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IDIOT SAINT CRAZY ORCHESTRA © Sarah Alcalay

VALENTIN CARETTE

IDIOT SAINT CRAZY ORCHESTRA, YOLK, DEATH TUBE, SCATHODICK SURFERS…

Par aSk

Nous l’avions rencontré (ou plutôt retrouvé, mais ça c’est une autre histoire) en 2020, lors d’une performance solo au LAAC, l’un des musées magiques de Dunkerque. Entre généalogie, cinéma, réflexion sur le statut de musicien et sur les influences, recettes de pedalboard et autres sortilèges théoriques et pratiques, voici notre entretien fleuve avec VALENTIN CARETTE, l’un des sorciers de la six (et parfois huit et douze !) cordes les plus passionnants de la région et de sa génération.

Comment envisages-tu l’exercice du solo ?
L’exercice du solo est certainement le plus difficile, et plusieurs fois je me suis dit que je devrais arrêter de faire ça, car par moments cela a été plus de doutes et de souffrances qu’autre chose. Je vois ça comme une introspection partagée plutôt qu’un super ego-trip. Avec les problèmes et la joie que ça peut procurer. Il faut être dans de bonnes dispositions pour faire cela ou être complètement détaché. Je suis rarement détaché, mais pour cette date au LAAC (solo intitulé « Mother’s Milk » et joué deux fois le 26 juillet 2020 au LAAC de Dunkerque – NDLA), j’étais dans de très bonnes dispositions. L’envie de jouer, un cadre intéressant, un accueil agréable, des têtes connues et des têtes inconnues. Cela dit, sur les deux concerts, j’étais plus précis au second. J’ai fait pas mal de pains pendant le premier set car je me fais souvent déborder par mes émotions. Ça ne s’améliore pas en vieillissant. Je travaille mes sets comme un forçat mais ça ne suffit pas, il faut trouver le bon canal entre maîtrise et lâcher prise. Mais, sur ce coup-là, je n’ai pas envie de m’auto-flageller, j’ai passé un très bon moment et plein d’amis étaient là pour le deuxième set, ce qui d’habitude me paralyse, mais ils étaient loin, je ne les ai identifiés qu’à la fin. Et ça m’a touché.

Est-ce que ta ville t’inspire ?
J’ai quand même pas mal voyagé, surtout avec la musique, mais je dois dire que je suis souvent content de rentrer à Dunkerque car c’est un peu mon cocon de travail et d’amitiés. Je dirais que Dunkerque, avec des initiatives telles que le Jokelson ou le festival Mon Inouïe Symphonie (au début), qui datent un peu certes, m’ont permis d’inviter pleins de musiciens du monde entier mais aussi d’expérimenter plein de choses musicalement. De rencontrer Fred Frith, entres autres, ce qui a complètement changé ma vie.

Il y a une espèce de liberté créative dans cette ville intimement liée aux espaces portuaires vagues qui sont très inspirants. Dans le même temps, c’est une cité qui a une histoire ouvrière populaire intéressante et une forte concentration de groupes de Metal/Hardcore. Malgré cette diversité, c’est parfois compliqué de connecter les musiciens entre eux, entre diverses esthétiques, faute de lieu fédérateur. Il y a peu d’endroits où la scène locale peut s’exprimer, un peu comme dans toutes les villes malheureusement. Mon travail de professeur de guitare au Conservatoire me permet, aussi, d’arpenter divers lieux de concerts dans la ville avec les élèves, ce qui me paraît être, si ce n’est une des finalités de l’enseignement, un chouette pied à l’étrier.

Écris-tu ta musique ?
Absolument pas, c’est parfois gênant pour certains de mes collaborateurs. Je suis capable de le faire, mais je n’ai jamais fonctionné de la sorte. Je passe souvent par la création de fichiers MIDI pour prendre du recul sur les harmonies et les mélodies et les écouter avec un autre timbre. Ça me permet de tenter et d’expérimenter des choses qui ne viendraient pas naturellement sur mon instrument. Et j’envoie aux membres de mes groupes, et je peux exporter ces fichiers en partitions (mais je ne le fais pas). Cela vient sûrement du fait que je ne joue quasiment que ma musique. A part dans l’enseignement, où là je travaille avec partitions et tablatures. Je pense que cela vient du fait que je suis autodidacte. J’ai appris la guitare dans les années 1990, et je passais des heures à faire des relevés de solo de Hendrix, de Portishead ou de Kurt Cobain. Ça m’a permis de développer mon oreille, organe auquel je fais toujours confiance. La vue a tendance à me parasiter. Question d’apprentissage et d’habitude. Je n’ai jamais de partition devant moi, je ne ressens pas la musique si je ne la connais pas par cœur. Ce qui demande parfois un temps de travail colossal. J’ai été invité sur par mal de projets avec partitions, notamment tout un set avec la chanteuse turque Senem Diyici. Je ne suis pas sorti de chez moi pendant une semaine pour apprendre toutes les structures, les départs sur le deuxième temps de mesures impaires et des thèmes impossibles. Mais au moins, j’étais prêt !

Par ailleurs, quand il s’agit de composer à la guitare ou pour la guitare, je continue obsessionnellement jusqu’à avoir cette sensation de satiété, de plénitude et d’accomplissement. Mes morceaux doivent continuer de m’émouvoir une fois terminés, sinon, ils ne sont pas bons (à mon sens). Et quand je bute sur une partie ou une transition, je me pose la question de savoir ce que j’aimerais entendre après, et j’y pense constamment, même quand je n’ai pas d’instrument. Des fois, les choses se débloquent à des moments incongrus. Je pense avoir toujours eu une bonne mémoire, et faire de la musique a contribué à développer cela encore plus. Perdre mes facultés cognitives est sûrement une des choses les plus angoissantes (avec l’usage de mes mains) qui pourrait m’arriver. Je ne vis pas (trop) dans le passé, mais je porte une très grande importance à me souvenir des conversations, des rencontres, des endroits et des morceaux que je compose ou apprends.

« Marc Ribot, qui en traversant les époques, est, pour moi, « LE » guitariste au sens traditionnel du terme… »

Quel a été ton premier choc guitaristique ?
Il y a un choc conscient et un choc inconscient. Et des phases entre les deux (et beaucoup d’autres après). Il y a toujours eu de la musique très variée à la maison, du free jazz, du Tom Waits, du Albert Marcœur, du Bobby Lapointe, du Thiéfaine, des trucs du moment. Mais je me souviens d’avoir entendu « Hey Joe » version Hendrix (ouh le cliché) à la radio vers 13 ans, et m’être dit « ok, c’est ça, je veux faire ça ».

Le choc inconscient, c’est le morceau « Clap Hands » de Tom Waits dans Rain Dogs. Mon père a toujours écouté ce disque dès sa sortie, et ce morceau a toujours résonné en moi, avec cet ostinato de marimba réutilisé dans l’émission Que le meilleur gagne à la fin des années 80. Ce solo mi blues arraché et cette descente dissonante m’ont toujours marqué. C’est un des plus beaux solos de guitare, et la guitare dans cet album a un son et un espace qui restent une référence absolue pour moi. Il s’agit de ce cher Marc Ribot, qui en traversant les époques, est, pour moi, « LE » guitariste au sens traditionnel du terme. C’est le son d’une guitare électrique et cette énergie intrinsèque du rock’n’roll et de la soul que Marc Ribot transmet à chaque note, même quand il fait du free. C’est un peu l’histoire vivante de la guitare pour moi, ce mec. Après, j’aime tout autant énormément beaucoup d’autres guitaristes pour d’autres raisons. Mais le guitariste qui était déjà là quand je ne jouais pas et qui est encore plus haut aujourd’hui, c’est lui. Entre deux, mon frère et moi, on écoutait plein de disques dans sa chambre. On écoutait de l’acid house mais aussi Slayer. Et avec les vidéos de skate, Primus et d’autres choses bien tarées pour un pré-ado.

Et les trois autres chocs qui ont été mon moteur pour la guitare vers 13 ans, c’est Adrian Utley de Portishead, Kurt Cobain et Keziah Jones (je jouais énormément de funk aussi au début de mon apprentissage de la guitare, la meilleure musique pour avoir une bonne main droite).

Je dois dire que j’ai du mal à m’arrêter là, car j’ai eu beaucoup de chocs guitaristiques dans un laps de temps très court quand j’ai commencé la guitare électrique à 14 ans. Il y a eu Frank Zappa avec le Live In New York (le morceau « Cruisin For Burgers » est le premier morceau que j’ai écouté de lui (et c’est toujours mon préféré). Il y a eu la guitare folle de Primus et par extension de The Residents que j’ai assimilée à Snakefinger plus tard. Et, à 15 ans, je rentre de soirée et j’allume Arte, et je tombe sur la première diffusion française de Step Accross The Border, le passage avec le quartet de guitares, et ça m’a fait un effet surnaturel. J’aimerais revivre cette sensation un jour, de fascination et d’incompréhension. Et il y avait Steve Hillage de Gong et Trey Spruance de Mr Bungle, très tôt aussi.

Tu aurais voulu prendre la place de quel(le) guitariste dans quel groupe ?
C’est dur, il y en a plein… Du coup, la question ce n’est pas quel guitariste aurais-tu voulu être mais plutôt quel est celui que tu voudrais virer pour jouer avec ce groupe de folie… Y en a beaucoup… et en même temps, quand j’aime un groupe, j’aime l’ensemble… J’aurais bien aimé jouer dans Naked City, Portishead, Mr Bungle ou pour Tom Waits, et tant d’autres…

As-tu déjà travaillé sur la forme du ciné-concert et/ou de l’installation sonore ?
Oui, j’ai fait des ciné-concerts avec YOLK (sur un film de pêcheurs par Storke), avec DEATH TUBE (mon duo de musique électronique avec Delphine Delegorgue, sur Safety Last de Harold Lloyd), mais ça date. Plus récemment, j’ai composé la musique de Feu Sacré, un dessin animé de Belinda Annaloro. Et avec la plasticienne Pauline Delwaulle, on a créé, en lien avec Fructôse, la croisière cosmique « Légendes Sonores » qui s’apparente à une installation sonore. Il s’agit d’une croisière de nuit (sur un bateau type bateau mouche) dans le port industriel de Dunkerque. C’est assez magique la nuit. Il s’y passe beaucoup de choses. Elle commence par une performance et je l’accompagne en musique. Puis elle projette des images cosmiques sur les berges avec un vidéoprojecteur de ciné, des films sur les coques de bateau, pendant que je joue. Plus des surprises que je ne dévoile pas car il faut faire la croisière pour les découvrir. Et dans un deuxième temps, dans la cale du bateau, je fais un set plutôt électronique où je suis batteur et où je joue avec des synthés analogiques, le tout habillé en cosmonaute. Sur ce set, Pauline projette des vidéos de sa création. Par ailleurs, j’ai composé des musiques de film pour mon ami Loïc Blanchefleur.

Pour quel film aurais-tu aimé composer la musique ?
J’ai beaucoup de mal à répondre à cette question… Car faire de la musique de film est un rêve depuis longtemps. Mais je pense que je me sentirais à l’aise chez Dario Argento, dans des films d’horreur (psychologiques ou ridicules), ou des films apocalyptiques, ou des films contemplatifs, ou sur l’adolescence et le sentiment amoureux. Ou tout ça en même temps. J’aurais bien aimé avoir un morceau dans la saison 3 de Twin Peaks aussi. J’aimerais composer pour des films pour lesquels on se souvient plus de la musique, comme Ennio, hahaha ! Non, plus sérieusement, j’aimerais travailler pour une ou un réalisateur au plus proche de ses envies, ou qu’on m’appelle pour mon style. C’est quelque chose sur lequel je dois travailler. J’aurais aimé composer « Le Thème de Camille » de Georges Delerue (qui, au passage, était le cousin de ma grand-mère, mais je ne l’ai jamais rencontré, j’aurais rêvé de prendre des cours d’harmonie avec lui), qu’on entend dans un petit film pas très connu de Godard (haha huhu)…

As-tu pu avoir accès à des archives, ce genre de choses ?
Non. Rien de rien. Et je le regrette. On m’a dit qu’il s’était un peu éloigné et qu’il avait une superbe villa à L.A., ce qui me faisait fantasmer dans ma préadolescence. Pendant le confinement, il m’est arrivé deux trois bricoles difficiles à gérer émotionnellement qui m’ont amené à réfléchir encore plus profondément sur l’idée de ce qu’est la famille. Dans cette réflexion, entre autres, m’est venue l’idée de faire un conte radiophonique dans lequel j’interviewerais ma grand-mère (qui elle a des archives et une histoire avec Georges du coup) et d’autres personnes. D’essayer de retrouver sa trace et d’essayer de faire un lien entre mon approche musicale et la sienne (en me faisant tout petit bien sûr). Je lui dois presque la vie. Il était ami avec mon grand-père paternel, feu Albert Carette, et c’est lui qui lui a présenté sa cousine, Thérèse Delerue, ma grand-mère. Viva Albert et Thérèse ! …

« Il (Fred Frith) m’a fait prendre conscience de l’intérêt de la musique improvisée libre pour elle-même, mais aussi comme vecteur de composition. »

Valentin CARETTE © Alexandre Czapski

As-tu bénéficié de coaching/regard extérieur sur ta pratique (aussi bien sur tes postures par exemple que sur l’aspect « management ») avant d’envisager d’enseigner toi-même ?
D’un point de vue physiologique, non, alors que je souffre beaucoup des cervicales. Mais un peu moins ces dernières années car je rectifie un peu ma posture. Mais j’ai lu à ce sujet et j’ai discuté avec des kinés, des ostéos et un spécialiste de la posture du musicien pour tenter d’éviter certains écueils à mes élèves. Mais, à un certain niveau, jouer d’un instrument est destructeur (pas que psychologiquement, haha). Le piano, le violon mais aussi la guitare qui implique une posture asymétrique à s’y méprendre. Je passe donc du temps dans mes cours à rectifier postures et positions.

Si tu parles de posture scénique, non. Une fois, j’ai fait une résidence avec YOLK avec un coach scénique, ça m’a dégoûté de charlatanisme, mais je suis sûr qu’il doit y en avoir des bons. Ceux que j’ai rencontré t’indiquent la marche à suivre pour te conformer à un système « musiques actuelles », plutôt que de t’aider à avancer sur ton projet. C’est donc contre-productif.

Par ailleurs, j’ai eu la chance de rencontrer certaines de mes idoles, mais pas seulement, dans des contextes pédagogiques. Quand je programmais pour le festival Mon Inouïe Symphonie, je tenais toujours à ce qu’il y ait un volet pédagogique, c’était un peu, au début tout du moins, la signature du festival. Il y a donc eu cette rencontre avec Fred Frith au début des années 2000 (lui-même est prof au Mills College à Oakland et à Basel en Suisse). Il m’a fait prendre conscience de l’intérêt de la musique improvisée libre pour elle-même, mais aussi comme vecteur de composition. Mais aussi de l’intérêt de l’improvisation sous contrainte ou comme « outil » pédagogique. Mon mémoire de fac parle beaucoup de ça. J’ai fait un stage d’impro avec John Butcher, de rythmique corporelle, de pulsation intérieure et d’improvisation avec Albert Marcœur. Et j’ai assisté au SyndaKit d’Elliot Sharp. Ce genre de choses.

Comment s’est effectué le glissement autodidacte > pédagogue ?
Avec énormément de travail. J’ai travaillé énormément la théorie et la technique. J’ai appris à mettre des noms sur ce que j’utilisais déjà et ai compris plein de systèmes qui m’échappaient. Ça a même un peu déformé mon jeu. La charnière est mon album 12.12.12 (sous le nom IDIOT SAINT CRAZY) qui est clairement un disque de shredder chelou avec des tappings et du djent, entre autres. Je ne regrette pas ce disque mais il est symptomatique, d’histoires personnelles certes, mais aussi du fait que mes élèves me demandaient des choses très techniques qui ont influencé mon jeu. Le morceau « Adule Et Sens », en plus de ma fascination pour les polyrythmes et Steve Reich, évoque cette espèce de reconnexion, grâce à l’énergie que m’envoient mes élèves, avec ma propre adolescence et l’adolescence en général avec son lot de fantasmes et de désillusions.

Tiens-tu une sorte de carnet de bord, éprouves-tu le besoin d’écrire régulièrement sur ta pratique instrumentale et/ou pédagogique ?
Absolument pas. Je fais confiance à ma mémoire. Et je ne suis pas à l’aise avec les mots. J’ai un profond amour pour certain(e)s auteur(e)s, mais les mots ont tendance à m’enfermer dans une normalité, à « clôturer » le sens d’une certaine manière. Je trouve la musique plus universelle, ambiguë et subjective. Ce qui est contradictoire, certes. Mais, pour moi, et c’est du pur jugement de valeur mais c’est ce que je pense et ressens, la musique exprime des choses profondes sur la sentimentalité et le monde avec parfois une pudeur ou une violence folle qui ne nécessite pas qu’on ait à les formuler. Sur ma pratique pédagogique, j’ai dû rédiger un programme clair par cycles.

… à moins que ce carnet de bord prenne la forme d’un objet vidéo… Est-ce qu’un pendant filmique à l’un de tes albums a été envisagé ?
Oui, un pendant filmique a été envisagé sur mon prochain album solo qui est terminé. Mais l’épisode Covid a retardé plein de choses et a brouillé des pistes, du coup, je ne suis pas certain que cela se fasse.

As-tu déjà animé des Masterclass ?
Oui, j’en avais fait une sur les nouveaux gestes du musicien (le rapport à l’électronique, les loopers, les contrôleurs MIDI, etc.), mais c’était il y a quelques années maintenant, et si je voulais l’actualiser il me faudrait des années de travail. J’en ai fait une récemment sur les pédales d’effets aux 4 écluses.

Mais j’en ai aussi organisé plus d’une, notamment quand je m’occupais du festival Mon Inouïe Symphonie : Fred Frith, Elliott Sharp, John Butcher, Kevin Blechdom, Jacopo Andreini, entre autres.

Songes-tu à poster des vidéos didactiques sur le net un jour ?
J’y pense tous les jours depuis que je suis prof, ne serait-ce que pour aborder ou approfondir certaines notions parfois effleurées avec mes élèves, ou simplement pour qu’ils puissent re-consulter mes cours en ligne. Le truc, c’est que ça prend un temps de malade et que l’enseignement m’en prend déjà beaucoup. Aussi, il y a pléthore de chaînes super intéressantes, il faudrait que je trouve un axe un peu original pour ne pas être complétement dans la redite. Si je m’y mets, je commencerai par disséquer mes morceaux je pense. Le confinement et l’enseignement forcé à distance m’ont convaincu qu’il faudrait vraiment que je m’y mette rapidement.

Que souhaites-tu transmettre, que préconises-tu aux guitaristes en herbe ? Quelles sont les erreurs à éviter quand on débute ?
Mon but est d’accompagner les élèves dans un projet et de les rendre autonomes. Même si je dois les influencer parfois car ils connaissent mon travail, je n’impose pas mes goûts, je les propose et ils disposent. Je ne sais pas s’il y a des erreurs en musique. Il y a des fausses notes, mais c’est le système musical qu’on va décider d’utiliser et d’accepter qui va décider si la note est fausse. Je dirais qu’il y a des postures et des gestes qui vont favoriser une bonne exécution. Mais ceux-ci doivent être dirigés vers un but précis. Je reste attaché à la technique instrumentale et je me vois aussi comme un généraliste, car cette profession l’implique. Je peux affiner précisément sur certains genres également, mais je ne pourrais pas enseigner le jazz, par exemple, ce n’est pas dans mes compétences et d’autres profs le font très bien. Je ne suis pas un bon exemple à ce sujet mais je pense qu’il ne faut pas trop se disperser musicalement quand on commence, car la masse de travail est infinie. Finalement, le fait que certains de mes élèves soient parfois « bornés », quand ils sont jeunes j’entends, ne me dérange pas plus que ça car ça les fait avancer dans un registre. Après, je me dois de leur apporter de la polyvalence tout au long de leur cursus car j’enseigne dans un conservatoire et cela implique une validation des connaissances. Il y a trois cycles de 3 ans. Le fonctionnement en cycles (et non en années) permet d’aborder de larges notions, et le premier cycle est souvent synonyme de découvertes.

« Avec ISCO, nous changeons de masque pour changer de tableau musical, mais aussi pour proposer une esthétique. Nous sommes en train de revoir cela d’ailleurs. »

Quel(le)s sont tes maîtres/maîtresses à penser la 6 cordes ?
Fred Frith pour les idées, la composition et le mélange des genres, la mélancolie et la générosité. Marc Ribot, LE son.
Robert Fripp, rigueur, sustain, utilisations des gammes symétriques, riffs de dingue.
Snakefinger, la bizarrerie dans le génie pop.
Jack Rose, la volupté.
Steve Hillage, le « Johnny guitar », son utilisation scientifique du delay et du phaser.
Adrian Utley, le son et la fausse simplicité.
Trey Spruance, la composition et le mélange des genres.
Larry Lalonde, les riffs et l’utilisation des effets.
Fredrik Thonderdal, la radicalité et la science rythmique du charpentier suédois.
Buckethead, le shred intelligent.
Pour les principaux, mais la liste pourrait être interminable.

Et pour les femmes qui ont eu une influence sur moi : Iva Bittova, Meredith Monk, Wendy Carlos, Beth Gibbons, Gazelle Twin, Anna Calvi, Diamanda Galas, Le Mystère des Voix Bulgares, Kim Gordon, Gilli Smyth, Shelley Hirsch, Björk, Carla Kihlstedt, M.I.A, Glass Candy, Liz Frazer, Lisa Gerrard… En ce moment, Anna Von Hausswolff. Et il doit y en avoir beaucoup d’autres, mais ce sont celles qui me viennent à l’esprit aujourd’hui !

Combien de guitares possèdes-tu ? Parviens-tu à éviter l’écueil du G(ear) A(cquisition) S(yndrome)…?!
Ha ha ! Je suis percé à jour. Je dois avoir une quinzaine de guitares. Dont des trucs vraiment ésotériques et peu chers mais dont je me sers très souvent. Je revends souvent celles qui ne servent pas pour en essayer d’autres, c’est un roulement perpétuel. J’essaie de pas être trop musi-consommateur, mais j’achète beaucoup de pédales d’effets. J’essaie néanmoins de rester sur le marché de l’occasion et je revends systématiquement, car je n’ai d’attaches que pour ce qui me sert. J’ai toujours joué avec des effets, ça me fascine et me passionne. Mes principales guitares sont une Telecaster US Thinline de 91, une Duesenberg Paloma, une Gibson 135, une Danelectro Longhorn Baryton, une Yamaha Pacifica 12 cordes et une Strat Richie Sambora ! Elles servent toutes tout le temps.

Quelles originalités t’autorises-tu côté montage dans ta chaîne d’effets ?
Je pense que c’est plutôt les effets que j’utilise qui peuvent être originaux, ou ma façon de les utiliser peut-être parfois, plus que le montage. J’utilise beaucoup la marque Eventide (The Residents, Zappa, Fripp, etc.) qui joue sur le pitch (mais pas que), et ce genre d’effets est plutôt en début de chaîne sinon la reconnaissance des notes est moins efficace. La PitchFactor d’Eventide m’a permis de créer des morceaux tels que « Frisson Frippon » ou « Dunkirk Counterpointless », qui sont à base de delays harmonisés (je joue une note et je demande à la pédale de répéter jusqu’à quatre intervalles précis sur un mode donné). Je n’aurais pas pu composer ces morceaux avec un autre effet. Ou alors d’avoir des textures de synthés analogiques, comme sur le solo du « Prince De Ce Monde » d’IDIOT SAINT CRAZY ORCHESTRA (je ne joue qu’un Ré à vide avec un fuzz et un delay phasé, et avec la pédale d’expression je peux jouer toutes les notes d’un mode, ce n’est pas fatigant et super agréable à faire, du coup, ça gomme les attaques et permet à la guitare de s’exprimer dans un autre registre).

J’utilise plein de delays différents, donc plusieurs pitch shifters, parfois en même temps, des pédales de freeze et de glitch, ce qui est moins courant. Mais, j’ai tendance à utiliser les pédales dans un ordre assez classique : fuzz/compresseur/pitch/overdrive/distortion/modulations/delays/reverbs.

As-tu déjà joué dans des festivals dédiés aux projets solo ?
Non. J’aimerais bien. J’ai joué au festival international de loop (que des musiciens qui se loopent sur scène, haha) et il n’y avait que des solos. C’était aux Voûtes à Paris, c’était super. J’ai rencontré plein de gens très pointus et intéressants. Notamment Michael Peters (un ancien élève de Robert Fripp) que j’admire, et Georgina Brett qui m’a invité plusieurs fois à jouer à Londres.

Etait-ce nécessaire pour toi à un moment donné de développer IDIOT SAINT CRAZY à travers un groupe ?
J’ai longtemps joué ISC en solo masqué, et j’ai essuyé toutes les joies et les déconvenues. Et, force est de constater que les morceaux d’ISC ont toujours été composés, pas forcément consciemment, pour un groupe. Un moment, j’en ai eu marre de jouer sur un back track. C’est pour ça que je me suis remis à faire des solos « guitare-guitare » sous mon vrai nom, et que ISC est devenu ISCO. J’estime d’ailleurs qu’on est encore en rodage. Je pense que le prochain disque d’ISC (ooooo) sera plus rythmique et moins éclaté dans les styles, et les concerts seront moins bling bling. On est en train de passer une étape. On se recentre plus sur la musique, moins sur le visuel.

A propos de l’esthétique et des choix scéniques, par rapport à l’utilisation des masques notamment – que j’imagine ultra contraignante mais qui s’inscrit dans la logique des influences que tu cites (The Residents, Buckethead…). Se masquer seul / se masquer à plusieurs : qu’est-ce que ça change ?
Oui, clairement, ma fascination pour The Residents a défini la « mise en scène » d’IDIOT SAINT CRAZY. Ils sont les rares à avoir su créer un art total. Cela dit, je m’en fous de l’art total. Je ne recherche rien de total. C’est juste que, pour moi, The Residents ont toujours eu une absolue cohérence dans tout ce qu’ils ont touché. Il n’y a pas de différence entre leurs disques, ce qu’ils sont sur scène, leurs artworks, leurs DVD, leurs expos au MOMA etc., tout s’imbrique tout le temps. Ils ont le toupet (enfin ils ont eu, RIP Hardy Fox) de dire qu’ils n’étaient pas musiciens. Ce qui est vrai et faux. La musique est souvent de très haute volée, mais ils ont raison dans le sens où c’est autre chose que de la musique.

Concernant ISC ou ISCO, c’est d’abord de la musique. Je ne suis sûrement pas le moins égotique des musiciens, oh non sûrement pas, mais dans ISC, je veux disparaître civilement pour basculer dans la mythologie. Ce que font très bien The Rez, ils ont créé des mythes contemporains. Ainsi qu’une sorte d’idiome de musique populaire. Avec ISCO, nous changeons de masque pour changer de tableau musical, mais aussi pour proposer une esthétique. Nous sommes en train de revoir cela d’ailleurs. Car oui, les concerts sont souvent un enfer. Nos masques ne sont pas du tout étudiés pour jouer, et ça nous dessert souvent musicalement. On est en train de chercher à raconter une autre histoire.

Au-delà de l’aspect « accompagnement » dans le champ des « musiques actuelles » (et il y aurait de quoi dire aussi sur ce vocabulaire), y a-t-il eu un travail de mise en scène (ou à venir) autour du masque ?
Non, je collectionne les masques. C’est comme une nouvelle rencontre à chaque fois. Et quand je compose un nouveau morceau pour le groupe, il est distribué à tel ou tel tableau. Il y a plein de couches et de sous-couches dans ISCO. Des choses légères et des choses profondes et des fois, je ne sais pas. J’ai envie de jouer ça. Cela dit un regard extérieur et une collaboration avec des professionnels ne nous feraient pas de mal. Souvent, on nous dit que le masque met une distance avec le public. Mouais… Ce qui nous ferait du bien c’est de travailler avec un metteur en scène et un costumier. Mais c’est un budget.

« Dans le milieu musical dans lequel j’évolue parfois (certains milieux underground dirons-nous), j’ai souvent ressenti une haine de la technique, guitaristique particulièrement. »

IDIOT SAINT CRAZY ORCHESTRA © Sarah Alcalay

IDIOT SAINT CRAZY n’est-il pas ce « shredder chelou » (et pour reprendre tes mots) en fin de compte…?! Ce personnage (et ses déclinaisons) semble incarner ça en tout cas. Il y a de l’humour et du grotesque. Tu sembles prendre plaisir à tourner en dérision la notion de « guitar hero »…
Oui, et j’ai souvent l’impression que la partie humoristique n’est pas toujours comprise. Car il y a des morceaux très sérieux aussi (genre « The Sea Of Paradise », ça ne déconne pas, mais alors pas du tout pour moi), et c’est déstabilisant pour le public. Mais je n’ai que la monnaie de ma pièce, je cherche l’ambiguïté, les sensations mêlées, l’ascenseur émotionnel, le choc des styles… Je n’y arrive pas toujours. En même temps, qui est tout le temps heureux ou tout le temps triste. Nos pensées ne sont pas sur une même ligne d’une minute à l’autre, pourquoi la musique devrait l’être. Aussi, j’ai d’autres groupes qui ont pour moi une importance toute aussi grande que ISCO et qui me permettent d’exprimer, parfois, des idées plus claires ou juste de me marrer ou les deux, fort heureusement. YOLK a une couleur plus définie. SCATHODICK SURFERS et DEATH TUBE aussi. Et mon projet solo évoque le romantico-gothique ethnique qui est en moi. Concernant le guitar héroïsme, j’ai l’impression que je « shredde » beaucoup plus dans SCATHODICK, et sans aucun complexe.

Dans le milieu musical dans lequel j’évolue parfois (certains milieux underground dirons-nous), j’ai souvent ressenti une haine de la technique, guitaristique particulièrement. Un peu comme les Punks qui se sont mis à conchier les Progeux à la fin des années 70. Cette vieille idée que maîtriser son instrument, c’est mal, c’est bourgeois, hahahaha. J’ai déjà reçu pas mal d’insultes sur mon jeu de guitare. On m’a même traité de PD à pantalon rouge (des punks homophobes qui traitent les pantalons rouges et qui portent des T-shirts H&M, tu y crois toi !?). Tout ça me fait rire et en même temps m’interroge sur le manque de recul de certains musiciens. Et paf, Van Halen meurt et tout le monde aime le tapping. La technique, même si j’y suis attaché, m’aide juste à faire une proposition artistique. Il y a des choses qui s’expriment dans la virtuosité, d’autres dans la crasse. J’aime les deux.

Que retiens-tu de votre passage au festival Crossroads en 2018, ça vous a apporté quoi concrètement ?
Les conditions n’étaient pas idéales pour nous car pas de balances, et il y avait un petit côté surcharge de son avec les groupes qui enchaînent sans interruption toutes les 30 minutes. Après on était contents de l’accueil du public, la plupart ne nous avait jamais vus et ça se sentait. Concrètement, ça ne nous a rien apporté, car quand on joue dans ce genre de dispositif « tremplin » on nous dit « wha, c’est chouette ce que vous faites, mais c’est dur à vendre hein ! » Voilà quoi. J’ai le sentiment d’avoir perpétuellement le cul entre deux chaises. Je ne suis pas assez expé pour la scène expé, mais trop pour les scènes « Musiques Actuelles ». Je ne jouerai pas à l’artiste maudit mais beaucoup d’opportunités de gagner en exposition me sont passées sous le nez. Mais je me dis que j’ai quand même fait plein de tournées dans différents pays, que je suis passé plusieurs fois à la radio, que j’ai des articles dans des revues spécialisées qui me plaisent, alors, je n’ai pas envie de me plaindre même si ça pourrait être beaucoup mieux. Je passe le clair de mon temps à bosser, mais sûrement pas assez à démarcher. Le milieu de l’art appartient à ceux qui savent faire de beaux dossiers de subvention ou qui ont les bonnes connexions, quelle que soit la qualité du travail.

Quels sont tes projets à venir, aussi bien solo qu’avec tes différents groupes ?
Avec mon ami Olivier CLASSE (qui fait toutes mes pochettes de disques et l’identité visuelle d’ISCO depuis un bon moment), j’ai terminé un album solo dans lequel je joue batterie, basse, guitare, Mellotron et percussions. Je suis très content du résultat, ça m’a demandé un boulot de dingue. Je ne sais pas encore quand ni comment ça va sortir.

J’ai également produit un album de DEATH TUBE (un duo de musique électronique que je faisais avec Delphine Delegorgue, la chanteuse de YOLK et d’ISCO parfois aussi), sur lequel je n’ai quasiment rien composé (c’est surtout les morceaux de Delphine). Je n’y joue pas de guitare, mais des synthés et des boîtes à rythmes, et m’occupe des arrangements et du mixage.

Enfin, outre le nouveau set et le nouvel album d’ISCO, je travaille la guitare acoustique, mon prochain cheval de bataille…

Selon toi, une journée sans guitare, est-ce une journée perdue ?
Non, mais une journée avec est toujours mieux.