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LES FATALS PICARDS

Par Raphaël LOUVIAU

Je dois avouer en préambule et par honnêteté intellectuelle que les aventures des FATALS PICARDS m’ont toujours laissé de marbre. Notre première rencontre s’était soldée par un échec mais m’a amené à connaitre Laurent Honel, guitariste et compositeur du groupe. Une amitié virtuelle s’est forgée faite de goûts communs et de respect mutuel. J’admets aussi que je me suis souvent moqué d’eux. Laurent a toujours répondu avec courtoisie et, je le concède volontiers, avec des arguments qui, quoiqu’éloignés des miens, méritent d’être entendus.

Le retour des FATALS PICARDS au Zenith de Lille était donc l’occasion de faire le point sur la carrière du groupe et en ce qui me concerne, de comprendre l’incompréhensible et pourquoi pas, de dire l’indicible. Pour appréhender les FATALS PICARDS, faut se défaire des idéaux, de la perspective historique et revenir à hauteur d’homme. Ça tombe bien, Laurent est un spécimen intelligent et intarissable.

Bonjour Laurent, si je te dis en préambule à cet entretien que les Fatals Picards m’ont toujours laissé de marbre, que réponds-tu ?
Laurent Honel : Tu es libre d’écrire et de penser ce que tu peux. Je trouve ça toujours intéressant les opinions divergentes. Il y a plein de bonnes raisons de ne pas aimer les Fatals.

Tu peux nous en donner quelques unes ?
En vrai, si je n’étais pas dans ce groupe, je ne pense pas que j’écouterai notre musique. Et je n’ai aucun problème par rapport à ça. Quand je dis que je comprends les gens qui n’aiment pas les FATALS PICARDS, c’est parce que, étant moi-même grand consommateur de musique et très souvent désireux de m’évader avec des œuvres dont les qualités dépendent davantage de leur dimension musicale que textuelle, je comprends parfaitement que l’on recherche dans la musique certaines choses que nous ne proposons pas. Quand j’écoute, par exemple, un album des Kinks, de Femi Kuti, ou de Miles Davis, c’est pour y trouver des choses beaucoup plus abstraites, un peu comme avec la poésie quand le sens s’efface au profit de cette petite musique qui nous rapproche peut-être un peu plus de notre spiritualité intérieure. Après, je défendrai toujours bec et ongles l’originalité du groupe pour ce qui est de l’énergie, de la convivialité, du partage, de l’honnêteté intellectuelle de notre démarche, et de notre approche textuelle. Et puis, lorsque nous abordons l’écriture d’un album, nous ne nous disons jamais : « Tiens, nous allons faire un album, avec un son bien particulier, une approche bien particulière, une volonté de créer une œuvre cohérente ». Notre démarche est assez simple : faire des chansons, sur des sujets qui nous émeuvent, nous touchent, nous indignent, nous font rigoler… et assembler tout ça pour en faire ce que certains appellent un disque. Après, je trouverais intéressant de réaliser un « concept-album » autour d’un thème bien précis tout en gardant le cahier des charges du groupe. Pour moi, la musique, c’est un peu comme une échelle de Jacob où chaque artiste choisirait de se positionner sur un barreau, à une distance plus ou moins grande du ciel et de la terre. En ce qui nous concerne, je nous vois bien au premier barreau, peut-être au deuxième… Pour conclure, sur les concerts, il y a cette énergie qui nous est propre qui fait que nous créons quelque chose qui, pour le coup, fait davantage appel au corps, aux prémices de la transe… J’exagère peut-être un peu, mais l’idée est là.

Est-ce que ce n’est pas en creux une critique de votre public ?
Pour ce qui est de notre public, même si cela ne transparaît pas toujours sur les réseaux, il est extrêmement éclectique. Tu vas trouver des punks de base, des ouvriers, des cadres, des professeurs qui écoute France Inter, des enfants, des fans de Renaud mais aussi de Neil Young. Nous avons cette chance de fédérer autour de nous des profils assez hétéroclites. Ce qui nous correspond totalement. Je suis justement très fier de cette hétéroclicité.

Vous avez le sentiment de rendre ce public meilleur quand il vous écoute ?
Je ne sais pas si nous rendons les gens moins cons. Mais comme nous avons dans nos influences des gens qui nous ont aidé à nous ouvrir, à développer et à aiguiser nos outils critiques, nous essayons parfois mais pas tout le temps de faire de nos chansons de petits moments de réflexion. Sur le prochain album, il y a une chanson qui parle de la France qui vend et fabrique des armes et, ça pour moi, c’était un sujet important à aborder dans la mesure où c’est souvent dans l’angle mort programmatique des hommes politiques. C’est quelque chose qui fonde notre rapport à la démocratie et qui, malheureusement, n’est que trop rarement l’objet de réflexions citoyennes. Voilà un bon exemple.

Vous êtes entrés dans les manuels scolaires, vous êtes donc parvenus au but que vous vous êtes fixé ?
Sur scène, nous terminons notre concert avec une chanson qui s’appelle « Fils de P. », sur le fils imaginaire de Poutine. La dernière phrase c’est « Mon père, c’est Vladimir Poutine, si tu lui fais de la peine il envahit l’Ukraine ». Nous avons écrit ça en 2015. Je suis tristement content de savoir que nous n’écrivons pas toujours n’importe quoi. Bon, en même temps, il avait déjà envahi une partie du Donbass !

Il y a tout de même un autre paradoxe que je ne résiste pas à relever à ce stade de notre conversation: Eveiller les consciences c’est noble mais dans la réalité, les FATALS PICARDS c’est plus de la bonne humeur après trois bières chaudes sur une pâture de festival breton, non ?
Alors, oui, pendant le concert c’est très souvent ça. Et nous sommes très heureux de savoir que notre public arrive à oublier ses tracas pendant 1h30 de spectacle. Après, il reste les chansons que l’on écoute chez soi et qui, pour le coup, doivent raisonner un peu différemment. J’aime beaucoup cette idée de sourire et de danser en écoutant une chanson dont le sujet est tragique. Finalement on en revient à cette politesse du désespoir qui serait l’apanage de l’humour comme le disait je ne sais plus qui. En général quand je ne sais plus qui, c’est Oscar Wilde (Il s’agit de Chris Marker, NDLA)

Ok pour la dimension pédagogique mais le rock n’roll dans tout ça ?
Alors, si on considère que le rock n’roll est une affaire de son, de style vestimentaire, ou de style tout court, clairement, nous en sommes assez loin. Par contre, si on reprend les choses en 1954 avec l’idée que cette musique venait mettre à mal une société vivant dans un carcan normatif un brin sclérosé, là, je dis que oui, nous faisons du rock n’roll. Il y a peut-être eu un moment d’adhérence entre le fond et la forme. Je pense que nous avons conservé une partie du fond.

Hum… Je crois que mon problème avec vous n’est pas le contenu ni même le contenant mais le positionnement… Je dois avoir gardé une vision romantique du R&R qui s’accommode mal aux bons sentiments d’une part et à la bamboche à la française depuis ces couillons de Ludwig Von 88 d’autre part. Un vieux puriste légèrement snob donc !
Le truc, en ce qui nous concerne, c’est que nous sommes indépendants dans notre manière de travailler, économiquement, mais que nous avons le cul entre deux chaises : quelque part, nous proposons une espèce de synthèse plus ou moins réussie entre l’alternatif et le commercial. En fait, nous avons du succès avec un nom pourri et une démarche qui vise surtout à garder notre liberté de ton. Et je suis bien placé pour savoir que, en ce qui concerne les FATALS PICARDS, nous avons beaucoup brouillé les pistes.

Comment gérez-vous ce que devez vivre parfois comme du mépris ?
Pour ce qui est du mépris, c’est vrai que nous avons dû souvent batailler pour imposer notre vision des choses face à des gens qui avait l’air de ne retenir du groupe que le nom et l’Eurovision. Mais, à titre personnel, c’est peut-être une vraie source de fierté que d’avoir réussi à faire bouger un peu les lignes de ce côté là. Sinon, Le mépris est un excellent livre de Moravia, et un excellent film de Godard. Enfin, selon moi.

Tu ne vas pas t’en sortir avec une pirouette ! On sent une blessure, non ?
Je suis désolé, mais il y a trois films de Godard que j’aime. Dont celui-là. Alors, oui, c’est une espèce de blessure, mais je dirais que c’est une blessure paradoxale dans la mesure où le groupe a une longue histoire, et que le cahier des charges actuel n’est plus le même que celui des débuts. Il a fallu attendre le départ d’Ivan pour que nous nous orientions vers quelque chose qui nous correspondait plus sur le plan artistique. Disons que, actuellement, je me sens presque totalement en phase avec ce que nous créons. Alors qu’avant, j’avais plus de mal à défendre la totalité de notre production. Mais j’ai toujours senti la potentialité que recelait le groupe. En fait, contrairement à beaucoup d’artistes, nous mettons sur la place publique des choses qui chez d’autres seraient peut-être demeuré à l’état de brouillon en attendant de pouvoir offrir quelque chose de plus « abouti ». D’où cette probable impression d’amateurisme qui, je l’espère, disparaît où s’estompe avec le temps.

« Cahier des charges », « potentialité », tu parles comme un community manager… Ce qui est assez éloigné de la notion d’amateurisme !
Pour le cahier des charges, je plaide coupable. J’ai intégré le groupe, au tout début, certes, mais en acceptant déjà de me fondre dans un certain état d’esprit. Franchement, je ne suis satisfait du son de nos albums que depuis Espèces Menacées. Après, si je dois parler de « maturité textuelle », je pense que c’est pour le coup bien antérieur.

C’est toi qui écris ou c’est partagé ?
Les chansons sérieuses, c’est moi. Les trucs politiques aussi. Après sur le dernier album, nous avons travaillé avec Paul sur 80 % de l’album. Sur le précédent, c’était à peu près pareil. Nous avons enfin trouvé comme une espèce de méthode qui marche, tant sur le plan de l’écriture que sur celui des enregistrements. Et puis, nous passons beaucoup de temps sur la route en temps normal. Il y a des idées qui fusent de partout. Notre travail, c’est d’être attentif à tout ça et d’en garder des traces pour plus tard.

Je viens de relire un article que j’avais écrit en 2011 pour le défunt Presto! (article en pdf). Je ne vois pas ce que je peux dire de plus (ou de moins d’ailleurs)…
Il y a plein de choses que je partage. J’espère avoir progressé dans ma capacité à être le moins manichéen possible quand je traite des sujets de société. Et je suis tout à fait d’accord avec l’absence de métaphore. Mais, ça, je pense que c’est quelque part le plafond de verre auquel se cogne l’humoriste. Je peux me tromper, mais ça rejoint cette histoire d’échelle de Jacob. Je ne sais pas si je suis très clair.

Non !
Ce que je trouve intéressant dans ce concept, c’est qu’il permet d’éclairer l’idée que chacun se fait de la musique et de sa fonction. J’ai lu un essai d’un musicologue très brillant qui parlait justement de ça, enfin indirectement, et qui établissait comme une espèce de classement qui allait de la musique la plus abstraite, la plus instrumentale – et donc la plus propice quelque part à l’évasion – à la musique la moins « musicale » : le texte parlé, librement, sans mesures, sans rythmes, sans possibilité d’élévation spirituelle. Dans tous les cas, il parlait de musique. En fait, moins le texte est métaphorique, moins la poésie est présente dans la manière de jouer avec les mots, plus cela t’oblige à conserver ton statut de terrien privé de spirituel – en même temps, être spirituel… Ça va finir en citations du Bourgeois Gentilhomme ça ! Ce qui est marrant, c’est que sur scène, après le rappel, nous finissons par un énorme Flashmob où nous oublions totalement la dimension textuelle pour deux minutes de corps qui sautent.

Tu dis la même chose qu’Annie Ernaux (mais en moins bien et elle, sans flashmob !)
C’est peut-être notre manière à nous d’avouer les limites du genre et de laisser la place à quelque chose de plus, allez, lâchons le mot : dionysiaque. Et j’aime beaucoup Annie Ernaux. D’ailleurs, c’est suite à une interview de Pierre Desproges que j’ai lu son premier roman, La Place.

Non, là tu te fous de moi! C’est pas dionysiaque du tout, c’est juste que ton public a besoin de « rigoler » avec un flashmob et des reprises de Desireless !
Alors, c’était Mylène Farmer. Mais, sérieusement, la fin du concert permet, de manière certes très modeste mais tout de même, de partir dans quelque chose de beaucoup plus physique qu’intellectuel. Et puis, vu l’état de certains spectateurs, je peux invoquer le dieu du vin !

Pour conclure, que représente cette date à Lille pour toi et pour le groupe ?
Pour ce qui est du groupe, je dirais que nous ne sommes pas plus heureux de jouer ici qu’à Toulouse ou à Strasbourg, mais le Nord fait partie des premières régions dans lesquelles nous avons commencé à remplir les salles. Et puis, il faut être honnête, Lille est une ville où l’ambiance des concerts à ce je ne sais quoi de particulier. Mais c’est peut-être très subjectif. C’est peut-être justement dû au fait que je suis lillois depuis maintenant 14 ans et que mes relations avec cette ville sont devenus plus sentimental. Et puis, et je le dis sans démagogie aucune, le socialiste – j’ai dit « socialiste », pas « hidalgien » – que je suis devait avoir besoin de sentir des terrils près de lui pour trouver le bonheur !