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photo © Marie Morote

BEN

Par SCOLTI

Benjamin Duterde, de son nom de scène Ben l’Oncle Soul a changé de patronyme. Appelez-le simplement BEN.

Salut Ben, alors, c’est fini les tenues vintage ?
Nan, nan nan, je les mets le dimanche seulement !

Et qu’est-ce que tu vas faire de toutes ces fringues alors ?
(rires) Bah je fais comme tout le monde, je fais du Vinted !

L’entrée de ton Wikipédia n’est pas à jour au moment où je te parle. T’as pas peur de trainer l’ombre de l’Oncle Soul encore longtemps ?
Tu sais, comme c’est moi, ça ne me dérange pas trop, c’est même à la limite une plutôt bonne porte d’entrée vers mon univers

Je fais évidemment allusion au changement de nom d’artiste, t’as dit bye bye à l’Oncle Soul pour ne garder que « Ben. ». Ben l’Oncle Soul, c’était un personnage, ou juste le mec que t’étais à une période précise de ta vie ?
La mutation d’un artiste, c’est important. J’essaye d’évoluer, avec l’âge, avec les périodes que je traverse, et surtout les moods dans lesquels je suis. C’est vrai que Ben l’Oncle Soul c’est plutôt associé à mon pendant vintage, et ces temps-ci je fais des choses un peu plus modernes, et je trouvais un peu lourd de porte l’Oncle Soul encore avec moi. Mais tu sais, c’est comme une personnalité multiple, l’Oncle Soul fait toujours partie de moi, et si ça se trouve demain je referai des trucs vintage, j’ai pas d’a-priori par rapport à ça, mais c’est vrai que là en ce moment j’ai plutôt envie qu’on m’appelle Ben.

Ce que tu cherches, c’est ne pas t’enfermer dans ce que tu es ?
Oui voilà, et aussi que les gens aient un peu de curiosité et aille chercher le renouveau dans ce que je propose musicalement, et je ne suis pas juste un « Soul Man » quoi.

Ne pas s’enfermer dans ce qu’on est, c’est une démarche, ou un état d’esprit qui permet de se laisser aspirer par les envies et les aléas ?
C’est se libérer du passé, se délester, d’une certaine manière, de s’affranchir de ce qu’on a pu construire jusque là. Y’a plusieurs manières de le voir, soit tu le vois comme le gamin qui a envie de détruire son château de sable parce qu’il a envie d’en recommencer un autre, soit tu peux le voir tout simplement comme un autre château de sable, posé à côté, et si tu veux tu reviens plus tard pour continuer le personnage de l’Oncle Soul (rires). J’ai pas de réelle démarche autour de ça, je suis plutôt organique comme garçon, et à chaque fois qu’on me dit « eh c’est fini l’Oncle Soul et le nœud pap’ », je réponds que je m’appelle aussi « Ben », et que je fais d’autres trucs. Je présente juste mes personnalités multiples et mes différentes facettes musicales. En ce moment j’ai envie de simplicité, de choses plutôt épurées, assez acoustiques, et ce personnage visuel n’a pas forcément sa place dans ça.

Et donc te voilà « Ben. », qui chante désormais en anglais. Est-ce que c’est réellement un choix ? Est-ce que chanter en anglais pour faire de la Soul n’est pas quelque chose qui s’impose ? Est-ce qu’on peut faire du raï en norvégien ?
(rires) C’est vrai qu’y a quelque chose de ça (rires). Mais c’est vrai qu’y a un lien direct entre mes inspirations musicales et l’anglais. Du coup, quand t’as voyagé, tu finis par chanter dans la langue dans laquelle…en fait je dis souvent que ma langue maternelle en musique est l’anglais, parce que j’ai commencé à écouter de la musique en anglais, donc c’est un langage et un vocabulaire à part entière, comme pour les musiciens avec le solfège sur certains trucs.

Mais qui demande donc une certaine maîtrise. T’es allé faire un stage de vie aux États-Unis..Où précisément ?
Je suis allé huit mois à New-York, puis San Francisco, le temps d’enregistrer mon deuxième disque avec les Monophonics, puis Los Angeles pendant un an.

Et c’était dans une démarche purement artistique ou dans la démarche de l’homme qui a besoin de prendre le large ?
C’était plus l’homme qui a besoin de prendre le large. C’était aussi parce que j’en avais marre de fantasmer les États-Unis, j’avais envie de vraiment le découvrir et de le traverser. Et puis j’ai quand même fait de la musique là-bas, ce qui était aussi un peu le but, rencontrer des musiciens et parvenir à faire de la musique avec le son américain, et c’est ce que j’ai trouvé à San Francisco.

Et tu vis en France là ?
Ouais, je vis en banlieue parisienne là.

Qu’est-ce qui t’a fait revenir ?
La green card ! (rires)

C’est aussi con que ça !
Ouais je l’ai pas eue en fait, ils me l’ont pas donnée.

Sans ça tu serais resté.
Ouais, mais je suis pas mécontent parce que quelques mois après mon retour j’ai rencontré la femme de ma vie et j’ai fait des enfants donc tout va bien !

Pour ce nouvel album, t’as signé chez Blue Note Records. Avant ça, t’étais chez Motown, c’est pas un peu la grande classe quand même tout ça ?
Franchement je voulais pas le dire, mais j’ai l’impression que c’est la grande classe. (rires)

Alors justement, une fois la modestie mise aux chiottes, à quoi on pense au moment où on signe ? Qu’est-ce qui t’es passé par la tête ?
J’étais super content de ce parcours, je me suis surtout dit que pour moi c’était comme un revival, ça permettait de faire vivre la soul music encore aujourd’hui. Au début je l’ai fait un peu décalé et rétro, et de plus en plus je me suis senti la capacité, cette puissance vocale, l’aptitude à encore faire vivre cet état d’esprit musical au temps présent, et des labels historiques dans le genre m’ont supporté, et je me suis senti légitime.

Y a des noms et des visages qui te sont apparus lors des signatures ?
Chez Motown, j’ai vraiment pensé aux Jackson Five, je me disais que c’était dingue, qu’ils étaient jeunes et qu’ils avaient signé avec une grosse maison de disques, et je signais à mon tour. C’est inspirant, et motivant aussi.

T’as tremblé, ou t’as signé avec enthousiasme ?
J’ai signé avec enthousiasme, j’avais préparé le stylo et tout. (rires)

Et la putain de pression qui accompagne une signature chez Motown ? C’est quand même pas rien !
(rires) Bah c’est une pression positive, c’est un peu comme quand t’arrives dans une grande écurie de Formule 1. J’ai été très content de faire ces albums avec Motown, et très content aussi de basculer dans le jazz chez Blue Note, avec l’hommage à Sinatra notamment, qui est peut-être même, en terme d’imagerie, un de mes labels préférés, j’aime beaucoup la démarche. Je trouve ça cool, c’est trois mecs qu’ont monté un label, y en a un qui photographe, un qui est ingénieur du son, et le dernier est manager, y a un côté bande de potes qui se mettent à faire du son et qui défendent des artistes un peu obscurs, en tout cas à l’époque, qui n’étaient pas beaucoup représentés ou supportés, donc c’est super.

photo © La Petite Touche

À quel moment tu saisis la plume ? C’est quoi ton processus de création d’une chanson, de l’écriture aux mélodies ?
Ça fonctionne souvent de la même manière. Je commence par me mettre au piano, au Verliezer, mon petit piano électrique. Je me mets derrière mon clavier, et je cherche une mélodie vocale et derrière je tâtonne des accords, des couleurs d’accords, qui me guident vers une mélodie de chanson. Ensuite, en général y a le parfum de la couleur des accords, du rythme, et y a une espèce de mood qui s’instaure, et de là ça me dirige vers différents sujets, mais c’est déjà supporté par la musique, si c’est triste, ou joyeux, on l’entend déjà, idem si c’est mélancolique, et ce grain musical me dirige vers le thème à aborder. Ensuite ça passe par discuter avec mes potes. J’aime bien leur dire que j’ai envie d’écrire une chanson sur tel thème, on débat, on discute, et on va chercher l’essentiel, en fonction de ce qu’on a traversé, de nos différents avis, et je me nourris de ça avant de l’injecter dans mes textes.

Tu pars donc d’un yaourt pour aller vers l’écrit
Exactement.

Est-ce qu’il t’arrive d’avoir la démarche inverse, d’écrire un texte et ensuite le mettre en musique ?
Nan, ça ne m’est jamais arrivé et je pense que ça ne m’arrivera pas souvent. J’ai pas pris d’automatismes dans ce sens, et la fois où j’ai essayé j’ai échoué. Je préfère partir de la musique.

Qu’est-ce que t’apportes le studio en terme d’émotions comparativement à celles de la scène ?
C’est pas du tout les mêmes. C’est une question pertinente. Le seul point commun, c’est qu’il y a moi, et un micro, ou des musiciens et moi, mais le partage ne se fait pas de la même manière. Quand je suis en studio, le partage se fait entre mes musiciens et moi, mais c’est surtout une espèce d’exigence un peu personnelle, une sorte d’introspection sur mes émotions à ce moment précis, savoir si j’ai réussi à les donner comme je voulais les donner, si ça correspond au morceau, si c’était la bonne énergie. Quand on est en studio, on balaye un panel de versions, parce que je ne fais jamais une seule version d’un morceau, il y en a toujours trois ou quatre, et on choisit la meilleure. Finalement, en studio on se laisse l’occasion de ne pas être dans la bonne humeur ou la bonne énergie, alors que sur scène t’as pas le choix parce qu’il n’y aura qu’une seule version du morceau.

Est-ce que tu conditionnes les émotions ? Est-ce qu’il y a une part d’acting, émotionnellement, en studio, comparativement à la scène ?
Non. Je fais beaucoup plus semblant dans la vie que derrière un micro en vérité. C’est pas pour dire que je suis hypocrite, mais juste parce qu’on est fait de cette manière là, on a de la politesse, on fait attention aux autres. Quand t’es en studio, tu ne fais attention qu’à la musique, et je me laisse porter par l’émotion de la musique.

Donc dans la création, tu ne triches pas avec les émotions.
Non, pas du tout. Mais excuse-moi, juste pour rajouter un point, je peux me laisser facilement aller à pleurer par exemple, ça peut me porter jusqu’à ce point là, alors que dans la vraie vie tu ne me verras pas souvent pleurer, on est un peu dans les éléphants qui se cachent pour mourir, je le ferai sous la douche à la limite, je ne vais pas avoir le même lâcher-prise, alors que dans ma musique je me sens libre.

Comment s’est passée la collaboration avec IAM ? À quels hommes et artistes t’as eu affaire ?
J’ai eu affaire à toute la team, ils ont été adorables. Ils sont vraiment top, c’est des tontons pour moi, c’est des références, et de professionnalisme aussi. J’ai eu quelques collaborations dans le rap, et eux c’est des pros, hyper carrés, ils te disent à quelle heure et quel jour ils vont t’envoyer le truc, quel jour ils iront en studio, à quel stade ils en sont de la création des lyrics, ils savent ce qu’ils font et mènent bien leur barque, depuis des années, c’était un honneur de les recevoir sur mon disque. J’ai déjà collaboré avec Akhenaton sur l’album 20syl de Hocus Pocus, sur un morceau qui s’appelait « À Mi Chemin », ça m’avait permis d’avoir une première approche avec Akhenaton en studio, et du coup on avait rencontré la team sur scène en tournée sur des festivals. Ils sont dans une super dynamique et un super état d’esprit, vraiment dans le partage, et dans le partage des connaissances, ce sont des puits de connaissances, franchement, des purs mecs. Et puis, Shurik’N, je suis fan de sa voix, qui a grain qui me rappelle celui de Method Man, ou DMX, je sais pas, mais y a un truc qui me plait dans son grain de voix, que j’ai toujours aimé. Et les scratches de DJ Kheops… ça devient un classique à chaque fois qu’il prend les platines, c’est les scratches que tout le monde a découvert dans les années 90 quoi, c’est ça que t’entends, et quand il a commencé à scratcher sur mes voix pour l’intro du morceau je suis devenu comme un ouf ! J’ai bondi au plafond, je me suis dit « cool ! ». J’ai des potes qui s’amusent avec des platines, mais là c’est un autre level, c’est un instrumentent de musique.

T’as fait appel aux réseaux sociaux pour les instrus. Est-ce que t’aurais pu avoir la même démarche pour d’éventuels featurings ?
C’est vrai que je ne me suis pas posé la question, parce que je connais déjà pas mal d’artistes. C’est les beatmakers que je connaissais un peu moins. C’est aussi pour changer, on vient de parler du processus de création, et l’air de rien on part toujours d’une page blanche et on construit, et là ça me permettait d’inverser la tendance et de partir de l’énergie des autres, et venir me greffer avec mon flow, et j’ai adoré faire cet exercice.

Bon, tu noteras que je t’ai soufflé l’idée pour les featurings !
Ouais bien joué ! (rires)

Quel rapport t’as aux réseaux sociaux justement ?
C’est un peu mes magazines. J’utilise beaucoup Instagram. C’est un peu un magazine que tu feuillettes, j’aime bien, tu t’abonnes à des pages, voilà… C’est le seul rapport que j’ai, les autres je ne les utilise pas.

C’est toi qui gères ta page ?
Ouais, ouais, c’est moi.

Quand t’es sur ton insta, c’est à l’homme ou à l’artiste qu’on s’adresse ?
J’en ai aucune sorte d’idée (rires). Ça doit dépendre des heures sans doutes. (rires)

Mais donc y a pas une démarche strictement professionnelle dans le fait d’avoir un Insta.
Non, non, pour moi c’est un magazine, même si c’est ma page officielle. Ça me permet quand même d’aborder des choses de mon métier, comme par exemple aller chercher des graphistes, ou des mecs qui font des vidéos, des choses quand même liées au boulot.

photo © Franck Bohbot

Qu’est-ce que tu serais devenu si tu n’avais pas chanté ?
Qui peut le dire… Mais je serais peut-être professeur d’arts plastiques.

T’as fait les Beaux-Arts ?
Ouais, pendant cinq ans, j’ai eu mon diplôme, je voulais devenir artiste. Le milieu de l’art peut être encore plus difficile que celui de la musique, donc est-ce que j’aurais réussi… J’aurais fait mes choses, j’aurais essayé de trouver des points de vente, j’aurais essayé de montrer mon travail ça c’est sûr, mais en parallèle je m’étais dit que c’était cool aussi d’enseigner, j’aime bien le rapport avec les gamins, jeunes ou moins jeunes. J’avais pour but de passer mon CAPES à la sortie des Beaux-Arts.

Et à l’époque où tu étais aux Beaux-Arts, tu savais que t’avais une voix ?
Ouais bien sûr, je chantais dans les couloirs déjà (rires), et j’avais déjà des groupes à Tours, le kiff c’était d’aller faire des jams à la sortie des cours.

T’avais donc une idée derrière la tête ?
Ouais, ouais, j’avais déjà ma petite idée derrière la tête. (rires)

Et maintenant, si tu perdais ta voix, tu ferais quoi ?
C’est une évidence, je reprendrais les pinceaux, je me remettrais à la création plastique, si je ne peux plus utiliser ma voix j’utiliserais sans doute mes mains.

Là tu ne le fais plus du tout ?
Non, là franchement c’est vraiment de l’ordre du gribouillis dans la marge du cahier. Je ne dessine plus, je n’ai plus de pratique artistique.

Qu’est-ce que t’attends de la vie ?
Écoute, elle m’a déjà donné énormément de choses. J’attends de continuer de la partager avec des humains formidables, j’aime bien mes humains, je les trouve sympas, je trouve que les humains sont quand même assez étonnants. Évidemment la nature regorge de richesses, j’ai eu la chance de voyager pas mal et..là actuellement je suis en Normandie, au port du Lude, et c’est un festival de décors plus lunaires et plus dingues les uns que les autres, mais moi c’est les humains qui me passionnent en fait, je les adore. Ouais. Donc encore beaucoup de rencontres sans doutes, et beaucoup d’échanges pour comprendre un peu les différents points de vue, prendre du recul, philosopher, prendre de la hauteur aussi beaucoup. Parce qu’il n’y a pas forcément de sens à la vie, c’est ça qu’il faut capter, j’ai mis longtemps à vraiment reconnaître ça, parce que t’as des attentes, t’es dans une société où les gens sont guidés dans une forme de direction qui appelle aux résultats, des choses comme ça, et j’ai grandi avec des familles de bosseurs, mon grand-père était cuisinier par exemple, ce sont des gens qui se lèvent le matin… leur cocon c’est la famille, donc les humains, et c’est là qu’ils donnent un sens à leur vie, parce que bon le boulot ça va un temps mais c’est surtout pour payer les factures. Je crois qu’il n’y a pas vraiment de sens à la vie, par contre dès lors qu’on échange entre nous, entre humains, sur nos émotions, sur nos peurs, sur nos connaissances, sur nos découvertes, le cerveau oublie les névroses, il n’a plus de peurs, y a plus trop de mal-être et ça libère un peu de tout quoi. Faut rigoler !

Je te remercie de ne pas m’avoir juste répondu : « Être heureux »
Ah ouais c’est chiant ça… (rires)

Merci Ben.
Merci, c’était vraiment très cool ton interview !