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Photo © Melanie Elbaz

MAXWELL FARRINGTON & LE SUPERHOMARD

par Raphaël LOUVIAU

Que les choses soient claires : si la modernité consiste à faire des vocalises d’oisillon tombé du nid comme Vianney, autant être rétro ! Rétro, pas forcément passéiste. Le talent de MAXWELL FARRINGTON & LE SUPERHOMARD écarte le risque de fossilisation. L’alchimie de ce duo est magique car elle dépasse largement la somme de leurs compétences. Le cliché est éculé, certes, mais le ravissement éprouvé à chaque écoute vaut bien que l’on y cède. Ces deux là ont sorti l’un des disques les plus passionnants de l’année et s’apprêtent à offrir aux Haut de Français trois cures de jouvence. Une rencontre s’imposait.

Celle entre Maxwell Farrington et Christophe Vaillant s’est faite sous le haut patronage de Lee Hazlewood et Scott Walker. D’un côté, un exilé australien fou de Sinatra, de l’autre un Moderniste Avignonnais. La plupart des « mods » se cantonnent aujourd’hui à la reproduction stérile d’une époque idéalisée, en ressassant inlassablement les faits d’arme de leurs ancêtres, boudinés dans des costumes étriqués. D’autres, plus rares et plus malins, continuent en revanche de faire évoluer leur écriture. On l’aura compris, Christophe le crustacé fait partie de ces derniers.

Il s’explique : « J’essaye toujours de ne pas faire une simple copie des trucs que j’aime en mélangeant les choses et en apportant des éléments plus contemporains. La difficulté est justement de ne pas être complètement dans le rétro mais d’y apporter quelque chose de personnel. La vraie « nouveauté » est réservée aux génies ou aux extraterrestres et ce n’est malheureusement pas notre cas ».

Au génie (le syndrome « Brian Wilson »), on préfèrera la noblesse de l’artisan. C’est moins prétentieux et ça préserve de sorties de route pas toujours bien négociées. Il n’empêche, ses arrangements sont sidérants : « En général je me fais une idée de ce à quoi la chanson doit ressembler dans ma tête et la difficulté est ensuite d’arriver à retranscrire cela pour que ce soit le plus proche possible de mon idée de départ : c’est là que je tâtonne et essaye des choses différentes ».

Lorsqu’on lui demande quel cheminement musical l’a amené à concevoir cette beauté brute qu’est Once, Christophe déroule modestement son panégyrique : « J’ai commencé par des reprises de garage à 17 ans. Je ne comprends rien à la théorie musicale, je suis presque ignare en la matière ». On en reste comme deux ronds de flan, on imagine une pudeur un peu encombrante alors on insiste mais il maintient sa déposition : « Je connais les noms des accords et des notes, c’est déjà ça. Je suis complètement autodidacte, j’ai juste beaucoup écouté Love et The Left Banke ! J’ai appris seul en écoutant des disques avec mon frère jumeau (qui joue les parties de batteries sur l’album) ».

On se remémore avec délectation mais sans nostalgie excessive le guide de survie en milieu hostile (les années 80) de gamins de province: Prisoners, Roadrunners, Fleshtones, la panoplie Mod, on énumère les amis communs et on digresse vers les huitres (« Avec un zeste de citron et rien d’autre. Le vinaigre de framboise c’est pour les fans de Vianney »).

On cause influences et Christophe m’invite à découvrir Jim Sullivan : « Le titre « La Mesa Motel » est un hommage à Jim. C’est le dernier lieu où il a été vu avant de disparaître. Peut être à t’il été dévoré par des chacals ou enlevé par des extraterrestres? Il est plus probablement mort d’overdose dans sa bagnole. Ce disque est génial, cours l’acheter ! ».

Christophe avait raison, vous devriez faire de même. C’est à ce moment là qu’on se rend compte que ce Christophe ressemble sérieusement au pote idéal (qu’il doit être). Un type loyal et honnête qui sait d’où il vient et où il va : « Franchement, je n’ai absolument pas l’impression d’être sous les projecteurs ou quoi que ce soit, toute cette promo ne change donc absolument rien pour moi. C’est vraiment très éphémère ».

Pour éviter de sombrer dans le sentimentalisme, on se recentre sur ses années d’apprentissage : Après avoir fait ses gammes dans des formations souterraines mais impeccables (The Strawberry Smell, Pony Taylor), il s’est créé un super avatar qui lui permet, désormais seul maitre à bord, d’élargir sa palette sonore et d’aller comme bon lui semble dans n’importe quelle direction. Il a sorti sous ce patronyme étrange un premier disque d’apprentissage (Maple Key en 2015) puis un second dans lequel il laissait déjà éclore sa science de la composition (Meadow Lane Park en 2019). Sans dénigrer le passé du garçon, on est ébahi par la qualité des chansons offertes aujourd’hui. Christophe modère modestement: « Je ne pense pas que ce soit un « aboutissement » mais plutôt une évolution logique dans ce travail sur les arrangements. Au niveau des compositions, c’est particulier car les titres sont composés par Maxwell et moi et c’est vraiment un mélange de nous deux. C’est donc très différent des précédents disques du SuperHomard où il y avait aussi plus d’éléments électroniques dans les arrangements ».

Once

On l’aura compris, Once n’est pas un « disque sympa à l’apéro », c’est une merveille qui infuse lentement, distille ses subtilités avec parcimonie, se mérite. Il peut s’offrir aussi dès le premier soir mais différemment. On remarque d’abord les cordes majestueuses et le moelleux des assises les plus accueillantes : sur « Big Ben » par exemple, on jurerait entendre Karen Carpenter plutôt que la Nancy Sinatra si paresseusement convoquée. Et forcément, on défaille. Les arrangements luxueux de Christophe Vaillant sur un impressionnant écheveau mélodique, loin d’épuiser, retiennent et entretiennent l’attention du plus exigeant des auditeurs. L’étrange antithèse entre la noirceur des paroles et la légèreté primesautière des arrangements (ici, une sorte de bossa comme celles sur lesquelles on se trémoussait autour d’amuse-bouche en 63 (« Good Start »), là une ritournelle enfantine et enjôleuse qui ferait fondre un fan de Celtic Frost (« Oysters »), ailleurs une entêtante coulée de synthétiseurs mélancoliques (« Hips »)) ajoute une touche de mystère à des chansons d’une profondeur étourdissante. Sa force n’est pas son originalité (on s’en fout) mais les compétences déployées pour atteindre ce niveau: aucun interlude à la con et pas une chanson faiblarde (le syndrome Paul Weller depuis trop longtemps). Et bien qu’il soit souvent question d’absence et de séparation, il se dégage des compositions de Christophe et Maxwell un optimisme, ni béat, ni naïf mais étrangement revigorant. Les situations dans lesquelles on découvre le narrateur de ces chansons sont souvent étouffantes et la sortie systématiquement bouchée par des forces qui lui sont supérieures : destins, fardeaux, abysses (« My Heart’s A Well ») semblent repousser indéfiniment le temps de l’apaisement. Ces histoires d’outsiders (« A Normal Life Is Not For Me ») évitent toutefois l’écueil du misérabilisme grâce à la lumière que Maxwell laisse deviner au bout du tunnel de chaque récit.

Même si la signification de sa prose reste souvent opaque : « Maxwell écrit selon le principe du « courant de conscience » et chacun interprète ses textes comme il le veut » précise Christophe « C’est très impressionnant à voir, il te fait des paroles en cinq minutes et ça tue ! C’est sans doute son inconscient qui parle et oui, l’absence est très présente chez lui. J’adore ses textes situationnistes surréalistes ! Et Maxwell est un garçon adorable, intelligent et très cultivé ».

On laissera aux psychologues le soin de disséquer l’âme du parolier et on se concentrera plutôt sur sa voix, un baryton profond et assuré qui laisse toutefois affleurer une fragilité que le Lee, souvent ironique et distancié, se refusait. On pourrait vite concevoir un ennui lui aussi mortel à l’évocation de ces mini-tragédies de poche et pourtant tout ici n’est que pamoison. La sobriété dans les orchestrations ajoute à ce sentiment. La technologie permet pourtant aujourd’hui de reproduire les studios Capitol, Abbey Road, Konk ou Gold Star dans sa cuisine et on peut vite être tenté de se prendre pour George Martin, Shel Talmy et Phil Spector. Voire les trois ensemble. « Mauvaise idée ! » répond Christophe. Et d’ajouter : « J’essaye tout le temps d’y aller avec retenue. S’il n’y a pas de respirations, l’auditeur zappe au bout de deux titres ».

D’où ce travail de petit chimiste sur la texture des morceaux, la superposition de fines couches sonores, comme ces cocktails dans lesquels chaque ingrédient coloré ajoute sa saveur. Parfois, au contraire, Christophe privilégie l’épure, ce qu’il appelle les « pleins et les déliés » : l’art de la litote appliqué à la pop. C’est cet art de la nécessité, cette capacité à réaliser un chef d’œuvre abouti, intemporel, un classique donc, avec le budget coiffure de Jeff Lynn, qui laisse béat d’admiration. Le Merlin enchanteur calme nos ardeurs : « Un classique, carrément? Je ne vais certainement pas dire oui, car ce serait très prétentieux, mais en tout cas c’est un album dont nous sommes très fiers. Les retours élogieux de la presse et de la radio nous ont quand un peu même surpris… »

On ne résiste pas à l’envie de lui demander ce qu’il ferait avec un budget plus en adéquation avec ses rêves de Laurel Canyon. Sa réponse nous le rend encore plus aimable : « Je garderais tout ce fric gaspillé inutilement et je m’achèterais une voiture neuve… La mienne est tellement pourrie que c’est la honte quand j’emmène mon fils à la maternelle ! ».

Pourquoi jeter 1000 dollars par la fenêtre pour s’offrir une Fender Jaguar Baritone quand on peut brancher « une guitare folk désaccordée dans un petit ampli » et obtenir un résultat meilleur encore ? Dans un monde parfait, « Love » devrait cartonner dans une série US et rendre les garçons riches à millions. « C’est une chanson que j’ai composée le premier jour du confinement. J’avais le moral à zéro. Il y a des cuillères en bois et une salière en guise de percussions, ce serait rigolo qu’elle finisse par me rapporter dix sous ! »

Entre deux concerts, Christophe planche déjà sur la suite et annonce un EP 6 titres (« on ne se moque pas du client ! ») pour le printemps 2022.