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ROCKIN’SQUAT

Par Scolti

Salut ROCKIN’SQUAT ! À titre personnel, j’aimerais te dire que je suis vraiment très heureux de pouvoir enfin te parler…

J’ai fait partie de ces ados sur lesquels ton discours a eu une influence et j’aimerais savoir si tu as conscience de la responsabilité que ça suppose ?
Je pense que la responsabilité est omniprésente dans chacun de nos actes, ce n’est pas une histoire « d’artiste », ou de « responsabilité » quand tu parles aux gens. Chaque acte dans ta vie doit être responsable. Je ne poserais pas la question comme ça. Chaque acte de notre vie a des conséquences, parce que « acte » implique automatiquement « conséquence », et c’est valable pour chacun d’entre nous.

Sauf que la responsabilité est différente du fait de l’exposition en tant qu’artiste ?
Non, pas plus que quelqu’un qui n’est pas exposé, parce que l’acte que tu feras aura une conséquence sur la personne qui est à côté de toi. Je ne suis pas d’accord avec ça.

La musique est le bon véhicule pour les messages ? Pourquoi ne pas s’être engagé en politique ?
La musique, comme toute forme d’art, est intéressante pour partager des choses avec les gens. Après il faut savoir ce qu’on appelle « art », pour moi un agriculteur, un ébéniste, ou un maçon qui fait bien son métier, avec du cœur, c’est aussi de l’art. Je me suis retrouvé à faire de la musique, et plein d’autres choses, car c’est un moyen d’expression qui me va bien, tout simplement. Je n’ai même pas choisi, ça s’est fait naturellement. Après, pour la politique, tout le monde en fait. Chaque acte, au sens grec du terme, est politique. En ce qui concerne la politique politicienne, comme tu l’entends, c’est à dire avec les partis institutionnels que tu vois à la télé et qui viennent faire leur beurre sur le peuple, eux sont des carriéristes. Ce sont des personnes qui ne m’intéressent pas vraiment. Les gens que je vois là-dedans, on n’a pas envie de leur ressembler, ils ne sont pas épanouis, ni équilibrés, à mes yeux.

C’est ça le souci chez les politiques, le côté carriériste, sans réel engagement pour le peuple ?
Pas pour tous je pense, il y en a qui sont de bonne foi et qui essayent de faire les choses bien comme il faut. Mais je pense que le chemin pour quelqu’un qui entre en politique, même pour celui qui part avec des bonnes intentions, est vite tracé.

L’avantage de la musique, c’est l’intemporalité du propos qui nous survit ?
Oui, mais pas pour tout le monde, il y a des gens qui font de la musique et qu’on oublie la semaine d’après (rire)

Mais il n’empêche que c’est gravé. Et est-ce qu’il n’y a pas aussi un revers de médaille, quand les vérités rappées n’en sont plus, ou quand on s’aperçoit en murissant qu’elles n’en étaient déjà pas ? Des choses qu’on pourrait être amené à regretter d’avoir dit à certains moments de sa vie. Est-ce qu’il n’y a pas un revers de médaille à l’intemporalité du propos gravé ?
On a fait un morceau qui s’appelle «Le Revers De La Médaille» avec Akhenaton. Tout a un revers bien sûr, mais sur la voie du guerrier il n’y a pas de regrets. Tout est calculé. Et après on se laisse aller, ça s’appelle l’abandon. Il n’y a pas de « regrets » sur le chemin du guerrier lumineux. La plupart des gens ne travaille plus sur eux-mêmes. Ceux qui regrettent ce qu’ils ont fait sont ceux qui n’ont pas assez réfléchi à ce qu’ils ont fait, avant de le faire. Je pense que c’est ce niveau de conscience qu’il faut amener aux gens, aux enfants, aux parents, aux familles. Un niveau de réflexion, de conscience et de recul, sur soi-même et sur ses propres actes, c’est là où pour moi les gens deviennent intéressants.

« Dès le début, à « l’âge d’or » du rap français, j’étais déjà hors-game. »

À partir du moment où tu as décidé de t’éloigner des médias suite à une émission de télé, on a dit, et tu laissais entendre dans certains textes, que ne pas se montrer évitait d’entretenir le culte de la personnalité. Aujourd’hui, c’est devenu une stratégie commerciale, basée sur les cagoules ou le silence à la Mylène Farmer, qu’est-ce que tu penses de ça ?
Mylène Farmer a commencé avant moi ! (rires)

Je parle de la nouvelle génération de rappeurs, qui utiliseraient cette stratégie du silence non pas sous un angle politique ou philosophique, mais parce que ça participe au buzz. Freeze Corleone par exemple ? Lui, ou d’autres.
Ils ont peut-être raison. Chacun fait ce qu’il a envie de faire en fait. Moi ça ne me dérange pas les gens qui n’ont pas envie de faire d’interviews, comme PNL, ou Freeze, ou d’autres, parce qu’en même temps tu parles parfois avec des gens qui sont très inintéressants en fait. Et puis on n’a pas la science infuse. Moi, ce que je dis, c’est « ma » vérité. Mais est-ce que ça l’est vraiment, pour d’autres gens qui vivent complètement une autre réalité ? Le silence est la première des sagesses. Je le pense réellement. On le voit chez certains sages qui suivent des courants très spirituels. La plupart ne parle pas.

Mais il y a aussi le fait de ne pas se montrer, ne pas montrer son visage ?
C’est bien aussi l’anonymat. Reste caché tu vivras heureux.

Et dans ta carrière, est-ce que ça n’a pas été une forme de handicap comparativement à la carrière d’autres ?
Au contraire, c’est que du positif. C’est peut-être ce qui m’a le plus formé et qui m’a fait prendre le plus de recul.

C’était important de le faire ?
Je ne sais pas si c’était important mais en tout cas ça m’a fait beaucoup de bien. Il y a beaucoup de gens de mon époque qui ne l’ont pas fait, et qui ont explosé en vol. C’est très personnel de toute façon. Je ne juge pas les gens, Il n’y a pas de science infuse dans la façon dont tu dois vivre, il y a plein de chemins pour trouver son équilibre, et des fois les erreurs, les défaites, se tromper, permet d’apprendre beaucoup plus que la réussite et le succès. En tout cas, je ne limiterais pas ces gens-là qu’à des stratégies commerciales, même si aujourd’hui tout a une image et tout est vendable, il faut exister de façon « commerciale » pour que les gens s’identifient à des concepts, c’est une réalité du marché. Mais il n’y a pas que ça.

J’y voyais une forme de liberté, lorsque tu l’appliquais, parce qu’il fallait oser, et pouvoir assumer de ne pas chercher systématiquement à se mettre en avant. Aujourd’hui tu te montres un peu plus ?
J’ai sorti trois albums en trois ans, et si je te dis le nombre de médias qui m’ont relayé, c’est une blague.

C’est un choix ?
Ce n’est pas voulu du tout. C’est juste que les gens ne s’intéressent pas. Beaucoup de gens sont des moutons, on va là où on te dit d’aller. Pourtant il y a plein de choses intéressantes, et beaucoup de médias passent à côté, parce qu’ils ne cherchent plus, pourtant c’est en cherchant qu’on trouve. Toi par exemple tu fais un interview de moi aujourd’hui parce que ma musique t’a touché quand t’étais plus jeune, ça veut dire que tu continues à regarder ce que je fais. Mais tu sais, y a des gens de ma génération qui sont passés à côté de moi à l’époque. Dès le début, à « l’âge d’or » du rap français, j’étais déjà hors-game. (rire)

Mais t’étais une référence quand même, qu’on le veuille ou non ?
Bien sûr. Parce ce que, ce qu’on a amené, personne ne l’a fait, et on ne peut pas passer à côté des choses qui sont bien faites et qui sont vraies. Je fais partie des précurseurs, dont tu ne pouvais pas passer à côté de moi, je fais partie des piliers. Si tu passes à côté d’un pilier ta fondation est instable.

Est-ce plus facile d’être underground aujourd’hui, avec des relais plus nombreux et la possibilité de passer par des plateformes pour diffuser sa musique ?
Ça dépend de ta conception de l’underground. Un rappeur qui a des millions de followers peut être underground ? Est-ce que PNL est underground ?

J’ai l’impression qu’ils se sont fait dépasser par leur succès et que la forte rotation en radio, entre autres, leur a dessiné un statut plus mainstream. Mais c’est une bonne question et un très bon exemple.
Moi, je pense que tu peux très bien être un artiste underground, alternatif, différent, qui représente toujours l’endroit d’où il vient, l’underground, « sous la terre ». C’est pour ça que je te pose cette question sur ce groupe là parce que c’est une référence que tout le monde connait. C’est vrai que c’est très mainstream dans sa diffusion, ils font des centaines de millions de vues, mais la façon dont ils se promotionnent c’est complètement alternatif et complètement underground à mes yeux.

« Si je devais définir la formule secrète par un mot, ça serait : l’équilibre. »

On est d’accord sur ça.
Donc, est-ce que c’est plus facile aujourd’hui ? Je ne pense pas que ce soit une question de facilité, ce sont des choix. T’es toujours face à des choix dans la vie. T’assumeras les conséquences du choix de direction que tu prendras. En tant qu’auditeur, j’ai kiffé des gens qui ont parfois fait des choix qui n’étaient pas les miens, et ça ne m’a pas empêché de les kiffer pour ce qu’ils ont été quand je les écoutais. Je n’attends rien d’un artiste, à part le plaisir, l’éducation, la culture, le relais de l’info, ou le divertissement qu’il me procure. Ce côté de savoir si aujourd’hui c’est bien d’être underground, ou c’est plus facile de percer, est une question que je ne me pose pas.

Ouais, et y a aussi une époque où ça avait son importance ?
Regarde, par exemple, un artiste comme Oxmo Puccino, qui était dans Time Bomb hier, et qui aujourd’hui est chez Canal +, ça ne remet pas en question les classiques qu’il a fait et les morceaux que j’ai aimé de lui. Est-ce qu’aujourd’hui je m’identifie à lui ? Est-ce qu’aujourd’hui lui assume la place qu’il a ? Ce n’est pas grave de le savoir en fait.

C’est quoi la formule secrète ? L’intégrité ?
(rires) La formule secrète est secrète. Bien sûr qu’elle contient de l’intégrité. Elle contient énormément de choses, puisque c’est une formule, elle ne contient pas qu’un élément.
Si je devais définir la formule secrète par un mot, ça serait : l’équilibre.
On atteint l’équilibre de plein de façons. Chercher l’équilibre est le vrai travail que tout le monde devrait faire, parce que l’équilibre implique automatiquement l’harmonie.
Très tôt j’ai vu que c’était là où je me sentais bien. Moi aussi, comme beaucoup de gens, je suis allé dans des extrêmes, j’ai vu la déchéance humaine et ses conséquences, ça ne m’a pas intéressé.

Assassin a écrit une partie de l’histoire du rap français. Tu dirais que c’était à quels niveaux exactement ? Qu’est-ce qui fait qu’un groupe entre dans l’histoire ?
Sincèrement je ne sais pas. Le seul truc que j’ai fait, c’est que j’ai écrit mon histoire. Si en écrivant mon histoire j’ai écrit une partie d’une histoire, tant mieux, mais ce n’est pas moi qui le dis.
Pour certaines personnes oui je suis une partie de l’histoire, mais pas pour tout le monde. Il y a plein de gens qui ne me connaissent pas et qui ne me connaitront jamais.

La série Le Monde De Demain a remis un coup de projecteur aussi ?
Quand t’as quarante ans de culture dans un pays, automatiquement il va y avoir de plus en plus de choses qui vont parler de ça. C’est une évidence. Il y a eu énormément de reportages sur le blues, le jazz, la soul… c’est normal en fait qu’aujourd’hui le hip-hop français, soit raconté sous des formes diverses comme des documentaires, des biopics, etc…

Sauf que tout le monde n’est pas cité ?
Oui, ça parlera de celles et ceux qui ont été les « héros » de cette culture, les gens qui étaient actifs et qui ont fait que cette culture a eu des choses sur lesquelles on peut s’appuyer et s’inspirer.

T’as pensé quoi de la série Le Monde De Demain ?
Je ne l’ai pas vu, je n’ai pas de télé (rires).

T’as pas eu l’envie de voir ce qu’il s’y disait ?
Je pense que ça a dû intéresser les gens qui ne l’ont pas vécu, mais moi je l’ai vécu de l’intérieur. Et je suis dans le présent, je viens de sortir un album y a trois semaines. Je ne me raconte pas. Par exemple, mon livre Chronique d’Une Formule Annoncée c’est trente ans de culture urbaine, mais ce n’est pas une biographie, ce n’est pas du voyeurisme. Je raconte un parcours qui continue. Les gens qui sont dans l’action et qui continuent d’être créatifs n’ont pas le temps de se raconter, ni regarder les gens qui les racontent.

Est-ce que tu as pu avoir estimé être considéré comme l’oublié de cette histoire du rap français ?
Sincèrement, non, parce que je connais ma place. Par contre, être la personne boycottée, oui. L’oublié non. Personne ne m’oublie, je suis dans la tête de tout le monde (rire). Je suis dérangeant dans la façon dont j’ai avancé, dérangeant pour ceux qui ont une raison de ne pas me citer ou me prendre en référence. Cela est très lié au microcosme du hip-hop parisien, c’est des gens qui ont des problèmes personnels avec moi.

Tu fais référence aussi bien aux médias qu’à l’industrie musicale ?
Je connais tout le monde, je suis là depuis le début. J’ai envoyé chier beaucoup de gens, en étant ado, jusqu’à aujourd’hui, parce que je me suis retrouvé dans des situations où je pouvais me le permettre, et surtout parce que j’avais raison. Boycotté, oui, pas oublié, il y en a beaucoup qui rêvent encore de moi, ou qui font des cauchemars. (rire)

Pour changer de sujet, j’aurais aimé parler de phobocratie, ou du pouvoir par la peur, et savoir comment tu vois ça. Est-ce que c’est le meilleur moyen d’obtenir le pouvoir, et le conserver ?
Bien sûr. C’est une évidence mais ça dépend de ce que tu regardes. La peur des médias t’atteindra si tu les regardes. Si tu te lèves le matin et que tu regardes autre chose, les oiseaux qui volent dans le ciel, la mer, la ligne d’horizon, que tu travailles la terre, tu médites, tu lis… leur peur ne peut pas t’atteindre. Comme sur tes réseaux sociaux, tu es ton mur d’actualités, tu es ce que tu suis. Si tu suis de la merde, c’est normal que ton mur d’actualités soit rempli de merde.

T’as réussi à t’exclure de ça et ne pas te laisser happer ?
T’es obligé en fait, sinon tu ne vis pas ! T’es face au chaos, en permanence. Si t’allumes ta télé et que tu regardes ce qu’on te propose dans le fil d’informations, tu vas avoir peur de mettre ton pied dehors ! Des intégristes partout, des gens qui te sautent dessus et qui te dépouillent, le diable qui est présent, le monde qui va te manger (rire)…c’est la folie votre monde là !

Est-ce que dans ton parcours on t’a déjà taxé de complotiste pour te discréditer ?
Je n’écoute pas les gens qui parlent comme ça. Complotiste, je ne sais même pas ce que ça veut dire. Il y a surement des personnes qui m’ont taxé de complotiste, comme j’ai été le premier à écrire là-dessus dans le hip- hop français, sur les sociétés secrètes etc.. c’est sûr que ça anime le débat (rire). Mais ce n’est pas grave s’ils n’ont retenu que ça dans ce que j’ai donné. J’ai écrit à 360 degrés, ça va de «Illuminazi 666» à «Éternel Apprenti», de «Au Fond De Mon Cœur» à «Too Hot For TV». On ne peut pas me cerner et me mettre dans une case. Je suis comme l’eau, je prends toutes les formes.

Pour conclure : quels sont les ingrédients du nouvel album ?
La passion de la musique qui fait que je continue à créer, l’envie de faire des choses. C’est aussi une vision du monde dans lequel on vit, que j’avais développée dans l’album Prison Planet sortie en 2021, j’en ai rajouté une couche avec PP+. Ce disque parle d’un monde de vitesse, et de sur- information, qui n’est pas sain pour nous. C’est pour ça qu’à travers ce que j’ai développé dans ces disques, j’ai toujours l’autre côté, qui est d’aller vers un monde meilleur au rythme de la terre. Il est très important aujourd’hui (vu qu’on essaye à travers cette nouvelle société numérique, et demain encore plus poussée au niveau du mix biologique et technologique) de nous amener vers des sociétés qui ne sont pas bonnes pour l’être humain. À travers ce nouvel album, je donne un point de vue sur ce que le présent est, et ce que peut être le futur, je pense à un morceau comme «Zee-Town» par exemple. À côté de ça, j’essaye d’amener les gens qui continuent e m’écouter à un retour à la nature et à l’esprit sain, aux traditions millénaires pour que l’être humain soit toujours en harmonie avec son environnement. Je ne sais pas si j’y arrive, mais j’y arrive des fois au moins pour moi- même.

Et y a au moins une proposition ?
Oui, mais y a surtout des actes. Je ne fais pas que proposer, je mets en pratique, ce n’est pas que de la théorie. J’ai trente ans d’indépendance tout en étant toujours là. C’est un vrai travail de fond. Les personnes qui continuent de m’apprécier pour le travail que j’ai fait, pour l’artiste que je suis, sont souvent des gens assez équilibrés, c’est ce que je vois dans les gens que je rencontre. Je crois toujours en l’être humain, j’ai toujours foi en l’homme. Je pense que ce n’est pas qu’un monstre. C’est pour ça que je me concentre beaucoup sur les enfants et les adolescents dans mon travail. Une des clés de l’harmonie est l’amour, une des preuves d’amour est le temps accordé à ceux qu’on aime. Faire des cadeaux c’est bien, mais le plus beau des cadeaux est le temps que tu donnes aux gens.

Merci beaucoup ROCKIN’SQUAT !
Avec grand plaisir Scolti, à bientôt !