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MARTHA HIGH

par Patrick DALLONGEVILLE

35 ans aux côtés du Parrain de la Soul, 10 ans avec Maceo Parker : une vie au service de la soul music… Nous avons eu le privilège de retracer avec la principale intéressée le parcours d’une très grande dame, qui attendit si longtemps de se voir reconnue à sa juste valeur.

Bonjour, c’est une interview pour ILLICO!, en France, peut-être nous connaissez-vous ?
Oh oui, tout à fait !

Vous avez vécu en France, si je ne me trompe ?
En effet, et j’y séjourne encore régulièrement.

Avant tout, laissez moi vous dire que j’ai chroniqué votre tout dernier CD qui vient juste de paraître, et que je le trouve sincèrement excellent.
Oh, merci, ça me touche beaucoup.

J’ai eu l’occasion de vous voir avec James Brown dans ma ville natale en 1992…
Wow, ça fait effectivement longtemps…

Qu’importe ! Vous êtes née Martha Harvin à Victoria, en Virginie…
Mon prénom complet est Mary-Martha, et mon vrai nom est bien Harvin en effet. Quant à mon lieu de naissance, c’est exact, je suis une “country-girl”.

Comme le chantait Otis Spann, même si en l’occurrence, il ne devait pas parler spécifiquement de vous !
(Rire) Je ne crois pas !

Mais vous avez grandi en fait à Washington, D.C.
Oui, et j’y ai obtenu mon diplôme du lycée (“high-school”), avant d’entamer une année d’études supérieures. Mais je ne savais pas très bien ce que je voulais faire de ma vie, et j’ai fini par abandonner. Mais je ne regrette rien : si je les avais poursuivies, je doute que je serais devenue chanteuse professionnelle.

C’est pourtant au lycée que vous vous étiez jointe à un ensemble vocal du nom de “Four Jewels” (les Quatre Bijoux) ?
Oui, j’ai vraiment eu beaucoup de chance de les rencontrer. C’est arrivé grâce à Bo Diddley. En fait, je chantais avec deux autres jeunes filles auparavant, et l’une d’entre elles était Zeola Gaye, la sœur de Marvin Gaye. L’autre se nommait Yvonne Smith, et nous répétions de temps en temps chez Bo Diddley, dans sa cave. Les Four Jewels en faisaient autant, et quand l’une d’entre elles (Carrie Mingo) décida de les quitter, elles décidèrent d’auditionner des prétendantes pour la remplacer. Elles ne pouvaient tout simplement pas continuer en trio, avec le nom de leur formation ! Bo Diddley leur parla alors de moi, leur disant que j’étais la meilleure chanteuse du trio auquel j’appartenais. Les Four Jewels étaient toutes issues de la même high-school que moi, j’en connaissais même déjà une personnellement : Margie Clark, puisque nous étions dans la même section. Les deux autres, Sandra Bears et Grace Ruffin, étaient dans une classe plus avancée que la nôtre, mais nous avons fini par travailler toutes les quatre ensemble.

C’est alors que les Four Jewels décrochèrent un hit avec une chanson écrite par Carole King, «Opportunity». En quelle année était-ce ?
En 1964, c’était sorti sur le label Dimension. À l’époque, nous avions un manager du nom de Smokey McAllister, que nous avions connu lors d’une de nos tournées, c’est lui qui nous avait poussées à entrer en studio. Et savez-vous qui nous suggéré d’enregistrer ce titre ? George Clinton !

Sans blague ?
Si, si, il en parle même dans son livre de mémoires. Bien entendu, il n’avait pas encore fondé Parliament ni Funkadelic, à l’époque.

Suite au succès de ce single, vous avez commencé à vous produire un peu partout, et vous êtes ainsi retrouvées à l’affiche de la James Brown revue… Comment cela s’est-il produit ?
Eh bien, comme «Opportunity» était devenu un hit national, nous avons commencé à tourner sur toute la Côte-Est des États-Unis. Et quand nous nous produisions en ouverture de son spectacle à Wahington, le public était si enthousiaste à notre égard qu’il a tenu à assister à notre show. On nous l’a rapporté, et nous étions toutes les quatre toutes excitées à cette idée. Imaginez notre état quand il est venu ensuite nous féliciter dans notre loge ! Il était au sommet en ce temps-là, et nous étions comme des enfants devant lui : le plus grand performer dans le show-husiness nous rendait visite !.. C’était phénoménal, mais la même chose s’est produite à nouveau quatre ou cinq mois plus tard, quand nous avons ouvert sa soirée à l’Apollo de Harlem, à New-York. Le public était chauffé à blanc et trépignait à son attente. Nous étions mortes de trac, nous attendant à nous faire huer. Mais Mr Brown s’est mêlé à la foule pour nous écouter, et sa présence nous a valu le respect du public. Il est à nouveau venu nous féliciter dans notre loge, et nous a dit que son manager allait entrer en contact avec le nôtre, afin de nous intégrer de manière permanente à son spectacle. Ce qu’il fit en effet trois mois plus tard : nous l’avons revu dans le Maryland, et il nous a proposé un contrat. Comme nous étions très jeunes, nous en avons parlé à nos familles. Deux mois plus tard, nous embarquions avec lui pour une tournée sous le nom abrégé de Jewels, et cette aventure dura une bonne année et demi. Hélas, après cela, mes consœurs décidèrent qu’elles en avaient assez de la vie sur la route, et rentrèrent chez elles. J’étais désemparée, je n’avais pas envie d’arrêter alors qu’il me semblait que j’avais enfin trouvé ma voie. J’en ai parlé à Mr Brown, et il m’a dit (imitant de façon saisissante la voix du Godfather) : “Haha, jeune fille, on pourrait arranger ça. Tu pourrais danser et chanter sur scène à mes côtés !“. C’est exactement ce qui s’est produit, et la suite, je suis sûre que vous la connaissez (rire)…

Oui, vous êtes restée auprès de lui pendant les trois décennies suivantes.
Et ce fut une bénédiction de tous les instants.

Vous l’avez même accompagné au Zaïre en 1974, quand il s’y est produit dans le cadre du championnat du monde de boxe qui opposait Mohammed Ali et George Foreman.
Oh oui, c’était fou, sans doute l’un des moments les plus excitants de mon existence ! Le président zaïrois nous avait envoyé un jet privé, et nous y côtoyions une sacrée équipe d’artistes afro-américains : Bill Withers, Sister Sledge, B.B. King, les Spinners, Etta James… Oh mon Dieu, je n’arrive plus à me souvenir de tout le monde, mais dès cette traversée en avion, l’ambiance qui préfigurait ce show était fantastique. Tout le monde chantait à bord et prenait du bon temps, et quand nous avons atterri à Kinshasa, l’accueil de la population fut extrêmement chaleureux. Ce grand concert fut bien sûr un événement merveilleux.

J’imagine (NDR : pour vous en rendre compte, il suffit de visionner le film When We Were Kings, qui relate l’événement). Ensuite, vous quittez James Brown vers 1995…
Non, en 1998, pour environ une année, avant de le rejoindre en 1999. En fait, j’avais déjà du l’abandonner en 1969 et 1970, pour donner naissance à ma fille. Je l’ai rejoint six mois plus tard.

En 1998, vous avez tourné avec Maceo Parker, non ?
Oui, puis je suis retournée auprès de Mr. Brown jusqu’en décembre 99.

C’est le nouveau millénaire qui vous a inspiré ce changement de carrière ?
Oui (rire). J’ai à nouveau rejoint Maceo Parker le 7 janvier 2000, et j’en suis heureuse car il m’a donné la chance d’exprimer ma créativité. Il m’a encouragée à écrire ma propre musique, et m’a permis d’envisager enfin une carrière solo. C’est vraiment quelqu’un de très gentil. Il m’a dit : “si tu désires réaliser quelque chose sous ton propre nom et si je peux t’y aider d’une manière ou d’une autre, n’hésite pas“. C’est pourquoi je continue à travailler encore avec lui régulièrement. Il m’a aidée dans ma carrière, et m’a toujours soutenue.

Vous aviez cependant déjà enregistré un premier album solo en 1979 : High, sur le label Salsoul.
Oui, c’est James Brown qui l’a produit, et je ne peux que lui en être reconnaissante, mais cette opportunité m’est arrivée par surprise. Que je vous explique : il m’a appelée pour me dire qu’il avait besoin de moi pour une session d’enregistrement près de chez lui, en Georgie, mais sans me prévenir en rien des détails de son projet. Je pensais qu’il s’agissait comme d’habitude que j’assure les chœurs sur un de ses disques. Ce n’est qu’en arrivant à Atlanta que j’ai réalisé que le studio était réservé pour moi, et que cet album serait le mien ! Et croyez le ou non, l’ensemble de mes parties vocales furent enregistrées en une seule journée. Le studio n’était réservé que pour deux jours, et j’ai été extrêmement frustrée par cette expérience. Je ne connaissais pas les chansons, je n’ai pas eu le temps de m’y familiariser, je ne m’attendais même pas à les enregistrer en arrivant sur place. Imaginez à quel point j’ai pu être déçue.

Ceci explique sans doute pourquoi il fallut attendre 24 ans avant que vous ne renouveliez l’expérience… Et encore, il s’est alors agi d’un album en public (Live At Quai Du Blues, capté à Paris) ! En fait, vous n’avez plus enregistré ensuite avant 2008, l’album W.O.M.A.N., avec une formation française (les Shaolin Temple Defenders)…
En fait, je considère ce disque live comme la véritable première étape de ma carrière solo. Ce n’est pas ce que j’ai fait de mieux, mais j’en suis tout de même plutôt satisfaite. Avec les Shaolin Temple Defenders, les choses ont commencé à prendre tournure. Ils étaient coopératifs, et m’aidaient à mettre mes idées en forme. C’était le même processus que celui que j’avais expérimenté avec Maceo Parker. Ca a achevé de me donner la confiance nécessaire pour me lancer avec d’autres musiciens. J’ai ensuite enregistré It’s High Time vers 2004 ou 2006 – oh, je ne suis plus certaine de la date exacte, désolée – avec certains des JBs. J’y ai enregistré ma propre adaptation de «The Payback» , dont j’avais assuré les chœurs sur la version originale de James Brown. Cet album n’a pas été édité en Europe, mais on peut le commander sur Cd Baby. Puis, il y eut Soul Overdue avec Speedometer en 2012.

Et voici enfin ce Singing For The Good Times, que vous avez enregistré à Rome.
Oui. J’en suis très heureuse, car cette fois, j’ai eu la possibilité de prendre mon temps, et de construire ce disque posément avec mon producteur, Luca Sapio. Ces chansons qu’il a écrites pour moi, c’était comme si je les avais toujours connues. J’avais l’impression qu’elles parlaient de ma vie. Je n’arrêtais pas de lui demander “On s’est déjà rencontrés auparavant ?”, c’était comme s’il me connaissait très bien. C’est un album qui reflète bien ma vie intérieure, mon côté spirituel, c’est un disque positif. Ça me rend heureuse de le chanter, de l’écouter ou même simplement d’y penser, et j’espère que tout le monde pourra l’appréhender de la même façon.

À ce propos, ce disque sonne très southern soul par moments. Tous les musiciens qui vous y accompagnent sont-ils vraiment italiens ?
Mmm… Pas tous, non. Je pense que le batteur est américain.

Y a-t-il une chance que vous puissiez vous produire sur scène avec ces mêmes musiciens ?
Oh, sans doute, oui, du moins je l’espère…

Les différents climats de ce disque sont tellement ancrés dans la soul des années 60 et du début des années 70, et certaines des chansons qui le composent semblent de tels clins d’œil à votre propre passé (« The Hardest Working Womzn » ou « Singing For The Good Times »)… Vous tournez aussi ces temps-ci avec The Original James Brown Orchestra…
Oui, je me produis avec cette formation de manière intermittente depuis 2004. Comme je l’ai dit, c’est une bénédiction que de pouvoir désormais me produire avec différents musiciens et même de chanter différents genres de musiques : avec les JBs, c’est évidemment le prolongement de ce que je faisais avec Mr Brown, avec Maceo Parker, c’est du pur funk, et avec mes musiciens, c’est à présent ma propre musique : un mix de blues, de soul et de R&B. C’est vraiment ce que j’aime, et comme vous l’avez remarqué, tout cela vient des sixties. C’est définitivement mon époque, et je suis parfaitement à l’aise avec ça.

Nous sommes nombreux à être impatients de pouvoir vous apprécier sur scène dans votre propre répertoire. Il n’est que temps !
Oui, cela m’a pris presque une vie entière. On ne sait jamais de quoi demain sera fait, mais je suis très heureuse de ce que je fais en ce moment.

Remerciements à Manuel Figuères