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Quelle crise : GASPARD ROYANT

Par Raphaël LOUVIAU

Nous avons dans un précédent numéro pointé du doigt la perplexité et le désarroi des salles face à la défection du public. Nous aimerions cette fois regarder du côté des artistes… Comment as-tu vécu le retour à la vie normale ? La situation est-elle plus compliquée qu’auparavant ?

Gaspard Royant : Le retour à la vie « normale » a été, comme pour beaucoup de monde, assez violent. Devoir repartir de quasi zéro après ce temps de pause forcée n’a pas été facile. Mais pour ma part j’étais plein d’optimisme car je sortais un nouvel album et prévoyais donc de repartir en tournée. Toutefois, avec mon équipe on a vite remarqué que les interlocuteurs habituels (presse, salles, tourneurs etc.) ne répondaient pas de la même manière qu’avant. Tout est plus difficile désormais. Les gens (je parle des professionnels mais pas que) vivent dans une incertitude permanente et évitent de planifier quoi que ce soit. Quand on essaye de monter une tournée ou une campagne promo c’est assez embêtant.

Quelles solutions as-tu trouvé ? Et plus largement, comment vivre de sa musique ? Les disques et les concerts ne sont plus les seules sources de revenu j’imagine ?

Gaspard Royant : Comment vivre de sa musique ? Vaste question ! Aujourd’hui les sources de revenus sont éclatées : concerts, ventes d’albums (en chute libre depuis 10 ans), streaming, utilisation pour une pub, un film ou autre, association avec des marques… il faut tirer toutes les ficelles. On voit beaucoup de musiciens qui se sont mis à faire de la librairie musicale, c’est un peu le nouvel Eldorado. On parle de musique au mètre hein ! Dans tous les cas nous sommes entrés dans une économie de flux : Il faut produire une énorme quantité de contenus pour espérer dégager un revenu.

Je me souviens de nombreux exemples de groupes refusant l’utilisation de leur musique pour refourguer des baskets ou une assurance. Ça c’était le monde d’avant, non ? On voit aujourd’hui des gens dont le métier est de placer des chansons dans des séries, des films…

Gaspard Royant : Comme je disais : on ne peut plus se permettre de snober une source de revenus. Après, on a le droit d’avoir une éthique quand même ! Mais c’est vrai que la posture de l’artiste indépendant et refusant tout compromis a vécu. Prend l’exemple de Spotify : tout le monde sait que la plateforme rémunère très mal les artistes et que son patron est un sale type. Mais refuser de mettre sa musique dessus ne va pénaliser qu’une personne : l’artiste.

Justement, qu’est-ce qu’être un artiste aujourd’hui ? Devenir fonctionnaire du binaire et remplir les dossiers de subvention ? Retourner dans les caves et espérer y trouver sa niche ? Prendre un job la semaine et faire deux concerts le week-end (comme beaucoup d’anglo-saxons) ?

Gaspard Royant : Je pense que la musique va devenir de moins en moins viable économiquement pour beaucoup d’artistes. Il faudra donc trouver des à côtés. Soyons honnêtes, il y a trop d’offres. Trop de concerts, trop d’albums qui sortent. Le public ne peut pas faire vivre tout le monde, surtout avec un système de répartition de plus en plus défavorable aux artistes. Aujourd’hui, grâce à la technologie, on peut enregistrer un album dans sa chambre. Le mettre en ligne et le rendre disponible pour le monde entier. On peut communiquer via les réseaux sociaux et zapper la presse. Tout ceci, l’artiste peut le faire tout seul. Sans être payé et sans payer personne. Tu parles d’une économie ! Franchement, quand tu enlèves la rareté et les coûts de fabrication d’un objet, qu’est-ce qu’il en reste ? Pas grand chose…

The Real Thing

L’heure n’est pas à la réjouissance ! On a compris aussi qu’il était vain de chercher un bouc émissaire. N’empêche, es-tu en mesure de pointer des responsables ?

Gaspard Royant : Je suis fataliste. La société évolue et les besoins changent. On va le dire tout net : pendant la crise Covid, on a découvert que le spectacle vivant n’était pas essentiel. La culture est accessible comme jamais elle ne l’a été : on peut commander ses livres en ligne, streamer toute la musique existante, regarder des films sur les plateformes. Pendant le confinement on n’a pas manqué de culture ! Mais sortir voir un concert ou un film ou une pièce de théâtre, c’est un effort désormais. On est en concurrence avec des services faciles et accessibles. Il faut « proposer une expérience » comme disent les gens du marketing. C’est pour cela que les gros concerts en stade continuent de marcher. Comme les blockbusters au cinéma. Ce que les gens ne viennent plus voir c’est le « petit concert » ou le « petit film ». Ça ils peuvent l’avoir chez eux, ou autre chose moins cher. Car le prix des places, la qualité des artistes proposés, l’accessibilité des salles… tout ça pèse aussi dans la balance.

Quelles conclusions tirez-vous de l’année et demi qui vient de s’écouler ? Netflix a-t-il gagné la bataille ? Ne serait-ce pas un changement plus profond des habitudes ? Un repli dans un cocon plus douillet ? Un pessimisme fin de siècle au début du nôtre ?

Gaspard Royant : Durant la tournée, j’ai été très surpris du nombre de gens qui me disaient que c’était leur 1er concert depuis le confinement. Alors que les spectacles avaient repris depuis au moins 1 an et demi ! Je crois que tout est allé un peu trop vite à la fin de la crise. On a demandé aux gens de reprendre une activité normale du jour au lendemain, comme si de rien n’était. Alors que plein de gens ont déménagé, changé de boulot, se sont séparés… Donc une offre qui explose et en face un public qui se demande quel sens donner à sa vie… on n’est clairement pas sur la même longueur d’onde. Je discute avec des tourneurs et je peux vous dire qu’ils sont en PLS ! Tous les artistes sont repartis en tournée en même temps ! On ne compte plus le nombre de burn out chez les pros. Ils se barrent tous faire vigneron, c’est plus porteur que la musique c’est sûr !

Merci Gaspard ! J’ai oublié quelque chose ?

Gaspard Royant : Je voulais juste souligner la grande différence qu’il y a entre le cinéma et la musique : on a vu beaucoup de réalisateurs et d’acteurs venir se lamenter dans les médias et demander au public de soutenir les films en salle. Au cinéma, les résultats sont assez transparents : on sait si un film s’est planté, on sait si le public vient en salle. Dans la musique, il faut toujours dire que tout va bien. Les festivals sont toujours un succès, les salles affichent toujours complet, les albums sont toujours disque d’or… La réalité est toute autre évidemment : les salles annulent des concerts par manque de remplissage, les festivals ne font plus le plein et annulent des journées, les « clic farm » faussent les résultats du streaming et le seuil de vente pour obtenir un disque d’or est régulièrement baissé. Il n’y a aucune transparence et personne ne monte au créneau pour tirer la sonnette d’alarme. C’est un peu suicidaire ! Mais pour finir sur une note positive, je dirais que la musique live n’est pas en danger dans le sens où il y aura toujours trois ados pour prendre une guitare ou un ordi et dégoter un gig dans le bar du coin. Ça ne sera jamais rentable, mais quand on a 17 ans on s’en fout pas mal !Et comme le chantait Bright Eyes : «  It’s not something I’d recommend, but it is one way to live. »