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MIDOS LADOWZ

Par SCOLTI

MIDOS LADOWZ est un rappeur de la scène Lilloise, ballotté entre la France, le Sénégal et l’Angleterre.

Salut MIDOS LADOWZ, bienvenu chez ILLICO ! Pour te présenter j’aimerais que tu me dises où, et dans quel environnement, tu as grandi ?
J’ai grandi dans trois environnements, j’ai fait les trois huit. De ma naissance à mes huit ans, j’étais à Champigny, de mes huit ans à mes seize ans j’étais au Sénégal, à la frontière du Mali, et de seize à vingt-quatre j’étais à Londres, j’ai donc vécu un peu partout. Et à partir de mes seize ans j’ai gravité entre Londres et Lille, et c’est en ce sens que je me sens lillois.

Le fait d’avoir beaucoup bougé t’a imposé de te retrouver dans un système de débrouille ?
Ouais carrément, quand je suis arrivé dans ce petit village, après avoir grandi en France, j’étais totalement désorienté, dépaysé, et tout de suite j’ai du me débrouiller. C’est un truc qui plait à force, on s’adapte en fait.

La débrouille a quelque chose de poétique ou c’est juste pénible ?
C’est entre les deux en fait. J’ai connu des moments où j’étais très très bien, super épanoui, j’ai presque envie de dire que ces moments de débrouille me manquaient, parce qu’on a toujours besoin de quelque chose pour être animé, donc perso j’aime être dans la débrouille, mais j’aime aussi être à l’aise.

T’es encore dans la débrouille ?
Ouais carrément. Dans la musique surtout. Sinon dans la vie de tous les jours c’est un peu comme tout le monde, je bosse, je fais le nécessaire pour subvenir aux besoins de ma famille. Mais ouais, c’est de la débrouille en permanence, et ça me dérange pas, j’aime bien.

Mais ça finit par payer et t’es au Mainsquare cette année. Ça représente quoi pour toi ce festival ? C’est un aboutissement ou le début de quelque chose ?
Pour moi c’est plus le début de quelque chose, et ça représente beaucoup pour moi. Ce festival fait partie des plus gros festivals de France, et ce jour-là il va y avoir une belle affiche, des gens de la région et des têtes d’affiche comme Vald, M, les Blakc Eyed Peas, quand on met mon nom à côté je suis tout de suite ravi. Je sais comment j’ai commencé à faire de la musique, c’était quasi interdit chez moi, je viens d’une famille musulmane, et en plus, de par mon nom de famille je suis censé être marabout, donc j’étais pas censé faire de rap. La première fois que j’ai dit à mon père que je faisais du rap il a pris mon ordi et a voulu le jeter par la fenêtre. Et aujourd’hui je suis au Main Square, je suis flatté de ouf.

Donc il y a quand même le côté « aboutissement », t’arrives au bout d’un certain chemin ?
Ouais c’est une reconnaissance

Et c’est donc aussi une nouvelle page qui va s’écrire ?
Ouais carrément, c’est les deux, je suis content d’y être, je me dis « Wahou, quand même », et en même temps je me dis que c’est le moment où il va falloir que je concrétise mes rêves, essayer de rencontrer des gens qui pourraient m’aider à développer ma carrière

Elle va raconter quoi cette nouvelle page ?
Elle va raconter la sortie de mon nouvel EP sur lequel on travaille actuellement, et qu’on veut présenter au plus haut niveau possible, en faisant de la promo scénique, une petite tournée si possible, et avoir une distribution digne de ce nom

T’as la pression du coup, tu dois tout casser là-bas ?
Je vais arriver en courant comme si je faisais un sprint. C’est une scène énorme, il faut que tous les gens qui seront là se rappellent de moi. On se prépare fort, avec mon poto DJ Dirty Berlin, on va ramener un truc de ouf !

La préparation se passe de quelle façon par rapport à d’habitude ?
C’est des répétitions, des changements de set, des tests, des nouveaux sons, y a pas grand-chose qui va changer par rapport à d’habitude. On s’arrange pour que l’intensité monte crescendo, on bosse comment interagir avec le public, donc là on cherche les meilleures combinaisons pour que les gens restent là et se disent en partant que c’était le kiff et qu’il faut absolument qu’ils aillent découvrir cet artiste.

La scène, c’est important, ou c’est juste parce qu’il faut passer par là ? On a le sentiment que ça devient de moins en moins nécessaire, notamment chez les artistes émergents, dont le seul objectif semble être de faire le buzz sur le net, sans que tu ne les vois jamais sur scène ?
C’est vrai. Je vois très bien ce que tu veux dire. Moi, on peut voir sur tous mes réseaux que c’est carrément l’inverse. Quand je poste un clip je dépasse pas les 10k, même si j’en ai un à 30, et on verra plus des vidéos où je fais des premières parties, comme dernièrement celle de SDM à Béthune, ou Al Kapote, ou 404Billy. Moi mon projet c’est la scène. C’est vraiment là que ça se passe.

« …c’est l’endroit où je me sens le mieux, je kiffe à fond, je me mets torse nu, je casse la baraque ! »

Donc les clips sont l’entrée, et le plat de résistance est la scène pour toi ?
Absolument, pour moi oui en tout cas.

Y a une surprise MIDOS LADOWZ sur scène ?
J’espère. En tout cas pour l’instant ça a toujours payé, et y a de fortes chances que ça continue.

Avant le Mainsquare, t’as vécu l’expérience Buzzbooster. Tu me racontes ?
Je me suis inscrit une première fois. On m’a dit que c’était brouillon, qu’il fallait que je revienne l’année suivante. Je m’étais aussi inscrit aux End Of The Week. C’est un pote qui m’avait inscrit, Criss Kayji (gros big up !). Je me demandais ce qu’il avait fait ! Et donc je me retrouve là-bas. Je fais les exercices demandés, freestyles etc, et pour finir je gagne le truc ! C’est là que j’ai rencontré Sylvain, du Flow à Lille, et que l’accompagnement a commencé. On m’ adit de m’inscrire à des trucs, de faire telle ou telle chose. Et donc arrive le Buzzbooster. La deuxième fois que je me suis inscrit, j’ai été vainqueur des Hauts-De-France. Après, y a eu le covid. Entre deux je me suis inscrit au Main Square, au Check ton Tieks de La Cave aux Poètes de Roubaix dont j’ai remporté le tremplin, et voilà j’en oublie d’autres, mais quand je fais un tremplin scénique ça paye, c’est l’endroit où je me sens le mieux, je kiffe à fond, je me mets torse nu, je casse la baraque !

Tu peux me faire une synthèse de tes projets, des albums aux Freestyles Da.Frik ?
En gros, y a eu une petite série, Ladowz Kill Vous Faux, Ladowz A Nostra, et Ladowz Da.Frik, qui va être réédité en juin. C’est une trilogie, dans laquelle je mets mon nom en avant, avec des doubles lectures et des jeux de mots. Pour le « Da.Frik », les gens y ont vu l’Afrique, alors que c’est carrément autre chose, et c’est un peu ce que je recherche.

T’es passé par Keakr aussi ?
Ouais, j’ai fait quelques freestyles sur l’appli, mais j’y suis pas resté hyper longtemps, j’ai pas de matos chez moi, je bosse toujours en studio, et sur Keakr tu dois gérer ta petite tambouille d’ingénieur pour avoir un bon son, j’écoutais les gars, ils étaient trop chauds, et moi je rappais comme un malade et je trouvais pas ça terrible, malgré les effets etc. C’est un bel exercice, mais ça m’a soulé, c’était pas mon truc.

On rappe aussi pour faire de la maille ? L’argent est un sujet tabou ?
C’est pas tabou chez moi. J’ai pas honte de dire qu’il faut que ça paye.

Est-ce qu’il y a un calcul du coup quand on se dit qu’il faut que ça paye. Est-ce qu’on fait attention à ce qu’on écrit et produit ?
Ouais. L’inverse est possible aussi, tu peux juste être toi-même et que ça convienne au grand public. Mo j’ai vécu en Afrique, à Londres, et ma vision peut apparaître différente. On fait attention à ce qu’on dit, ouais, si on veut passer à la radio ou autre, et pour faire de la maille faut passer en radio.

Y a donc un mélange d’instinct et de contrôle dans ce que tu fais ?
Absolument. Je filtre, je fais attention.

Par quoi passe la réussite dans le milieu ? Est-ce que c’est affaire de buzz ?
La qualité est importante, et le format aussi. Mais la différence c’est la qualité. Le buzz, ça disparaît. Pour marcher vraiment, faut être différent et proposer du qualitatif.

Comment on se distingue du troupeau dans une proposition qui n’a jamais été aussi large ?
Ça doit être plus ou moins naturel, en fonction de ton vécu. Après, tu peux construire, faire une étude de marché, mais je préfère les trucs instinctifs, qu’on puisse ressentir que t’as un vécu spécial.

T’es différent ?
Ouais, j’ai un vécu différent de tous mes potes, et quand je leur raconte ma vie ils trouvent ça exceptionnel. Après, artistiquement, j’ai une voix spéciale. Tout ça fait que j’y crois, même s’il y a beaucoup de propositions comme tu le dis, et qu’on pourrait vite se décourager. Mais j’y crois à mort, et je pense que le buzz, c’est soi-même, c’est l’authenticité.

Le rap arrive à conserver sa branche revendicative, ou c’est un temps révolu et on se concentre sur la notoriété et les montres ?
On a un peu de deux à l’heure actuelle. C’est vrai qu’il y a des artistes qui étaient revendicatifs et qui ne font plus du tout le truc. Avant on envoyait des cartes postales, maintenant on envoie des mails, donc si tu veux que ton message soit entendu faut envoyer des mails, les mails ici c’est le bling-bling etc, avant si tu voulais faire passer ton message, fallait un bon Sergio Tacchini, un bob qui descendait sur les yeux, et c’était suffisant. Maintenant faut ça brille.

Il existe encore du rap conscient ?
Ouais. Médine pour moi, par exemple, est très bling-bling, il se sape bien etc, et il fait le taf. C’est pas incompatible.

« Très tôt le foyer pour enfants, puis l’Afrique, l’Angleterre. J’étais très influençable. Trafic et transport de stupéfiants. Quatre ans. »

Concernant les clips, tu penses qu’il est encore nécessaire de montrer le quartier avec des potes qui gigotent derrière ? C’est important de conserver cette imagerie, ou il serait temps de faire un focus sur leurs histoires ?
Pour ce qui est de s’occuper de leurs histoires, le 7ème art s’en occupe très bien. Dans le rap, ça fait partie de l’histoire. C’est un relief, une énergie. Tout est subjectif et c’est une question de goût. Perso, j’aime bien. Quand je vois ça ça agite des souvenirs, on l’a tous fait un soir de 14 juillet, on se retrouve en bas et bam on fait claquer des pétards, on saute, on fait les dingues. Tant que c’est bien cadré, qu’on ressent l’énergie, ça ne me dérange pas non. Après j’aime aussi les trucs à la PNL, quand c’est vaste, à perte de vue, et que c’est le désert. C’est bien aussi, et pourtant le champ lexical est plus ou moins le même. Y a de la place pour tout le monde, quoi.

C’est quoi la peinture actuelle du rap du Nord ? Il cherche encore son identité ?
Non, je pense que ça y est et que c’est fait. Le rap du Nord a une identité de rap conscient globalement. Y a du texte. Et cette identité se forge.


Pourquoi ça ne pète pas encore tout à fait, même si des noms émergent, comme Gradur, ZKR, Bekar… Il manque quoi à la région pour en faire un pôle important du rap français ?
Des labels. Ici, on a des grosses structures d’accompagnement, mais y a pas de maisons de disques.

Marseille a réussi à faire ce que Lille n’arrive pas à faire ?
Voilà. Avant tout le monde allait sur Paris, et les marseillais y vont moins, et depuis longtemps. Nous c’est toujours le cas, parce que c’est la plus grosse vitrine. Ça serait bien qu’une grosse structure prometteuse émerge ici, que les jeunes puissent se dire que c’est accessible aussi directement chez eux, en prenant un métro.

Y a une forme de folie qui se dégage de ce que tu fais, et des scènes que tu fais. Est-ce que le monde a besoin de folie, ou est-ce qu’il en déborde déjà trop ?
Il a besoin de folie. La vraie grosse folie serait de tous retirer nos thunes des banques, ça ça serait de la folie ! Stopper ce capitalisme qui nous déborde tous, et pour ça il faudrait une vraie folie. Que tout le monde arrête de bosser et fasse son potager à sa case, soit auto-suffisant, là je suis un peu dans la folie OK, mais c’est le genre de choses qui pourraient faire du bien à l’humanité. Le monde n’est pas si fou que ça, il est juste un peu teubé, la folie c’est de l’intelligence, et ça manque de folie.

Le débordement de folie, c’est aussi la pandémie, la menace de troisième guerre mondiale… cette folie qui contrebalance avec la folie individuelle et excentrique ?
Oui, c’est autre chose…

Quelles différences majeures il y a entre la vie ici et celle que t’as connue ailleurs ?
Dans le village dans lequel j’ai grandi les gens sont super croyants. Donc ça veut dire que tout ce qui arrive devait arriver, c’est le destin. La différence que je vois entre ici et là-bas, c’est principalement la richesse. Sinon, ce sont des humains, identiques, qui fêtent l’arrivée d’un enfant, qui pleurent leurs morts. C’est la même chose, sauf que certains sont moins riches. Et ces différences de richesses sont palpables, importantes. Les écoles par exemple. Là où j’ai grandi l’école s’arrête au CM2. T’imagines ? T’es dans un village où le plus haut niveau est le CM2. Si tu veux faire la sixième, tu dois faire 20 km à pied. La différence est là.

Est-ce que t’as des regrets ?
Ouais. Bien sûr.

Quel impact ils ont sur ta vie ?
Quand j’y pense, je suis triste. Les choses que je regrette sont entièrement de ma faute.

Comme ?
J’ai perdu une personne qui m’était très très chère alors que j’étais en prison.

Parle moi de cette période en prison, le pourquoi, le comment, et comment ça s’est passé ?
Comme je t’ai expliqué, j’ai un vécu très perturbé. Très tôt le foyer pour enfants, puis l’Afrique, l’Angleterre. J’étais très influençable. Trafic et transport de stupéfiants. Quatre ans. J’ai pas fait le peine en entier, en France on a de la chance y a plein de trucs qui font que tu fais pas forcément toute ta peine. Plein de choses dont je ne suis pas fier se sont passées. Et ça te ralentit énormément.


Quand t’étais dedans, t’avais pleinement conscience des risques, et que ça pouvait t’arriver, ou alors c’était pour les autres et tu pensais être plus malin ?
J’avais conscience que je pouvais me faire arrêter, mais j’étais sûr de moi, je m’étais dit que j’allais arriver à la barre et que j’allais m’en sortir, que ma technique était bien ficelée. Et ça a failli se produire (rires), jusqu’à la dernière minute. Y a fallu une seule déposition, une personne, qui dit un truc, et c’était fini.


Et il se passe quoi dans la tête quand ça tombe ?
Tu deviens sourd. Quand t’entends la peine, t’entends juste le début. Après, ton cerveau ne répond plus et t’entends plus rien, y a un bug (rires).


Et il se réveille quand ?
Ah, quelques secondes plus tard. Puis après t’avances… Mais après, j’ai eu une enfance tellement difficile… pour moi la prison, c’était dur, mais j’avais connu bien plus dur. Quand t’es plus avec tes deux parents à huit ans, que t’es dans un foyer, puis que tu te retrouves sans eux dans un petit village, et que tu grandis sans eux, t’es déjà dans une forme de prison. Donc là, c’était une expérience, que je ne conseille à personne. Moi, si ça ne m’a pas impacté, c’est parce que j’avais vécu vraiment vraiment bien pire avant, mais j’ai vu des gens là-bas, qui étaient les plus gros caïds du quartier, et qui pleuraient dans leur cellule, et je les rassurais, moi, en leur disant qu’ils sortiraient bientôt. La prison, en fonction de qui tu es, peut te tuer. Ça dépend de ton vécu, de ta capacité à supporter la solitude, l’anxiété, et plein de trucs.


C’était une période de création ? T’as écrit ?
Bizarrement, c’est le moment où j’ai le plus lu. J’ai peu écrit, j’ai beaucoup lu. J’ai agrandi mon vocabulaire, parce que je n’avais pas étudié, étant au Sénégal jusqu’à seize ans, puis parti en Angleterre dans la foulée. J’ai même pas le brevet des collèges, c’est juste que j’aime bien lire, j’aime la littérature, je m’intéresse. C’était constructif de ouf. (rires), je faisais du sport, j’allais à l’école… Mais les petits, faites attention à ce que vous faites, la prison ne fait du bien à personne. Même si à toi ça ne fait pas grand-chose, y a quelqu’un à qui ça fera du mal : ta sœur, ton père, ta grand-mère, ton grand-père, ton frère, ta mère…


Pour les regrets, c’est parce que ça t’a empêché de dire des choses à la personne dont tu parlais, ou c’est parce que t’as pas pu être là ?

Non, j’ai pu tout dire. Y avait le téléphone. Mais je me dis surtout que j’aurais du être là le jour de son enterrement.