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photo © Jef Léo

BENJAMIN EPPS

Par SCOLTI

BENJAMIN EPPS, jeune rappeur originaire de Libreville (Gabon), répond aux nombreuses questions d’ILLICO!…

Salut BENJAMIN EPPS, bienvenue chez ILLICO! Alors, paraît que t’as « plein de renois dans ch’nord » ? (cf. « Blizzard », feat Vladimir Cauchemar)
Ouais, j’ai plein de renois dans le ch’nord ! Par l’intermédiaire de mon manager, qui est également promoteur sportif, plein de gens qui habitent à Roubaix, à Lille, et qui investissent dans le sport, d’où la suite de la phrase dans le texte.

Donc t’arrives en terrain connu ?
Connu ouais, mais pas conquis.

Parle moi de cette collaboration avec Vladimir Cauchemar.
C’est quelqu’un dont je ne connaissais pas beaucoup l’univers, je connaissais le personnage, j’avais déjà vu deux ou trois clips, et quand il préparait son EP Brrr il m’a contacté, on s’est parlé, je suis retourné écouter ce qu’il avait déjà fait, et ça m’a conquis, et j’ai accepté d’enregistrer pour le projet. Très bon gars, on s’est vu après, par la suite on a fait le clip, bonne ambiance, super mec. Pour la petite histoire, c’était pas cette version du morceau. On avait fait quelque chose avant. Je pense que ça ne nous plaisait pas. On a gambergé, on a trouvé des solutions, et on a sorti « Blizzard », et je suis vraiment vraiment content du résultat.

C’est l’un de tes meilleurs morceaux.
Merci. Plein plein de gens le pensent, c’est cool ça fait plaisir.

Tu débarques dans le game avec un ring sur le dos, et des gants bien fixés. Est-ce que je suis en train de parler à l’aspirant au titre ?
J’aspire au titre. Est-ce que je l’aurai ? Je ne peux pas te le dire, mais comme tu le dis je viens avec le ring sur le dos et les gants bien serrés, je vais essayer de donner le meilleur de moi-même, faire tout ce qui est nécessaire pour aller chercher le trophée à la fin.

Ce titre, on l’obtient comment ? Par une reconnaissance un peu diffuse, un succès d’estime, ou par des chiffres qui diraient la valeur ?
Je pense que c’est l’association de tout ça en fait. Faut savoir allier tous ces aspects là. La musique, ce n’est pas que des chiffres finalement, mais faire des chiffres c’est bien parce que ça permet de voir exactement où tu te situes en terme de population qui écoute ta musique. Et à côté de ça il y a le succès d’estime. Quand des médias comme France Inter t’invitent, parlent de toi dans leur matinale, c’est une grande grande victoire, c’est pas une fin en soi, parce qu’il y a toujours du travail à faire, mais du coup je dirais que c’est vraiment une association de tout ça, le succès d’estime, les critiques positives et négatives, tout ça construit le guerrier que je suis.

C’est quoi les chiffres qui comptent ? Est-ce que c’est le nombre de vues, le nombre de followers, de streamings, de spectateurs, de disques vendus ?
C’est une très bonne question. Les chiffres qui comptent pour moi, c’est le nombre de spectateurs, les gens qui viennent à tes concerts, comment tu arrives à remplir des salles. Avoir une salle complète, c’est une victoire.

C’est quelque chose qui te parle concrètement ?
Totalement. Quand je vois les gens, je peux échanger avec eux. Donc en terme de chiffres, y a ce que tu peux vendre quand tu sors un projet, mais y a aussi ce que tu génères comme excitation, celle que tu peux lire sur le visage des gens quand tu es sur scène. Donc c’est vraiment en terme de gens qui viennent te voir, tu peux pas te focaliser uniquement sur le nombre d’albums vendus, je pense que c’est une erreur que beaucoup de mes confrères font.

Et c’est pas une pression de susciter cette exaltation ?
Si si, bien sûr qu’il y a la pression. Après, il y a toujours de la pression, on est des êtres humains, on vit au quotidien avec la pression, faut se lever le matin, faut aller cherche à manger. Ce qu’il faut se dire, c’est comment on gère la pression. On s’entoure de gens bienveillants, de gens qui veulent te voir réussir, qui font tout pour que tu y arrives, et qui te motivent quand tu es démotivé. Donc j’arrive à gérer cette pression grâce à ça, et c’est génial.

À partir de quel moment il ne suffit pas de faire des rimes pour être identifié comme « rappeur » ? C’est quoi ta définition du rap ?
Pour moi le rap, c’est la partie visible de l’iceberg qu’est la culture hip-hop. C’est une musique qui ne demande pas forcément une certaine culture pour la faire, mais le rap demande, au-delà des rimes, beaucoup de savoir-faire et d’interprétation. Finalement si on ne parle que des rimes, Georges Brassens était un très grand rappeur. Au final, qu’est-ce qui fait que tu es un rappeur ? Déjà, il faut rapper sur un beat un peu saccadé, arriver à se poser sur ce beat, y a une espèce de convention non-écrite à laquelle tout le monde adhère : faut savoir faire des rimes, savoir poser sur le beat, ne pas courir derrière le beat…

En quoi le rap varièt’ se différencie de ce que tu fais ?
La substance. Le message, finalement. Ce que tu appelles le rap varièt’, on l’appelle aussi « pop urbaine », et cette pop urbaine a un deux objectifs : distraire, et faire du chiffre. L’idée, derrière ma musique, est de parler aux gens, pas forcément distraire, il faut qu’après avoir écouté BENJAMIN EPPS les gens se disent on a appris, ou pas, quelque chose.

Pour aller chercher la couronne, t’as fait le pari du boom bap, à l’ère de la drill, de la trap, du rap varièt’ et de l’autotune. Y a un côté très couillu dans la démarche… le futur roi n’a donc peur de rien ?
Pas peur de rien, mais j’aime le fait de ne pas faire ce que tout le monde fait. Je me sens bien, non pas à être unique, mais à être sur ma route, et la tracer, sans forcément regarder ce que tout le monde fait, et c’est ce qui me permet de rester concentré, parce que je fais tout simplement ce que j’aime. Finalement, dans la drill, la trap, les artistes qui pratiquent sont des mecs qui aiment ce qu’ils font et au final la musique c’est dire et faire ce qu’on a envie et ce qu’on aime, et pas se forcer.

Ouais, mais tu faisais aussi le pari de ne pas être compris, de ne pas être entendu ?
Ouais, mais ça ne me gêne pas de ne pas être compris. Tout le monde ne peut pas aimer ce que tu fais. À l’heure où des artistes comme Kekra, ou Zed Yun Pavarotti, qui finalement sont des rappeurs, que j’apprécie beaucoup et pour qui j’ai une grande estime, ont un public, il est normal que les mecs qui font ce que je fais aient un public. Et je pense qu’il y a de la place pour tout le monde, c’est ça que les gens doivent comprendre, c’est que la musique n’est pas bloquée dans un seul paradigme, chacun vient et s’exprime à sa façon et si ça plait aux gens tant mieux, et si ça plait pas au moins on aura essayé de faire quelque chose de différent.

Et tu t’es pas posé la question de « ça va marcher, ça va pas marcher » ?
Si si, je me suis posé la question, mais je pense que c’est beaucoup plus la passion qui a parlé, et ça a donné ce que ça a donné.

Qu’est-ce qui te fait peur dans la vie ?
C’est de me retrouver seul. C’est de ne pas pouvoir avoir les gens que j’apprécie, que je respecte, que j’aime, autour de moi.

La solitude, c’est ce qui t’effraie le plus ?
Ouais !

Et le fait de faire ce métier, c’est aussi une façon de fuir cette possibilité de solitude ?
Totalement. Se retrouver avec des gens qui viennent te voir, qui t’apprécient, qui te donnent beaucoup de respect, ou pas.

La recherche de reconnaissance, et d’amour, comme un besoin ?
Entre autres, ouais. Je pense qu’en tant qu’humain on a besoin de se sentir aimé, de sentir qu’on existe.

photo © Jef Léo

Tu peux nous résumer ton parcours de vie ?
J’ai vingt-et-un frères et sœurs, j’ai grandi avec cinq frères et sœurs à la maison, je suis le petit dernier…

Le benjamin ?
Le benjamin. Donc beaucoup de pression, mais je me suis aussi toujours senti entouré, couvé, d’où la peur de me retrouver seul. Je suis né et j’ai grandi à Libreville, au Gabon.

Quelques mots pour nous décrire Libreville ?
Grande ville. Dynamique. Ensoleillée. Chaleureuse.

Qu’est-ce qui distingue un quartier d’une banlieue française et un quartier du Gabon ? Un quartier est un quartier ?
Un quartier est un quartier. Ce qui distingue les gens, c’est peut-être leur appartenance politique, religieuse…

Je fais allusion à la dangerosité. Rocca a dit en substance « calmez-vous les gars », en parlant aux français, pour leur rappeler qu’ils ne vivaient pas à Bogota non plus. Tu as ce rapport là aussi ?
Il n’existe pas un pays au monde où il n’y a pas de danger, mais à différentes échelles. Rocca l’a très bien résumé je pense. Libreville, c’est pas le favelas de Rio de Janeiro non plus. Un quartier comme Bellevue, y a beaucoup de délinquance mais y a aussi beaucoup de points positifs. J’ai grandi là, et j’estime avoir reçu une bonne éducation.

C’est une responsabilité de se retrouver porte-drapeau du Gabon, face à une personne comme moi qui ne connait pas et qui attend d’obtenir des infos sur ce pays inconnu par ton biais ?
Absolument.

C’est une responsabilité pesante ?
Non, pas pesante, parce que finalement y a plein de représentants du Gabon, tous les gabonais sont des représentants du Gabon.

Mais ils ne sont pas tous sous la lumière ?
C’est vrai. Je ressens quelque chose ouais. J’ai envie de bien faire pour faire découvrir le pays à ceux qui ne connaissent pas.

T’as des nouvelles du Covid-19 en Afrique ? Parce qu’on n’en a pas ici. T’en penses quoi ? On a l’impression que l’Afrique est rayée des cartes là.
Y a la Covid19 en Afrique. Tous les pays du monde sont touchés, et à l’heure où tout le monde est touché y a un peu le « je m’occupe de chez moi, de ma maison, et une fois que je suis en sécurité là je vais voir l’autre pour savoir comment il va ».

Et tu ne trouves pas étrange qu’en Europe on parle de l’Inde, de la Chine, des États-Unis, et pas de l’Afrique ?
De toute façon la Covid cristallise un peu tous les débats, y a quelque chose d’un peu opaque derrière… pourquoi telle zone est touchée et pas une autre etc… L’Afrique c’est étrange mais effectivement on n’a pas de… tout le monde pensait au départ que la situation serait alarmante, et il s’avère que la situation en Europe est beaucoup plus difficile.

Et donc finalement c’est pour ça qu’on n’en parle pas ?
C’est peut-être pour ça ouais.

C’est pas par désintérêt ?
Non, je pense pas, mais c’est que mon avis et ça n’engage que moi.

Qu’est-ce que t’inspire le climat actuel des présidentielles ? L’arrivée de Zemmour, les tensions…
Beaucoup d’inquiétude pour le futur, parce que la politique détermine le futur d’un pays, d’une nation.

C’est quelque chose qui te touche, tu t’y intéresses ?
Forcément. Je vis ici. Je n’ai pas les deux pieds dedans, mais comme tout le monde je regarde, j’analyse, j’ai mes idées, je suis pour le moment spectateur, parce que je ne peux pas voter, mais oui y a une inquiétude et un climat de tension dans le pays. Moi, quand je suis en concert je rencontre des gens, probablement de tous bords politiques et c’est la beauté de la musique.

OK. Dans l’un de tes textes tu dis qu’il te faut les lingots. Mais t’en feras quoi quand tu les auras ?
J’ai toujours vu les lingots comme un peu de liberté, dans un monde où on est hyper surveillés, hyper contraints, avoir les lingots c’est me permettre de prendre soin de ma famille, ne plus attendre qu’un tel ou un tel me dicte quelle conduite je dois avoir, quelle conduite à tenir. Les lingots représentent un peu la liberté. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, on vit dans un monde où les lingots c’est hyper important.

Donc c’est pas en lien avec l’aspect matériel de la chose ?
Non.

Y a une phrase de Booba. « Bientôt j’ouvrirai même plus leurs putain de lettres », qui pour moi est une phrase de liberté absolue, une fois que tu te sens libéré de tout ce qu’ouvrir un courrier sous-entend, impôts, factures ou autre… Est-ce que tu ne peux te permettre ça que quand tu as les lingots ?
Ouais.

Donc c’est vraiment la voie de la liberté ?
Mais totalement.

La liberté est un chemin pavé d’or ?
C’est ça. La formule est belle, je vais la garder.

photo © Jef Léo

Est-ce que tu penses qu’il est dangereux de flirter avec l’acting, au risque de générer chez les jeunes des façons d’être ou des ambitions détachées de la réalité ? Prendre ses responsabilités demande de l’habileté quand on est exposé ?
Ouais. Moi j’ai toujours vu la musique comme une façon de parler aux gens, d’exprimer quelque chose. Ce qui est génial sur les derniers projets par exemple, c’est qu’il y a plein de gens qui ne sont pas forcément fan de tout ce que je dis sur tous les autres morceaux, et qui adorent un morceau comme « Dieu Bénisse Les Enfants », et je trouve ça génial finalement. Un morceau comme « Goom » parle à une certaine génération, à un certain public, et un morceau comme « Dieu Bénisse Les Enfants » touche des mecs de 60 ans qui m’ont écrit des messages pour me dire merci. Le grand public doit voir le rap d’aujourd’hui comme on voit un film tout simplement. Y a toujours un message politique je pense, mais, comme tu le dis y a beaucoup d’acting.

Mais est-ce que tu te soucies de l’image que tu renvoies, est-ce qu’elle est réfléchie ?
Oui, mais je ne peux malheureusement pas dicter aux gens quoi penser de ce qu’ils voient en moi. Quand je fais quelque chose, sur le moment j’exprime quelque chose. L’idée de « Goom », c’est l’idée de frapper fort, c’est l’idée d’y aller fort, et dans le clip c’est ce que j’exprime à travers les armes à feu. Moi je ne possède aucune arme à feu. Il faut avoir le recul suffisant.

Moi je peux l’avoir, mais est-ce que mes enfants peuvent l’avoir ?
Ça je comprends. Et en grandissant je pense qu’ils arrivent à une certaine compréhension de plein de choses. Se dire que Jean-Claude Van Damme ne met pas des coups à tous les mecs qu’il croise dans la rue, et qu’il le fait seulement quand il y a une caméra devant lui et qu’il doit faire son job, et ça c’est pareil pour moi. Les fusils que je tiens dans « Goom » sont factices, c’est juste pour les besoins de la vidéo, c’est pour embellir l’image, c’est pour représenter le message.

Si tu devais adresser un ou plusieurs messages aux enfants, et aux adultes qui les accompagnent, ce serait quoi ?
Je dirais à un enfant aujourd’hui : sois un enfant, évite les réseaux sociaux, pas trop tôt, parce que ça peut être très dangereux à mon avis quand on n’a pas le recul suffisant, va à l’école et…

Sois poli (rires) ?
Sois poli surtout (rires), ça c’est important. Aux parents, je dirais : soyez des parents, éduquez vos enfants, prenez vos responsabilités, personne n’est parfait, faites vos erreurs, mais assumez vos erreurs.

Merci Benjamin Epps !
Merci à toi Scolti.