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NAHIR

Par Scolti

Salut NAHIR, bienvenue chez ILLICO! On va commencer sans faire de détours, si ça te va ?

Dans ton album fraîchement sorti, Rihan, t’as un morceau qui s’appelle «Fatigué». Je voulais savoir si, en plus de tout ce dont tu parles dans ce morceau, t’étais également fatigué d’entendre toujours les mêmes questions claquées en interview, y compris dans les plus grands médias ?
(rire)

… tu vois ? Du genre « Comment t’as commencé le rap ? Qui t’a influencé ? Avec qui t’aimerais collaborer ? » Etc… Est-ce que ça fatigue, et est-ce que ça contribue à la désillusion vis à vis de l’image que tu te faisais du rapgame ?
Non, je dirais pas ça, parce qu’il y a finalement une possibilité de se faire découvrir à partir de chaque média, donc je pense que la présentation est importante, ça ne m’embête pas de me re-présenter chaque fois.

Et que les questions soient redondantes autour de tes influences etc ?
Que ce soient toujours les mêmes questions : oui. Ça fatigue. Mais que je me présente, en introduction, je trouve que c’est normal.

Alors présente toi !
NAHIR. Artiste de Bobigny. J’ai sorti deux projets. Intégral et Rihan.

C’était court ! (rires). Alors pour rester dans la lignée de ce que je disais, je voulais savoir tu trouves qu’il y a un fossé entre le fantasme et la réalité de la vie de rappeur ?
Oui oui bien sûr qu’il y en a un. Clairement. Y a un fossé entre le buzz, et le taf déjà. Et ça les gens ont du mal à le voir et le comprendre. C’est pas le buzz qui fait que t’es subitement une star, ça ne veut rien dire en soi. C’est un travail de longue haleine. Et donc ils ne s’en rendent compte qu’après.

Et le quotidien du rappeur, par rapport au fantasme ?
Je pense que ça dépend de comment on a envie de le mener. On peut avoir envie de tout le temps travailler… et y a des moments qui sont cool. Personnellement, je suis beaucoup dans le travail. Mon quotidien, c’est juste de travailler. Quand j’ai fini mon album je me suis mis direct sur la suite. C’est ça mon quotidien, c’est le boulot.

Être rappeur, au sens pro, a des conséquences sur la vie perso, parce qu’y a un peu de fun qui se perd…
Exactement

… et ça éloigne des proches. D’ailleurs, pour toi qui a grandi à Bobigny dans le 93, cité de l’amitié, quelle place a l’amitié dans ta vie, alors que tu es toujours ailleurs ?
À la base, je suis un peu un vagabond, je suis quelqu’un qui bouge beaucoup, je ne reste pas bloqué au quartier. Alors oui, j’ai beaucoup traîné avec les potes, ça fait aussi partie de ma vie, mais je suis quelqu’un qui bouge beaucoup, depuis tout petit.

Plutôt solitaire ?
Ouais, assez. Bon oh j’ai quand même des amis ! (sourire)

« Ma musique est ma thérapie. Je me confie à moi-même en fait. »

Mais ça ne te pose pas de problème d’être seul et t’en as besoin parfois ?
Exactement !

Le succès isole, ou ça consolide quelque chose avec les proches dans la mesure où ça suscite l’admiration de ceux qui ne le vivent pas ?
Dans certains cas ça peut isoler, oui. En général il faut garder le même entourage, celui qui est là depuis le départ, eux te considéreront toujours de la même manière.

Ça pourrait te faire peur d’avoir encore plus de succès ?
Moi, oui. J’ai toujours eu peur du succès.

Qu’est-ce qui te fait peur dans le succès ?
Je ne suis pas pour la starification. Moi c’est la passion avant tout. Tout ce qu’il y a à côté… c’est pas pour ça que je le fais en fait.

Et comment tu concilies ta pudeur avec l’exposition ? C’est un effort ?
Ouais, c’est un effort. Mais avec le temps on prend l’habitude. Ça reste mon travail, et donc je me dois de faire cet effort. Et même pour ceux qui m’écoutent, c’est important.

Y a une bascule qui se fait dans la tête ?
Bien sûr ! Me dire que je suis en mode travail. Mais y a un truc qui se débloque, à force de faire cet effort ça devient naturel.

Tout en restant toi, sans entrer dans un personnage, tu ne bascules pas de Rihan à Nahir ?
Nan, nan. Quand je suis dans la musique je reste comme je suis au naturel. Je ne bouge pas, j’ai pas de masque.

T’as dit que si t’avais su, t’aurais porté un masque dès le début pour pas qu’on puisse pas te reconnaître ?
Ah bah oui !

Tu trouves pas qu’y a une forme d’hypocrisie dans le fait de porter une cagoule par exemple, tout en faisant des clips ou en venant sur scène ? Si on ne veut vraiment pas se montrer, pourquoi le faire quand même, mais à moitié ?
À partir du moment où c’est ton travail, si tu ne te montres pas, comment tu vas gagner de l’argent ? Je pense pas qu’il y ait une hypocrisie, c’est juste que quand tu finis le travail, t’enlèves ton masque et personne sait qui t’es, tu vis la même vie que tout le monde, c’est comme une protection finalement.

C’est Daft Punk et autres, étendu à plus de monde ?
C’est ça. Après, j’ai fait de la musique tôt, et je n’ai pas pensé à toutes ces choses quand j’ai commencé, sinon je pense que je me serais masqué depuis le début. Mais voilà, ça m’empêche pas d’en faire… Je pourrais très bien, sans être masqué, arrêter de me montrer dans les clips par exemple, mais je pense pas que ça serve à quelque chose.

Tu penses pas que ce dont le public a besoin, c’est de pouvoir voir la sincérité des émotions sur un visage, et que c’est justement ce qui fait ta force ?
Oui y a aussi de ça. Surtout que je fais de la musique dans laquelle je me livre pas mal.

Justement. Si tu te livres en cagoule, y a quelque chose qui ne passe pas ?
Ouais. Mais peut-être que j’aurais rappé différemment si je m’étais masqué, je sais pas… peut-être que je me serais moins livré, j’en sais rien… je peux pas te le dire, tu vois ? Mais sinon, ouais, je suis d’accord.

Te livrer est important pour toi, ça fait partie de ta plume et de ce que tu veux faire ?
C’est comme ça que je vois ma musique. Ma musique est ma thérapie. Je me confie à moi-même en fait. Je pense à personne quand j’écris, je pense qu’à moi.

Et t’écris n’importe où et n’importe quand ?
Ouais, après j’ai mes habitudes, comme écrire dans la voiture.

C’est pas en fonction d’événements qui t’arrivent ou autre ?
Non. Mais par contre, oui, il faut vivre des choses pour avoir de l’inspiration.

J’ai cru comprendre que des problèmes personnels ont ralenti l’arrivée de l’album, ou ont en tout cas ralenti son avancée. Ils étaient de quel ordre ?
Ouais, j’ai eu mon accident, mais j’avais déjà sorti le projet, et c’est ma tournée qui a été décalée, parce que je n’étais pas en capacité de pouvoir l’assurer.

Ce qui m’intéresse ici, c’est de savoir à quel point la vie personnelle peut impacter la vie professionnelle d’un artiste, sachant que les émotions sont le moteur de tout ?
Je pense que c’est l’un des plus gros exercices. Le studio c’est différent… mais sur scène, faut vraiment tout jeter et y aller. On peut avoir une mauvaise nouvelle avant de monter sur scène et il faut pas que ça se ressente, parce que les gens sont venus pour toi, et tu ne les remercies pas si tu te laisses aller.

Y a besoin d’une carapace ?
Ça ne m’est pas encore arrivé, Dieu merci. Mais je pense que ça doit être dur d’aller sur scène alors qu’on ne se sent pas bien moralement, ça doit être compliqué.

Et en même temps, cette vie personnelle est ce qui nourrit tes textes ?
C’est le moteur, ouais. Quand je vais au studio, les morceaux que je fais dépendent de l’humeur.

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« C’est avant tout la passion de la musique qui fait que je le suis aujourd’hui, j’aime pas forcément que rapper, j’aime aussi chanter, et faire plein de choses. »

Et cette humeur peut avoir un impact sur la technique ? T’es connu pour être un découpeur, avec de la technique et des flows variés. Mais est-ce que l’humeur va influencer la direction que tu prendras dans les flows ?
Je ne me sens pas obligé de faire systématiquement des morceaux techniques. Par exemple quand je fais un morceau mélancolique, je ne pense pas à la technique. Mais je n’ai pas de blocages avec ça.

Et les flows variés, c’est pour éviter de t’ennuyer en faisant des trucs trop redondants ?
Ouais, c’est ça. Mais j’ai l’impression que toutes tes questions sont un résumé de toutes les réponses que j’ai données ! Elles sont bien, j’aime beaucoup tes questions ! Et donc, franchement, c’est très important pour moi que toutes les quatre mesures ça change. Mais c’est naturel en fait, je ne cherche pas à me dire « bon, là ça va être ce flow là », c’est naturel. Même quand j’écris, je sens que j’ai besoin de changement.

C’est du à quoi ? À ton histoire avec le rap ?
Je pense que c’est du à comment j’ai consommé la musique, les artistes que j’ai écoutés aussi, quand j’étais petit, des gens qui variaient beaucoup aussi, donc ça a du aider.

T’es un compétiteur en fait ?
On est tous compétiteur.

Nan, pas forcément ?
Quand on fait de la musique, si.

On est obligé de l’être ?
Non, mais on peut être compétiteur avec soi-même. Aller chercher des trophées, disques d’or, singles d’or, des certifications… tout ça c’est une compétition au final, ce qui ne veut pas dire être en compétition avec quelqu’un.

Cette compétition vis à vis de toi-même t’aide à t’exprimer ?
Bien sûr. Et si je prends l’exemple des certifications, c’est une récompense quelque part. Ça montre aussi que ton travail est reconnu.

Est-ce que le rappeur complet existe ?
C’est une bonne question. Je pense, oui.

Tu penses à quelqu’un quand je dis ça ?
Euh… Gims, par exemple, est quelqu’un de complet. Il sait rapper, et chanter, et quand tu sais faire les deux, t’es assez complet.

Et toi, tu t’en rapproches ?
Ouais ça va (sourire), je trouve que c’est pas mal.

Ça fait partie de ta compèt’ intérieure de devenir ce rappeur complet ?
C’est avant tout la passion de la musique qui fait que je le suis aujourd’hui, j’aime pas forcément que rapper, j’aime aussi chanter, et faire plein de choses. C’est d’abord la passion qui fait que, pas la compétition.

C’est quoi ton objectif de vie ?
Une retraite assez tôt (sourire).

Par rapport à la musique ?
Ouais, une retraite tout court en fait.

À 64 ans donc ? (rires)
Nan nan ! Anticipée ! On cherche tous la retraite anticipée finalement (rires).

Ça inclut la mise à l’abri, des tiens et de toi ?
Exactement. Cet objectif est primordial pour moi. Et trouver la paix aussi.

Le vieux Nahir aimerait pouvoir se dire quoi en regardant sa vie ?
Qu’il aura atteint ses objectifs. Qu’il aura tout fait pour y parvenir, et réussir. Et qu’il aura aidé les siens.

Et en attendant, c’est quoi tes projets ?
Là je suis sur Intégral 2, depuis quasi un an. Ça travaille, ça devrait sortir bientôt.

Tu te fixes des deadlines ?
Jamais. Je fais le projet, et quand je sens que c’est bon, j’y vais.

Donc t’écris pas sous pression ?
Nan. Jamais. Sauf quand il faut bosser dans l’urgence. Mais pour la construction d’un projet, j’ai besoin de prendre mon temps.

Vivement. Merci NAHIR.
Merci Scolti !