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photo © N. Kruma

GEORGIO

Par Scolti

De son vrai nom, Georges Édouard Nicolo, GEORGIO est un rappeur de la région parisienne auteur d’un quatrième album sortie en 2021, Sacré et d’une réédition quelques mois plus tard, Ciel Enflammé (Sacré).

Salut GEORGIO, on a peu de temps alors on va essayer d’être efficaces ! T’es un profil atypique dans le rap d’aujourd’hui. T’es d’accord avec ça ? Et pourquoi selon toi ?
Je me fous des codes de la musique, et je ne parle pas forcément de fond là, mais de forme, disons que je fais ma musique comme je l’entends, au carrefour de plein d’influences, et que ça ne ressemble pas forcément au rap tel qu’il peut être codifié dans ses sonorités actuelles.

Y a pas de pression par rapport à ces « codes » qui peuvent être attendus par un certain public ? Tu t’en fous complètement ?
Oui. Je m’en fous complètement, je fais ce que je veux, je suis vraiment libre.

Tu cumules les millions de vues sur Youtube, et les concerts à guichet fermé, sans être hyper exposé en radio ou télé. Aujourd’hui, c’est sur le net que ça se joue ?
Ouais carrément. C’est quasi que sur internet. C’est vrai que je ne suis pas énormément joué en radio, j’ai pas fait beaucoup d’émissions de télé. J’ai pu en faire, je ne vais pas cracher dans la soupe, mais j’en ai fait peu, et c’est vrai que c’est vraiment mon public qui me soutient, et tout ça se fait vachement par les réseaux sociaux.

Est-ce que le net permet un rapport plus intime au public, duquel découle une fidélité plus forte ?
Oui, je pense que c’est plus intime parce que c’est plus direct, y a pas d’interlocuteurs à travers une émission, ou à travers un format, ce sont des plateformes, comme Twitter, Facebook ou Instagram, et chacun l’utilise à sa manière, en parlant comme il veut à son public, aux personnes qui l’écoutent et qui la suivent, donc forcément y a un truc plus direct et intime ouais.

À l’heure où les réseaux vantent le fait de « réussir », réussir veut dire quoi pour toi ?
Être heureux. Être épanoui. C’est ça la réussite.

Tu dirais quoi à ceux qui pensent que pour percer il suffit de se concentrer sur comment créer le buzz ?
Que je pense qu’ils ne sont pas dans la bonne énergie pour réussir et pour justement créer le buzz.

Tu pourrais leur expliquer la différence entre percer et rester ?
Déjà, y arriver et percer est vachement difficile, mais rester l’est encore plus, parce que ça demande du travail, de la discipline, de la rigueur, une certaine forme de talent, et ça demande d’être hyper passionné aussi.

Le travail, c’est la différence avec le buzz.
Y a plein de rappeurs qui ont du buzz, et qui sont des passionnés et des travailleurs, mais je pense que chercher le buzz n’est pas leur préoccupation première, qui est avant tout de faire de la bonne musique et de bien faire leur taf.

On est parfois plus forts à plusieurs. Selon toi, qu’est-ce que le feat apporte à un projet, et qu’est-ce qu’il lui enlève ?
Le projet est moins personnel quand il y a des feats, ça va forcément enlever une forme d’intimité, parce qu’on peut moins se raconter, on partage, donc il y a peut-être un univers qui est un petit peu plus faible. Après, ça amène aussi une certaine richesse, et c’est hyper agréable d’entendre d’autres voix, ça peut amener de la légèreté, un nouveau plaisir, un effet de surprise.

Le feat est quelque chose que tu envisages d’avoir systématiquement dans tes projets, c’est une démarche ?
Non, c’est juste une question d’envie.

Parce qu’on peut y voir une forme de stratégie aussi. Qu’est-ce que tu penses de ces albums qui semblent parfois être faits uniquement de feats ?
Je trouve ça moins intéressant dans le sens où ce qu’on veut c’est retrouver l’artiste qu’on aime au départ. Mais au-delà de ça, des bons featurings dans un album ça fait du bien et c’est agréable.

Et ça permet des rencontres ?
Oui, et en plus on n’aime jamais qu’un seul artiste, et quand deux artistes qu’on aime se réunissent sur un titre c’est hyper cool aussi.

Tu viens de faire un feat avec Youssoupha. Tu nous parles de cette rencontre ?
On se connait depuis hyper longtemps, j’ai toujours aimé sa musique, et il m’a toujours soutenu et donné de la force, depuis mes débuts en 2014. On avait fait un festival ensemble et je suis allé le voir dans sa loge pour lui dire que je kiffais ce qu’il faisait, et il m’a répondu que c’était ouf que je lui dise ça parce qu’il venait d’acheter mon EP « À l’abri ». Et il m’a toujours soutenu, il m’a fait une carte blanche au festival de La Rochelle par exemple. Puis, on s’est croisé au Parc des Princes, par pur hasard, moi j’étais en train de finir « Ciel enflammé », et il m’a demandé si j’avais fait des feats dessus, qui il y avait, et je lui ai posé la même question concernant la réédition de son album, et on a fini par se dire « au lieu de se demander qui il y a dans nos albums, on devrait faire un morceau ensemble », et on a fait le titre deux semaines après.

T’es un mec engagé, qui pratique l’art, peu vendeur de nos jours, du rap conscient, et t’es un amoureux de la littérature et de la poésie. C’est pas isolant dans le paysage du rap français actuel ?
Je sais pas. Je pense qu’il faut arrêter de chercher systématiquement une forme d’engagement dans le rap.

Le problème ici ne serait pas de la chercher, mais de la trouver. Ce que tu proposes est d’évidence très éloigné de la légèreté qu’on trouve très majoritairement maintenant dans le rap, et parfois avec un truc très inintéressant, et donc des respirations comme Youssoupha, ou comme toi, peuvent aussi faire du bien, même si ça peut être isolant.
Ça se fait moins c’est vrai. Ça serait trop compliqué d’expliquer ça socialement. Je ne peux parler que de ma musique, moi j’ai envie de le faire parce que ce que j’aime c’est le sentiment d’identification, dans le rap, la musique en général, ou même la littérature, et je remarque que les gens qui m’écoutent sont des personnes sensibles à mes textes, donc en ce sens j’ai envie de m’engager, de montrer des choix possibles, des chemins de vie possibles, une ouverture d’esprit possible.

Tu peux me parler de ton rapport à la littérature ?
J’aime beaucoup, parce que c’est un moment d’évasion, on y découvre des nouveaux mondes, des nouvelles manières d’agir, je suis assez sensible à ça et c’est ce qui me plait dans la littérature, ça me fait voyager en restant chez moi.

Comment t’as découvert ça ?
On m’avait conseillé de lire La Vie Devant Soi, de Romain Gary, et en le lisant je me suis rendu compte que ça faisait écho à mon propre moi, c’était un Paris que je connaissais, où ma grand-mère avait vécu, Belleville, une histoire d’amour un peu hardcore et en même temps hyper belle sans être cul-cul, une femme qui gère un foyer de prostituées et un enfant, tout m’a touché.

Est-ce que tu as trouvé cette écriture décomplexante ?
C’est à dire ?

Il y a un côté très libre dans son écriture, qui est loin des codes de la littérature classique, et la rencontre avec ce genre d’auteur peut amoindrir l’appréhension d’écrire ?
C’est vrai qu’il y a un truc qui est presque propre au rap, un truc qui relève du sentiment d’urgence, ça semble écrit spontanément.

Et dans une langue accessible et qui parle à beaucoup ?
Tout à fait ouais.

Tu penses que la vie est un voyage difficile, un bateau ivre sur une mer déchaînée, pour faire référence à ta référence à Rimbaud ?
Complètement. La vie c’est compliqué. On ne nait pas tous avec les mêmes chances, avec les mêmes dispositions, et c’est compliqué de s’en sortir.

Et quelles satisfactions on trouve sur cette mer déchainée ?
On peut naviguer jusqu’à ce que la mer soit calme. On peut s’en sortir. C’est pas parce que c’est compliqué que c’est sans possibilité de meilleur, sans possibilité de réussite, c’est juste que c’est dur, mais c’est atteignable.

Et ces moments où la mer se calme se trouvent dans l’amour par exemple ? Quelle est la place de l’amour dans ton parcours ?
L’amour est au centre de mon parcours, et de la vie, parce que ça ne se limite pas à une relation homme-femme, homme-homme, ou femme-femme. L’amour, c’est la passion, c’est l’amour de ses amis, l’amour de la découverte, des voyages, l’amour de la musique, l’amour familial, et en fait on est porté constamment par l’amour, et on ne cherche que l’amour.

Et est-ce qu’il arrive d’en manquer au point d’en être complètement désœuvré ? Ça t’est arrivé ?
Ouais, je pense qu’on peut parfois toucher une forme de solitude qui n’est pas choisie.

Et comment tu la vis ? Est-ce qu’elle peut se transformer en énergie positive, créatrice ?
Je la vis plutôt bien. Ma solitude est choisie. J’aime beaucoup être seul. Ce temps de solitude, c’est du temps pour écrire, et finalement, je reviens à l’amour.

C’est pas un temps d’ennui que tu subis ?
En fait ce temps d’ennui devient un temps de création chez moi.

Est-ce que le manque, les déceptions ou le rejet provoquent un colère nécessaire dont il ne serait finalement pas intéressant de se passer, en ce sens qu’ils peuvent nous aider à nous construire, et potentiellement à créer aussi ?
Je ne sais pas si on en a besoin, mais je pense que c’est inévitable dans une vie, on vit forcément à un moment un rejet, un manque, une déception, c’est impossible de faire sans, et ça nous forme. Nos erreurs, nos regrets, tout ce qui est un peu négatif, ça peut créer des énergies qui peuvent être positives, pour dépasser ça, et donc ça nous forme dans nos parcours ouais.

Et donc finalement ça ne serait pas intéressant de s’en passer ?
Je me rends pas compte, je crois vraiment que c’est impossible d’y échapper.

Maintenant que tu n’as plus peur de vivre, qu’est-ce qui te rend heureux ?
Des moments simples, être avec mes proches, être avec les miens, pouvoir faire de la musique, en écouter, voyager. Je suis en paix avec ma vie, je suis bien.

Et tu as eu peur de vivre, à une époque ?
Non. Mais ma vie est remplie de peurs par contre. Peur de l’avenir, peur que ça se passe pas comme prévu, peur des événements qui arrivent, peur de gérer ses émotions, peur de laisser ses émotions libres.

Tu penses que c’est parce que tu exprimes tout ça que ton public se sent si proche de toi, parce que ça leur parle tout simplement, ce genre d’angoisses, et qu’ils se retrouvent dans ça ?
Ouais. Ça leur parle. On a tous des peurs, des frayeurs.

Ouais, mais après il y a ceux qui ont peur de les exprimer, et qui ajoutent une peur supplémentaire à ces peurs ?
Oui.

Et toi tu n’as pas cette peur, et c’est ce qui te permet d’aller chercher ton public ?
J’ai pas peur de livrer mes émotions, au contraire ça me libère de pouvoir les écrire.

T’as des regrets ?
Non. Enfin, un peu. Je pense que j’ai trop fait souffrir mes parents quand j’étais plus jeune. Mais je n’ai pas réellement de regrets, parce que toutes les conneries que j’ai faites, ou la plupart, m’ont formé en tant qu’homme, et si aujourd’hui je suis la personne que je suis c’est grâce à tout mon parcours.

C’est quelque chose que tes parents ont compris maintenant ?
Oui. Eux ne m’en ont jamais voulu, c’était juste la vie quoi. Je ne leur ai pas fait la misère directement mais ça leur a fait de la peine, j’aimais bien tester mes limites quand j’étais jeune.

Et tu penses pouvoir leur annoncer ton avenir là ?
J’ai aucune idée de ce que je ferai demain. Mon rêve ultime est d’avoir ma propre famille et d’être heureux avec elle, peu importe s’il y a le musique ou pas. Mais plus le temps passe, plus je vois le monde actuel, moins j’ai envie d’avoir des enfants.

Et donc, la liberté se trouve dans l’instant présent ?
Ouais carrément. Je suis plus en paix dans l’instant présent, et ça permet de pleinement vivre les choses, d’être plus heureux, parce que sinon on vit dans ses doutes, dans ses angoisses, on est constamment vers l’avenir et quand il nous arrive quelque chose de bien on en profite pas assez, alors qu’en étant dans l’instant présent on fait ce qu’on doit faire, on est là où on doit être, au moment où on doit y être, et c’est mieux comme ça.

Merci beaucoup Georgio !
Je t’en prie, merci à toi Scolti.