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SKIP THE USE

Par SCOLTI

Cette année encore, le MAIN SQUARE nous propose une énorme affiche. Vous pourrez retrouver de nombreux entretiens des groupes du millésime 2022 sur notre site… On commence avec Mat de SKIP THE USE !

Salut Mat, bienvenue chez ILLICO ! SKIP THE USE est de retour avec un nouvel album, des nouveaux clips, une nouvelle formation, une nouvelle approche, même si elle s’inscrit dans la continuité de l’histoire du groupe. Tu me synthétises tout ça ?
Tu l’as bien synthétisé ! Bon, ça fait quand même quelques années qu’on est tous les quatre, et Enzo et Nelson étaient avec moi dans le projet solo. Et Yann, on était en contact, même quand j’étais dans mon projet solo, on est un vieux couple, on peut pas vraiment se passer l’un de l’autre. Quand on a eu l’idée de faire ce groupe en 2007, ça a été un peu évident pour nous, autour de nous y avait nos potes qui faisaient de la musique, et on les a pris comme musiciens ! C’était très cool, on a fait trois albums comme ça, deux et demi même, qu’on a sorti nous-mêmes. Puis on a fait un break, pour faire ce qu’on n’avait pas le temps de faire, faire de la production, moi j’avais vraiment envie d’aller aux États-Unis pour apprendre plein de choses en production et en réalisation d’album, c’est un truc que j’avais vraiment envie de savoir faire, je voulais approfondir, et pour ça il fallait couper et que je ne mette qu’à ça. Et puis en même temps, on avait fait plein de dates, on a commencé à ne plus toujours être d’accord sur des choses, avec les musiciens c’était un peu compliqué. On a fait un break, puis avec Yann, fort de l’expérience qu’on a eu pendant ce break, on s’est dit qu’on était prêt à remettre le couvert mais on avait vraiment envie d’utiliser toute cette expérience, et pour ça il fallait qu’on reparte avec une nouvelle équipe. C’est là qu’arrivent Enzo et Nelson. Et les choses se sont passées exactement comme on penserait que ça se passerait.

Alors du coup on parle de renaissance, ou de naissance tout court ?
Je sais pas si c’est une histoire de naissance, c’est toujours le même groupe, c’est toujours le même concept, les mêmes compositeurs. C’est juste que là on a pris un nouveau step, en prenant Enzo et Nelson, qui sont tous les deux producteurs et réalisateurs, ce qui n’était pas le cas avec les musiciens d’avant, et ceci a permis de les faire entrer dans le processus de production et de réalisation, et donc d’avoir leur touch à eux dans ce domaine, et c’est ultra bien.

Alors justement, concernant la forme, l’album Human Disorder a des teintes pop, d’autres électro, des balades, du rock un peu dépoussiéré et moins crade, de l’anglais, du français. L’éclectisme c’est l’aboutissement ? On sait ce qu’on veut dès lors qu’on se fige moins ?
Non. Nous on a fait un concept-album sur les émotions qu’on a eues les deux dernières années. Elles sont toutes différentes. Nelson a eu soixante-douze dates annulées en trois mois, une tournée et un album par terre, et une remise en question de son avenir en tant que professionnel de la musique, et un gosse. Si on met tout ça en musique on ne peut pas faire la même musique, c’est pas les mêmes émotions. Peu de gens font des concept-albums.

« ok, alors j’ai mon beat de trap, ma basse super forte, mon petit sample un peu cloudy parce qu’y a PNL qui est un peu tendance, un peu d’auto-tune »

Et comment tu définis le concept ?
Ce qu’on aime, c’est mettre en musique la réalité qu’on vit. Globalement on est des gens normaux, et ce qui nous touche a des chances de toucher tout le monde, on essaye juste de mettre ça en musique. On utilise tout ce qu’il y a comme ressors dans la musique pour y arriver. On est libre en fait. C’est pas comme le mec qui fait un album de rap français, et qui se dit « ok, alors j’ai mon beat de trap, ma basse super forte, mon petit sample un peu cloudy parce qu’y a PNL qui est un peu tendance, un peu d’auto-tune », et qui va faire ça sur 13 titres. Et c’est très cool ! Mais c’est une trend. Nous on avait envie de mettre en musique des émotions, et on a un titre de métal et une balade en français dans le même album, de la guitare acoustique.

Mais il faut aussi être capable de le faire, il faut aussi un talent, et pas uniquement le choisir pour se le permettre ?
Je pense que c’est plus possible aujourd’hui de dire ça. Jacques Brel disait « le talent, c’est d’avoir des idées, le reste c’est que de la sueur et du travail », et je pense que n’importe qui peut le faire, aujourd’hui tu peux faire un album dans ta chambre, de ce que tu veux, si tu réfléchis un peu, si tu demandes conseil, si tu te fais aider, t’as plein de mecs qui font des prods chez eux, qui sont même pas des pros et qui ont juste envie de participer à quelque chose, comme quand t’étais au collège, tu fais un groupe et tu dis « c’est qui qui fait de la guitare ? Toi ? Vas-y on se voit samedi on essaye de faire un truc ! », ça existe encore avec internet ce principe, et celui qui dit que ce n’est pas possible, c’est qu’il ne veut pas le faire. Après, regarde Orelsan, dans son dernier album, qui est un album de rap, t’as aussi des titres très pop avec une guitare sur laquelle il va chanter, d’autres titres sont très rap, d’autres titres sont hyper produits, d’autres sont plus cloudy, lui aussi il voyage. Et ça forme son univers propre.

Ça te parle son univers ?
Ouais, ça me parle de ouf, je suis allé le voir en concert je trouve ça super, ça m’a fait du bien d’entendre un album de rap français

OK. Malgré son titre, Human Disorder, votre album est-il une touche d’optimisme après la crise mondiale, ou est-ce qu’il la souligne ?
On est toujours dans le verre à moitié plein et verre à moitié vide. On a vécu des émotions de A à Z et on ne peut en nier aucune. On est dans une société d’image. Mark Zuckerberg, les GAFA, nous ont bien fucked up le cerveau pour qu’on ait l’impression d’avoir encore la possibilité de choisir si on a passé une bonne ou une mauvaise journée, ou celle de choisir une fringue parce qu’on l’aime ou parce que c’est juste une tendance, et c’est pareil pour la créativité. On est dans une époque où tu peut être un gros ou une grosse teubé et t’inscrire à un truc de téléréalité, et être un teubé à la télé, et finalement avoir des millions de followers qui vont te regarder parce que t’es un teubé, alors toi tu vas te dire « tiens je vais faire une boite et je vais vendre des slips » et y a des millions de gens qui vont acheter tes slips parce que c’est les slips que porte les teubés, et après tu diras « je suis pas un teubé moi, je suis un chef d’entreprise et je fais un énorme chiffre d’affaire ». C’est la société d’aujourd’hui. C’est pour ça que les gamins d’aujourd’hui ne savent pas faire la différence entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. « Ouais euh, les gilets jaunes, ouais euh l’extrême droite, moi c’est ni l’un ni l’autre ! »… Toi et moi on a le même âge, on a vécu dans la même ville, on n’a jamais subi des ratonnades par les mecs de La République en Marche, on peut pas les mettre au même niveau ! Rien à voir ! Et je suis pas là pour défendre Emmanuel Macron. Et donc, quand la jeunesse dit ces trucs, on est toujours dans cette culture de l’image, où tu regardes le journal télé… Quand j’avais 20 ans, je regardais la télé, y avait Jean-Marie Le Pen, et le journaliste lui disait « mais monsieur, vous vous rendez compte de ce que vous dites ? ». Aujourd’hui, quand sa fille est sur un plateau télé, on lui dit « bonjour ! Vous allez bien ? », avec le sourire, et les gens regardent et disent « ah bon, elle est comme ça maintenant ? ». Et tout ça finit par « bon bah ni l’un ni l’autre ! »

« c’est d’essayer de faire en sorte que les gens qui kiffent le métal, avec des titres comme « Till The End », ou la pop, avec « Les Sables d’Or », puissent participer au même concert »

 Elle est loin l’époque de « La jeunesse emmerde le Front National ! » ?
Nous, on l’a encore chanté y a deux jours. Dire qu’elle est loin serait nier le fait qu’il y a encore des gens qui le scandent et qui le clament. Je pense juste que ce qui est loin, c’est l’époque où on était capable d’avoir un avis par soi-même. Je parlais du disque, pour finalement en arriver là, mais je t’explique juste qu’en fait ces questions là ne se posent pas vraiment. C’est des trucs d’aujourd’hui de se dire « il faut que tu justifies quelque chose par une référence ». Ma femme est dans une école de commerce aux États-Unis, dans laquelle il y a des français, et quand je leur demande ce qu’ils écoutent comme musique, ils me répondent « Booba ». Putain, t’as 25 ans, t’es en septième année de je ne sais pas quoi, dans une école de commerce de Los Angeles. Ça m’intéresse sociologiquement. Je ne suis pas en train de conspuer Booba, au contraire, j’essaye de comprendre. Et le mec te fait comprendre qu’il n’a aucune réf’. Alors il écoute ça. Et là je me dis, quelle est l’importance d’avoir une réf’, comparativement à quelque chose qui te transforme la vie ? Toi par exemple, t’as fait du rap, t’en écoutes depuis que t’es petit, t’essayes de propager une culture qui t’a « transformé ». Aujourd’hui tout le monde se bagarre pour être la réf’. Et si demain cette réf’ était Eric Zemmour ? Un album de SKIP THE USE ne sera jamais la réf’.

Pourquoi ?
La réf’ le sera titre par titre ! Parce que nous, notre réf’, c’est d’essayer de faire en sorte que les gens qui kiffent le métal, avec des titres comme « Till The End », ou la pop, avec « Les Sables d’Or », puissent participer au même concert, pour que politiquement on puisse leur dire « voilà, vous pouvez faire un truc ensemble ». Tout le monde vous dira que c’est pas possible, qu’il faut choisir un camp (sourire). Et on montre que c’est pas vrai. On essaye de faire ça. C’est ça, faire du rock. C’est pas juste avoir une guitare et faire des riffs. C’est être en dehors de la ligne jaune. Si la ligne jaune vous dit « non, non, soyez bien dans vos petites communautés et battez-vous pour qu’elles soient les plus grosses possibles, et éclatez-vous la tronche entre communautés ». C’est Battle Royale. Ça, ça ne m’intéresse pas.

On reviendra sur ce thème tout à l’heure. Là, j’aimerais savoir à quel point la pandémie a eu de l’impact sur toi, en tant qu’individu ? Qu’est-ce que ça a remis en ordre dans ta tête, et comment ça se matérialise désormais dans ta façon de vivre ?
Plein de choses. J’ai été obligé d’anticiper des trucs, à partir du moment où ma vie était régie par le fait de faire des disques, des concerts, des tournées, que la musique prenne une part énorme dans ma vie. Et j’ai été obligé d’anticiper des trucs, parce que j’ai des responsabilités, j’ai des enfants, et je me suis posé la question de savoir si je pourrais continuer les choses de cette façon. Donc j’ai fait autre chose, j’ai monté ma boite de prod, je produis une émission de musique, de l’audio-visuel, des documentaires. Je faisais déjà, dans la musique, des choses différentes qu’être chanteur, en étant producteur, réalisateur, et en faisant de la musique de films. Ensuite, j’ai passé du temps en famille aussi pendant cette période. Ma femme a décidé de reprendre les études pour repasser un diplôme, ce qui est hyper courageux de sa part, et ce qui nous a permis de rencontrer des gens incroyables dans sa promo, qu’on aurait peut-être pas rencontrés si on était resté dans notre petit vie d’avant. Y avait donc ce côté « on rebondit, on essaye d’avancer », et d’un autre côté, en tant qu’ancien soignant, y avait des potes qui me racontaient ce qui se passait et ça faisait bien flipper. Y avait vraiment toujours une ambivalence.

Tout ça a permis aux gens de relativiser le matériel, le futile, les apparences, ou ça a servi de prise d’élan pour rebondir encore plus fort dans ces domaines ?
(rires)

« on est tous responsables, tout le temps »

On a dit qu’y aurait un « monde d’après » ! et à bien y regarder…
Ce qui a été compliqué dans la pandémie et les confinements, c’est que ça a donné encore plus de place aux réseaux sociaux, et que les gens se sont encore plus crus dans le Metaverse…

Ouais, et tu penses qu’on a besoin du Metaverse, ou que finalement on y est déjà, avec tout le côté virtuel des réseaux sociaux qui ont une telle place dans notre réalité ?
Je sais pas, mais je pense que ça peut être très dangereux tout ça. Ça peut rendre fou. Et j’ai des réseaux sociaux, que j’utilise pour mon travail, ou pour diffuser mes conneries, mes idées, mes humeurs…Il y a du mauvais partout. Ce qui est dangereux, c’est de vivre ta vie comme tu la vis sur ton réseau social quand tu n’es pas dessus, c’est ça qui me fait super flipper ! Tu vois ces meufs qui se foutent des filtres sur la gueule, puis on finit par en faire des émissions… Plus t’es un crétin, plus t’as de chances qu’un jour un mec écrive un concept d’émission de télé sur toi, et donc que tu deviennes connu, et donc que tu fasses encore plus de réseaux sociaux, et donc les gens qui te regardent se disent « ah bah moi aussi je vais devenir un crétin, comme ça je passerai aussi à la télévision ! »

Et comment t’expliques cette mécanique de la connerie ?
C’est parce qu’il n’y a pas d’avenir. C’est juste ça en fait je pense. Y a pas d’avenir, et il n’y a plus d’idoles. Et faut pas tout mettre sur la gueule des jeunes, c’est notre faute, à nous. Eux, ils ont ce qu’ils ont. On est en plein deuxième tour de l’élection présidentielle, et on entend quelqu’un comme Marine Le Pen s’exprimer sur la culture, elle qui n’a jamais rien fait de toute sa vie pour la culture. C’est toutes ces choses. Les réseaux sociaux aussi… On se fout des filtres pour se montrer tel qu’on n’est pas, et par contre on s’enlève tous les filtres pour dire n’importe quelle connerie, et tout ça donne une vaste poubelle…

Parce que…l a connerie a quand même pris beaucoup de place ?
Oui, mais encore une fois c’est parce qu’il n’y a pas d’idoles et pas d’avenir. Les jeunes qui regardent la télé s’entendent dire tous les jours « eh c’est bon les gars dans trente ans il n’y a plus de planète ». OK. Alors ils sont là, dans le « maintenant », et le maintenant c’est les réseaux sociaux. Et quand tu leur demandes ce qu’ils vont faire plus tard : « Plus tard ? De quoi tu parles ? ». Nous, quand on avait 20 ans on nous disait que quand on en aurait 30 y aurait des voitures volantes, eux on leur dit « Y a pu d’planète ». Et à cause de qui ? À cause de nous. On peut pas juste dire que tous les gens sont teubés si on en est en parti responsable.

Le « Désordre Humain » (Human Disorder) serait notamment du à la connerie humaine, tu penses que c’est ce qui guide le monde, ou alors c’est juste une épine dans le pied, quelque chose de marginal produit par une minorité et qui a des répercussions sur une majorité, ce qui ne justifierait pas de mettre l’étiquette « connerie » sur le front de l’humanité entière ? Est-ce qu’on peut réellement parler de « connerie humaine » ?
Je ne prendrais pas la question dans ce sens-là. Je me dis : « on est tous responsables, tout le temps ». On est tout le temps responsable de ce qui se passe.

Tous, à la même échelle ?
Oui. Ceux qui votent, et ceux qui ne votent pas. Ceux qui cliquent. Ceux qui likent. On est tous responsables du geste qu’on fait pour soutenir ou combattre quelque chose.

Oui, mais est-ce que j’ai la même responsabilité de pollueur, quand je jette l’emballage de mon Twix par terre, que le capitaine d’industrie ? Est-ce que je suis dans le même sac, est-ce que c’est l’être humain qui est con, tout court, comme on l’entend souvent dire ?
Je pense pas que l’être humain est con. Il a besoin d’être en groupe pour prendre des décisions communes. Quand t’es tout seul… regarde, je dis et je fais des conneries tous les jours moi, heureusement que ma femme me rappelle à l’ordre parfois ! J’ai des enfants, et je fais des conneries, heureusement que j’ai leur mère qui me dit « eh Mat, regarde ! » « ah d’accord… ». C’est pour ça qu’on est doué de communication, mais si t’es tout seul dans ton coin… Après, je pense qu’on est responsable. On dit « ouais ils sont une minorité d’hommes politiques à décider de la face du monde », mais c’est nous qui les élisons !

Ce qui est moins valable pour les capitaines d’industries ?
Comme Total ?

Ouais. J’ai rien à voir avec ces gens-là, et ceux qui parlent de « connerie humaine » me mettent, moi, humain, dans le même sac.
Je suis d’accord avec toi, ouais.

Je parle toujours du « Désordre Humain » là, savoir où il se situe ?
Je pense que si on est ensemble et qu’on s’unit on peut tout changer. Les printemps arabes ont changé des régimes entiers, lors de Charlie Hebdo on était des millions dans la rue. Bon, ça a duré une semaine puis ils ont cherché le responsable chez le voisin, mais bon. Si les gens en ont ras-le-cul de Total, qu’ils fassent des manifs. Quand je regarde les Kardashian à la télé, je me demande comment c’est possible. La meuf est connue pour une sextape, et sa mère est dans la combine. Même les animaux font pas des trucs pareils (rires). Et les Kardashian sont tous milliardaires, parce que tout le monde kiffe. OK, c’est le monde d’aujourd’hui. Tout le monde trouve ça cool.

Presque tout le monde.
Presque tout le monde oui, mais une majorité quand même. Tout le monde se fout de la gueule de Nabila, et elle a 2 millions de followers, c’est plus qu’Orelsan. Ça c’est la réalité en fait, il faut que les gens se rendent compte que c’est ÇA qui se passe ! On a la culture, les politiques, les industriels, qu’on mérite. Si on ne veut pas que ça se passe, on se bouge le cul ! Je ne suis pas du tout en train de donner des leçons, hein ! Y en a plein qui vont dire en lisant l’interview « Quoi, Kim Kardashian je trouve ça très cool, de quoi tu parles connard ! », et tant mieux pour eux.

On va poursuivre sur ce désordre humain. Pandémie. Guerre. Climat. Y a un truc qui pourrait tuer l’espoir, ou l’enthousiasme, ou alors on attend que la liste s’allonge, point levé, torse bombé, sourire aux lèvres, parce que rien ne peut nous agenouiller ?
J’ai pas envie d’être un dictateur de la bonne conscience, tu vois, comme dirait Orelsan. Je préfère être acteur du monde dans lequel je suis.

Tu fais partie de cet espoir et de cet enthousiasme du coup ?
Ouais, j’essaye, à mon niveau, de faire des choses, et j’en paye le prix aussi. Je crois en certaines choses, j’ai été élevé d’une certaine manière, et j’essaye de m’en tenir à ça, tout en faisant les erreurs que je fais, je ne suis pas parfait, je fais de la merde aussi, et je fais des choses bien j’espère.

Est-ce qu’être enthousiaste relève du privilège ?
Champollion qui disait que seul l’enthousiasme est la vraie vie. C’est une décision qu’on peut prendre, on peut choisir d’être enthousiaste, même les pieds dans la merde. Y a des villages en Afrique où on t’accueille en dansant, alors qu’ils sont dans la merde, ils ne vont pas te montrer qu’ils sont dans la merde. C’est des choix.

Ouais, mais y a quand même une ambiance globale qui ne s’y prête pas. Tu penses quoi de la multiplication des dystopies dans les films et les séries ?
C’est ce que je te disais, on dit à tout le monde, et à raison, que dans 30 ans, si on se bouge pas le cul, il n’y aura plus de planète, vraiment. Les portes se ferment, Trump et les accords de Paris, le mec trouve qu’y a pas tant de pollution que ça… ils sont en train de fermer toutes les portes, alors les gens essayent d’entrer par les fenêtres. À quoi servent la culture et l’art, si ce n’est à mettre des sujets, que certains ne veulent pas voir, sur la table ? Alors y a plein de films dystopiques, parce que c’est ce qui nous guette, clairement.

Ça sert de sonnette d’alarme, pas à plomber l’ambiance ?
On s’en fout de plomber l’ambiance. C’est pas un truc qui me pose problème. Partons du principe que des gens sont capables d’aller à Dubaï dans des 5 étoiles en vacances, en regardant du haut de leur immeuble les ouvriers sous-payés et sous-nutris qui sont tout en bas, et passer des super vacances.

Sans que ça leur pose de problèmes ?
Ça ne leur pose pas de problèmes. Et moi ça ne me pose aucun problème de plomber l’ambiance si derrière on en sort tous grandis, et que tout le monde soit heureux de pouvoir voir grandir ses enfants et avoir des petits-enfants.

Vu de l’extérieur, les artistes semblent plus libres que leurs spectateurs, en ce sens qu’ils paraissent débarrassés de certaines contraintes. C’est le cas ? Jusqu’à quel point tu te sens libre ?
Techniquement, c’est le cas. On peut faire ce qu’on veut. Les barrières qu’on a sont celles qu’on se met nous-mêmes.

Et quelles sont tes chaines ?
On est des vieux artistes, donc on a eu des chaines au début et maintenant on a la chance de pouvoir faire ce qu’on veut, on est suivi par une maison de disques qui nous laisse faire les disques qu’on veut, dire ce qu’on veut, et j’ai un manager qui nous laisser être ce qu’on est, il est aussi mon partenaire dans d’autres trucs, et il se bat pour que je puisse être comme je suis.

Cette liberté est un privilège, ou une récompense parce qu’on s’en est donné les moyens ?
On s’en est donné les moyens, ça n’a pas été simple. Y a le côté artistique, et le côté business, et comme dans tout business y a parfois des concessions, des discussions. Pour le disque qu’on vient de faire, on a fait ce qu’on voulait, personne ne nous a dit ce qu’on devait faire. On assume tout, on peut se cacher derrière personne.

Parlons du titre « Les Sables d’Or » Tu vis majoritairement à Los Angeles. C’était pour t’enfuir ? Tu ne penses qu’à revenir, comme tu le dis dans la chanson ?
J’ai pas besoin de revenir dans le Nord pour avoir son empreinte éducative et formative au fond de moi

Tas pas la nostalgie d’un Maroilles quand tu croques un Burger à Venice Beach ?
Non. Pour moi le Nord-Pas-De-Calais c’est plus que des paysages, qui sont super, ou que de la bouffe. C’est une façon de vivre, de voir les choses, une éducation. Ce que j’aime faire, c’est ramener des gens des États-Unis dans le Nord. Au Main Square je vais ramener une pote de Los Angeles, pour qu’elle puisse voir ça.

Les racines poussent dans la brique rouge. T’arrives à faire des boutures dans le béton américain ?
Je suis très désordonné et j’ai pas la main verte.

C’est une métaphore ?
Ah, j’étais parti au premier degré (rires). Alors sinon, complètement. Ça n’a pas été simple. Faut pas croire qu’aller à Los Angeles est juste cool et simple. Déjà, faut faire son trou. C’est beaucoup de boulot pour réussir à faire quelque chose, et là je commence à bien m’y retrouver.

On va parler de la scène, le terrain de jeu du groupe, et une forte part de son identité. Y a un nouveau Main Square qui se profile. Il y a des sensations particulières liées à ce festival, un truc à part ?
Y a notre famille, nos amis, et rien que ça c’est intéressant pour nous déjà. On est chez nous. Y a des gens qu’on connait, des groupes qu’on connait, c’est un gros festival dans notre région d’origine, et c’est une date vraiment particulière pour nous.

On parle souvent de « défendre » un disque sur scène. « Défendre » n’est pas d’emblée se placer sur la défensive face à d’éventuelles critiques, surtout à l’ère des réseaux sociaux, des haters ? On pourrait pas passer au « partager » ?
On a la tournée des festivals, qui comprend plusieurs de nos titres. Pour la tournée club, on prépare quelque chose à part, pour le nouvel album. C’est pas la même chose. Après, pour ce qui est de « défendre », oui, c’est le bon terme, quand tu proposes un album rock sur le sol du deuxième marché mondial de rap. C’est compliqué. Tous les gens qui sont abonnés à des newletters de rap n’entendront jamais parler de la sortie de l’album de SKIP THE USE. Nan, faut qu’on aille les chercher. Ils viendront voir je sais pas qui en festival, et ils se souviendront de cet autre groupe qu’ils auront vu sur une autre scène. Ce week-end on a joué avec Caballero & Jeanjass, et y avait plein de gamins qui ne connaissaient pas SKIP THE USE. On a fait connaissance. On s’est kiffé. Et y a plein de jeunes qui sont venus sur nos réseaux. Faut aller les chercher ces gens-là, et moi c’est mes concerts préférés. Faut défendre son disque donc, au sens positif.

À l’heure où l’individualisme a muté en narcissisme, les concerts sont-ils la preuve qu’on peut être réunis autour d’un truc concret, et caresser le vivre ensemble ?
Oui, je suis assez d’accord, et surtout qu’en plus la techno et la musique électronique, qui n’ont jamais été aussi présentes en terme de popularité, présentent des meufs, dans les festivals, comme Charlotte De Witte, des gens qui sont sur scène et qu’on ne voit pas trop, ils sont derrière des concepts visuels et laissent le narcissisme de côté. C’est juste on envoie du son. Et je trouve ça génial. Aujourd’hui, c’est vraiment faire du punk-rock que de faire ça. Et donc, pour revenir à ce qu’on disait, une salle de concert est le meilleur réseau social jamais inventé, que ce soit une cave ou autre.

Est-ce que Mat Bastard a des regrets ? Qu’est-ce que t’as pas dit ou fait correctement ?
Mais j’ai plein de regrets moi !

Ils t’aident à avancer ? C’est une force, ou un handicap ?
Ça a longtemps été un handicap, et ma femme m’a appris à être en vérité avec moi-même. J’avais beaucoup de regrets, d’angoisses, d’anxiété, et j’en ai encore beaucoup, mais j’ai avancé. C’est tout c’est comme ça. Je pense que j’ai progressé parce que j’étais pas seul.

Merci, Mat Bastard.
Mais de rien Scolti !