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LA FEMME

Par SCOLTI

Le Grand Final de Bière À Lille au Zénith accueillera, entre autre, LA FEMME et son nouvel album sous le bras ou presque (Teatro Lucido’ sortira le 4 novembre). Rencontre avec Sacha Got, guitariste et joueur de thérémine.

Salut Sacha, bienvenue chez ILLICO! LA FEMME est de retour… ça fait plaisir de venir jouer chez nous ?
Le public du Nord est particulièrement chaleureux je dirais, ouais les gens dans le Nord sont un peu chauds !

Tu viens avec le thérémine ?
Ouais !

Est-ce que cet instrument est une mise en abîme ? La musique est quelque chose qui ne se voit pas, et avec le thérémine on ne voit pas vraiment ce que le musicien joue.
Ouais, j’avais jamais pensé à ça comme ça, mais oui c’est le principe des ondes, de la vibration, et clairement la musique c’est des vibrations, quelque chose d’invisible. C’est aussi l’un des premiers instruments, mais quand on le regarde on dirait que c’est un truc futuriste, c’est assez étrange.

Comment t’as découvert ça ?
J’avais vu un groupe en jouer sur scène, ça m’avait intrigué, puis je suis allé regarder des vidéos de Clara Rockmore, ça m’a tout de suite frappé et j’ai décidé d’en acheter un rapidement.

Quelle est la limite du « comme dans les sixties » qui, chez La Femme, signifie « rien à foutre » ? Jusqu’où on peut en avoir rien à foutre de tout ?
Oui, ça veut dire rien à foutre, mais ça ne veut pas dire que ça, c’est un état d’esprit en fait. Ça parle d’une vision, celle des années 60 qu’on verrait comme très innocente et très festive, même si on se rend compte en creusant que c’était pas si innocent, y avait quand même la guerre du Vietnam, des problèmes sociaux, même si on était dans les Trente Glorieuses, que c’était la fin de la guerre, c’est quand on regarde avec du recul qu’elle paraît très insouciante et plus légère. Donc à partir de ça, on en a fait un état d’esprit, où en effet on s’en fout, ça peut vouloir dire plein de choses, ça peut vouloir dire ne pas trop réfléchir, se prendre la tête, vivre l’instant présent. Ça veut dire plein de trucs en fait !

Éviter d’en avoir quelque chose à foutre, c’est la porte d’entrée vers l’auto-dérision ?
C’est la porte d’entrée vers une certaine liberté je pense, une certaine légèreté. C’est facile à dire, mais au final tout le monde en a quelque chose à foutre de quelque chose. Plus on est détaché de tout, moins on a de choses à perdre, moins on possède, plus on est libre, quelque part.

C’est dans le contexte de LA FEMME que tu trouves le plus de liberté ?
Non. LA FEMME c’est devenu aussi beaucoup de responsabilités, des contraintes, on a des comptes à rendre, on a de la pression, on a du stress. Donc peut-être que oui, au début, mais à l’heure qu’il est, non.

Est-ce que du coup il reste une place pour les imperfections, qui parfois participent du charme ?
Ouais… de toute façon la perfection est une histoire de point de vue. Les choses qui peuvent me paraître parfaites ne le sont pas forcément pour l’autre. Donc par exemple, sur mes chansons je vais trouver qu’il y a des défauts, et d’autres vont les trouver parfaites.

C’est une affaire de prisme ?
Ouais, c’est subjectif, vraiment.

Quel est le processus de non-création de LA FEMME ? Comment vous faites pour ne pas créer ou pour vous faire chier ?
(rires) On fait des trucs sommaires, comme tous les gens. On mange, on dort, ce genre de choses qui ne relèvent pas de la création.

Vous n’êtes donc pas dans la création permanente ?
Nan, on fait beaucoup d’autres choses aussi, de la logistique, de l’organisation. La création pure, c’est vraiment faire des chansons, des clips, des œuvres, tout ça nous prend un quart de notre temps, et le reste du temps on fait d’autres trucs quoi. Et puis la création, c’est avoir l’idée d’une chanson, de commencer à la faire, puis de la finir. La suite moins de la création à proprement dite, c’est vraiment du boulot, c’est des heures devant l’ordi, c’est de la technique, c’est plus vraiment de la création.

Et donc, quand on sort de la musique, pour tuer le temps on va parfois faire un tour en club échangiste ?
(rires) Club échangiste, nan pas vraiment (rires), j’ai jamais trop testé… nan ! (rires)

Je me posais la question par rapport à la collaboration avec Leolulu, l’un des couples star du porno sur le net ? Comment s’est passée cette collaboration, de où ça vient ?
Le mec, Lulu, est l’un des meilleurs amis du frère de Marlon. Ils se connaissent depuis tout petit. On le croisait, sans savoir ce qu’il faisait, puis on s’est rendu compte qu’il faisait du porno, ça nous a d’abord un peu fait marrer, puis en parlant on s’est dit que ça serait marrant de faire une collab’, sans trop aller plus loin, sans vraiment savoir. Puis, finalement, avec le morceau, ça s’est concrétisé au bout d’un moment.

Y a une prise de risque à faire ça. Vous avez eu quels retours ?
Globalement ça va, bizarrement. On s’attendait à… parce que maintenant les gens s’offusquent de tout, et se choquent de tout… on s’attendait à avoir des remarques. Comme d’hab, y a quelques personnes qui se sont montrées offusquées, mais globalement ça va. Mais au final, quand on regarde le clip, c’est vraiment quelque chose d’artistique.

On est d’accord !
C’est pas un porno bête et méchant. Et de toute façon… nos premières pochettes c’étaient des vagins etc… Mais quand on y réfléchit, les gens s’offusquent ou censurent quand on montre des tétons, et en revanche c’est permis de mettre du sang, des armes, de la drogue, dans des clips, c’est complètement absurde et contradictoire, c’est complètement bête que le sexe soit aussi tabou alors qu’on peut montrer la violence partout. À la base le sexe c’est quand même la vie, c’est la nature, c’est quelque chose d’agréable et de positif, c’est l’inverse de la violence.

Tu peux me donner ta définition de la liberté ?
C’est une vaste question. Il faudrait cinq pages pour répondre, on entre dans la philosophie là. Te répondre en une phrase est compliqué, mais je dirais que c’est le fait de ne pas avoir de responsabilités et de comptes à rendre, ne pas avoir d’attaches physiques ou émotionnelles, de lieu, de travail, de dépendance financière. Mais la question est vaste, et j’ai pas une formule toute faite.

Bon, et sinon, « La journée de la femme », c’est de la promo toujours bonne à prendre ?
(rires) C’est vrai qu’au début du groupe y avait toujours ce truc là. Une fois on a fait un concert sur Skype pour la journée de la femme, on était dans notre studio, on l’a fait sur Facebook aussi… mais au final c’est tous les jours la journée de LA FEMME pour nous ! (rires)

«  On sait apprécier un bon film, une belle peinture, un beau monument, un beau paysage… mais c’est la musique qui passe avant tout… »

Le mot « liberté » ressort de votre univers, mais également le mot « folie ». La folie, c’est un impératif de survie ? Est-ce qu’on a besoin de folie personnelle pour échapper à la folie générale ?
La folie aussi est une vaste question ! Je me rappelle qu’au collège il fallait se montrer assimilé, avoir les mêmes vêtements que tout le monde, il ne fallait pas déborder, et au final c’est quelque chose qui peut rendre malheureux plein de gens. Des gens arrivent à vivre comme ça, dans une vie plus ou moins normale. La folie permet de ne pas être des moutons qui se ressemblent, de montrer qu’on a chacun nos particularités. Mais la folie est un grand mot, « devenir fou » peut sonner très pessimiste. La folie peut amener une personne à être très malheureuse, très marginale, voire à se suicider. Et on peut aussi en faire une force, finalement un artiste est un fou qui est reconnu, alors qu’un fou non-reconnu sera catalogué comme border-line, ou psychopathe, des trucs de ce genre… la limite entre les deux est maigre.

Et si on reste sous l’angle pessimiste, quand je parlais de la folie générale, de la folie du monde, t’en penses quoi ?
Le monde, depuis qu’il existe, est fou. Les combats avec des épées, les jeux du cirque, y a dix mille trucs complètement fous. On est censé être plus civilisés maintenant, on a une espèce de contrat social. Il n’y avait peut-être pas de règles, avant les religions, les monarchies, et tout ça. Les gens devaient s’entretuer, c’était probablement la loi de la jungle, et finalement c’était complètement fou. Le monde est resté fou, mais des règles sont là.

Et donc, où va le monde ?
Il va droit dans le mur je pense… (rires)

Tu vois que tu peux être synthétique quand c’est philosophique ! (rires)
La différence avec le monde fou d’avant et celui d’aujourd’hui est qu’on est informé, on a un regard sur tout. Il y a toujours eu des guerres partout, depuis toujours, et la différence, avec la guerre en Ukraine par exemple, est qu’on le sait et le voit directement. La médiatisation fait qu’on prend vite conscience. Maintenant, tout paraît fou, mais c’est aussi parce qu’on a trop d’infos, par rapport à avant. Si on oublie de penser à tout ce qui se passe autour, si on coupe nos téléphones, nos télés, qu’on va habiter à la campagne…c’est toutes nos connexions qui font qu’on a conscience de tout et que tout prend des proportions énormes.

LA FEMME, c’est de la musique, ou un ensemble indissociable de musique et d’images ? Est-ce que LA FEMME pourrait exister sans images ?
Ouais. On fait avant tout de la musique, avant de faire des clips. On sait apprécier un bon film, une belle peinture, un beau monument, un beau paysage… mais c’est la musique qui passe avant tout, le reste ne fait qu’ajouter une autre dimension. J’ai commencé la musique dès le collège…

« Notre cohérence est dans l’incohérence, dans le fait qu’on aille partout, que c’est très éclectique et que c’est ce qui fait notre truc… »

Artistiquement vous allez dans plusieurs directions. Comment on se crée une identité dans l’éclectisme ?
C’est un truc qu’on a mis longtemps à trouver. On a passé beaucoup de temps en sous-marin avant de montrer quelque chose aux gens, on voulait vraiment avoir une identité et c’est ce qui est dur en tant qu’artiste. Finalement, on a trouvé la notre à la croisée des choses qu’on aime, qu’on préfère. C’est en mélangeant des trucs qu’on l’a trouvé. Au début c’était vraiment en mélangeant la musique des années 60, le yéyé, la soul, la pop musique avec les synthés des années 80, c’est en mélangeant tout ça qu’on a fini par trouver notre originalité je pense. Ensuite on a continué dans cette lignée, et au fur et à mesure l’identité s’est précisée, le fait de chanter en français, certaines descentes d’accord, des choses comme ça. Au début je voulais souvent avoir des morceaux qui se ressemblaient, pouvoir me dire qu’on avait fait un album cohérent, mais avec du recul j’ai abandonné cette idée. Notre cohérence est dans l’incohérence, dans le fait qu’on aille partout, que c’est très éclectique et que c’est ce qui fait notre truc, qui nous anime, qui nous donne envie de continuer. Pour moi y a deux types d’artistes, t’as les Kubrick, qui sur chaque film va s’essayer à un nouveau style, passer de la science-fiction au film historique ou au film d’horreur, et je pense qu’on est plus dans ce style, et après t’as les Woody Allen, où ça sera toujours le même truc, j’exagère mais c’est pour illustrer le propos. Et sinon, Georges Brassens, que j’adore. Le mec a trouvé son style quoi, une guitare, une contrebasse, une moustache et un polo, et il chante ses chansons. Il change ses paroles, mais son style musical reste le même. Y a deux façons d’aborder son art. Ouais, on est plus dans la catégorie Kubrick, voire même Gainsbourg, qui se renouvelait dans tous ses albums.

Tu peux me parler de Paradigmes, le film ? Comment c’est né, et les retours ?
C’est né d’un clip de Paradigmes et d’une connexion, où on imaginait une sorte de générique d’émission de télé, en mode années 70. On imaginait un talk-show, en mode radio ou télé, à la Polac, ou même Ardisson pour les années 80. On a décidé de construire un décor pour le clip, et on s’est dit qu’on pouvait faire d’autres clips avec le même décor, le même lieu de tournage, que ça serait plus rentable, c’était pratique, et on avait les mêmes équipes. Au fur et à mesure est née cette idée d’émission de télé qui regrouperait tous les clips qu’on aurait tourné pour l’album. C’était l’occasion de faire du grand format et de tout mélanger.

Et du coup il n’y a pas eu d’écriture globale en amont ?
Non. On a écrit les enchaînements, pour l’émission de télé etc, mais tout ce qui s’est passé sur le plateau, le côté débat, n’a pas été écrit, on a invité des gens et on a parlé de choses, y a pas de dialogues écrits. Y a que la structure qui a été écrite.

Est-ce que tu as des regrets, dans ta vie artistique et personnelle ?
Artistiquement j’en ai plein, et c’est assez pénible. J’ai réécouter des morceaux du dernier album, et il y a plein de trucs, si j’avais su, que je n’aurais pas fait comme ça. Mais c’est toujours après coup et avec le temps qu’on se rend compte des choses. Quand on termine un album on a le nez dedans et on n’a pas de recul. Après, ce sont des regrets techniques, rien de dramatique. Même quand je regarde le tournage du film, y a plein de moments où je me dis « merde, j’aurais pas fait ci, ou fait ça ». Mais c’est facile à dire après coup encore une fois, sur le moment c’est dur à faire. Ça fait partie de ce qu’on fait. Et c’est dur.

Et dans la vie ? Des regrets ?
Oui. Mais je pars du principe que, dans tout ce qu’on fait, on pense toujours qu’on fait le meilleur choix au moment où on le fait. On est dans l’instant présent, et des fois il faut faire des choix rapidement, on va fonctionner à l’intuition, aller vers ce qu’on pense être le mieux pour nous. Mais donc de ce point de vue là, je me dis que non, chaque décision a été prise parce qu’on pensait que c’était ce qu’il y avait de mieux à faire, et y a qu’avec le recul qu’on se rend compte des choses. Mais sinon on ne ferait plus rien, si on pensait comme ça, on agirait pas, on resterait recroquevillé, et on entreprendrait rien. Entreprendre des choses induit qu’on peut se tromper.

Et t’as donc plus tendance à regarder aujourd’hui et demain qu’hier.
J’essaye, mais c’est pas évident. J’essaye de pas trop regarder derrière, et j’essaye de plus en plus d’être dans l’instant présent.

Merci Sacha !