tous enfermés, isolés : les machines. Elles ont été mes compagnes de création pendant plusieurs années et j’ai profité de ce moment hors du temps pour ressortir tous les instruments technologiques remisés et inutilisés, et me suis lancé le défi de créer avec juste ce que j’avais sous la main et de n’utiliser, en post-production, que l’outil le plus grand public qui soit, à savoir Audacity. Ces retrouvailles furent si savoureuses et productives que j’ai réintroduit les machines aussi bien dans mon processus de création que sur scène. Je crée les boucles de son en direct, j’aime que le public assiste à cette construction. Une fois posées, ces boucles m’offrent un cadeau qui m’a beaucoup manqué lorsque je jouais tout mon répertoire accompagnée par ma guitare, ce qui m’imposait de rester statique, la plupart du temps derrière mon micro : le geste, le mouvement, le déplacement, j’adore danser… Je peux même sauter, en particulier sur « Entre Ciel et Terre », c’est très libérateur, ça me fait un bien fou et tout ceci rejaillit sur le public, je le vois ! Pour moi cette palette de langages corporels vient enrichir mon discours, ma posture artistique.

Qui est ton Monolithe au final, MOONE elle-même ?
Oui, on peut dire que j’ai les pieds bien ancrés dans le sol et la tête dans les étoiles ! Je crois que c’est cette oscillation permanente qui me permet de rester en équilibre.