Par Scolti
Salut Le K.FEAR ! Bienvenue chez ILLICO!.Membre éminent du groupe la Brigade, reconnu pour tes rimes riches, multisyllabiques et tes métaphores… Je te reçois aujourd’hui dans le cadre de ton projet solo, disponible partout, Bring The Beat Back.
Cet album, c’est avant tout un hommage au hip-hop, ou un kiff personnel, un retour aux différents plaisirs, comme écrire, rapper, enregistrer ?
Alors si je devais les mettre dans l’ordre, c’est oui effectivement un retour au hip-hop et un kiff personnel. Mais si je devais les mettre dans l’ordre, c’est un kiff personnel en premier lieu, parce que j’avais vraiment envie de rapper, j’avais vraiment arrêté le rap, je n’en écoutais plus, parce que ce que j’entendais à l’extérieur ne m’intéressait pas en termes de fond et en termes de forme. Et puis d’un coup, j’ai eu envie de rapper, j’ai eu envie de refaire de la musique, j’ai eu envie de repartir en studio et je pense que l’époque est propice à ça. Je pense qu’il y a un petit retour sur ce qu’on appelle « Boom Bap » même si je n’aime pas le terme, un retour sur le rap que moi j’aime écouter et pratiquer. Et puis aussi une configuration qui permet de partir en studio simplement et d’attendre l’avis de personne pour faire des morceaux et les proposer à son public.
Pourquoi tu n’aimes pas le terme « BoomBap », qu’est-ce qui ne va pas ? Comment tu le définirais ? Parce que c’est aussi la signature d’un genre particulier ?
Oui, c’est un genre, mais le terme « Boom Bap », je ne suis pas fan. Mais comme on s’entend tous sur ce terme-là, il n’y a pas de souci. Moi, je dirais que je fais plus du rap traditionnel, comme je dis dans «Bring The Beat Back», je ne fais pas du rap, je fais du hip-hop traditionnel dans le sens où c’est un beat, qui claque, une mélodie ou pas, un sample ou pas, de la métaphore et de la rime. Pour moi, ça, c’est du rap.
Dans le fait de faire un projet solo comme ça, il y avait aussi l’idée de se prouver ce qu’on peut valoir seul ? Parce que la force de La Brigade, c’était le nombre forcément, mais c’était aussi ce qui pouvait faire la faiblesse des individus qui se retrouvaient aussi fondus parmi les autres ?
C’est-à-dire que non, parce que moi, quand j’étais au sein de La Brigade, je n’ai jamais eu envie de faire un projet solo. Vraiment. Et même au sortir de La Brigade, si on m’avait fait une proposition en solo, j’aurais fait un truc avec Fredo, ça c’est sûr. Et je n’avais pas envie de me prouver à moi-même parce qu’en vrai, je n’étais pas dans ce mode-là. J’étais vraiment dans le mode me faire plaisir. Donc, j’avais envie de tester des choses et je n’avais pas envie de faire de concessions avec quelqu’un d’autre, quel qu’il soit. C’est-à-dire que j’avais envie de choisir le sample, de choisir le BPM, de choisir le refrain, de choisir tout ça, de voir ce que je vais dire, d’avoir une liberté totale sans avoir à faire quelque concessions que ce soit. Et donc, c’est pour ça qu’il y a zéro featuring dans cet album. Même Fredo qui était surpris que je ne l’invite pas, je lui ai fait comprendre que c’est mon truc à moi, je vais le faire. Et pas tant pour me prouver, mais vraiment c’est pour me faire plaisir. C’est-à-dire que quand j’ai fini le morceau, je l’écoute, je kiffe et je me dis « ok, ça c’est bon ».
Et ça n’empêche pas non plus d’inviter des gens sur un autre projet qui pourrait venir plus tard ?
Sur les prochains projets, il y aura des invités pour enrichir le truc. Parce qu’il y a pas mal de feats que j’ai envie de faire. Il y a des gens avec qui j’ai envie de rapper. Mais sur celui-ci, non, il fallait que je sois tout seul.
Alors ce qu’on sait peu à propos de La Brigade, c’est que ce n’était pas juste un groupe, mais c’était aussi une équipe avec des valeurs et de la discipline ?
Exact.
À quel point cette discipline qui a été mise en pratique par un groupe, jeune en plus, a été formatrice dans ton parcours d’homme ?
C’était bien, parce que quand tu rentrais dans La Brigade, tu n’avais pas le droit de fumer, pas le droit de boire. Il y avait vraiment des choses qui étaient essentielles. Il y a des membres de La Brigade, même si ce n’est pas très flatteur, qui se sont fait virer de La Brigade parce qu’ils transgressaient l’une de ses règles. Et moi, je n’ai jamais fumé, je n’ai jamais bu. Mais le fait d’être dans une entité où c’était des règles évidentes, ça te permettait de te conforter dans ton état d’esprit. Et puis surtout, notre propos au-delà de la musique, c’était vraiment d’essayer de donner une image d’une jeunesse de banlieue, issue de l’immigration qui se prend en main et qui s’éloigne de tous les clichés, qui s’éloigne de tous les pièges de la drogue, de l’alcool, de la délinquance, etc. Même s’il y a eu des parcours particuliers au sein de La Brigade, on voulait envoyer ce message-là.
« Ouais. Tu peux monter, tu peux descendre : le hip-hop, le rap, c’est un truc de cainri. »
Il fallait prouver plus que les autres qu’on pouvait être des gens bien en banlieue ?
Oui, il fallait prouver qu’on pouvait être des gens bien. Il fallait envoyer le message aux gens de banlieues qu’on pouvait aussi s’en sortir différemment que par les biais dans lesquels on nous enfermait, et représenter. Parce qu’à l’époque, quand tu vois un mec à la télé qui dit n’importe quoi, t’as honte, et t’as pas les réseaux sociaux, tu ne peux pas lui envoyer un message, lui dire « ouais, t’as flaire ». À l’époque, t’es derrière ta télé et t’es en train de bouillir. Alors que nous, on savait qu’à chaque fois qu’on avait une intervention en radio, à la télé, on savait qu’il y avait plein de gens qui nous regardaient, qu’on représentait, et notre devoir c’était de les représenter correctement.
Alors dans Bring The Beat Back, on retrouve ce qui te caractérise : les rimes riches, du Boom Bap, même si t’aimes pas le terme, de l’engagement, de la mélancolie. Mais on trouve aussi dans cet hommage à la culture hip-hop, une forme de sentiment d’opposition à ce que produit une partie de la nouvelle génération de rappeurs et de rappeuses. Donc t’en parles dans plusieurs morceaux. Dans le morceau éponyme «Bring The Beat Back», où tu dis par exemple « tu peux éteindre l’autotune » ou alors « ils sont dans des trucs sombres et les grossièretés », « J’fais pas du rap, je fais du hip-hop traditionnel » , ou alors dans «Richie Cunningham», dans lequel tu dis « ils n’ont pas la ref », ou « pas de playback », « pas de flow à la va-vite », etc. Alors j’ai plusieurs questions. D’abord, pourquoi cette ref à «Richie Cunningham» et Happy Days ? Pour qu’on puisse clore le débat. (rire)
(rire) En fait, «Richie Cunningham», pour ceux qui connaissent, c’est une vieille ref. Happy Days, c’est un peu pour dire que moi je reviens à l’époque des jours heureux du rap, mais sans «Richie Cunningham». Voilà, donc c’est pour la phase.
Mais il fallait avoir la ref quand même, Happy Days ?
Il faut l’avoir (sourire).
Elle vient de loin !
Il faut l’avoir. Maintenant tu peux, avec Google ou Internet. Tu l’as rapidement. Mais ça fait partie aussi des choses dans lesquelles je me suis moins refréné qu’avant. Parce qu’avant, des fois, quand je posais des rimes, j’avais des refs, et je me disais « personne va comprendre ce truc-là ». Et quand t’es sur un huit mesures, tu peux pas te permettre de faire un truc que personne ne comprend. Là, je suis sur un album, je peux me développer, je peux faire des refs.
Et laisser aller ?
Et laisser aller. Et quand je te parle de Michel Polnareff ou de Joel Santana ou de Richie Cunningham, il y en a qui vont capter, il y en a d’autres qui ne vont pas capter. Mais au moins, je me dis, pour les plus curieux, ils iront regarder. Pour certaines refs comme «Hurricane Carter», par exemple, ça peut être des choses intéressantes.
Et donc par rapport à ce que je soulignais au préalable avant «Richie», est-ce que tu penses que quelque chose d’autre que le troisième couplet s’est perdu ? Et est-ce que c’est dommage ?
Ouais, je trouve que par rapport à la question sur l’opposition, ce n’est pas que je suis en opposition. Moi, l’autotune, ça ne me dérange pas. J’ai déjà fait des morceaux avec autotune d’ailleurs. Et ce n’est pas ça qui me dérange. J’aime bien l’autotune dans le sens où ça reste hip-hop, dans le sens où, dans l’époque, on est toujours arrivé à faire de la musique sans être musicien. Moi, je n’ai pas pris de cours de chant, etc. J’ai rappé, j’ai fait des concerts, des tournées, j’étais signé en maison de disque. Et voilà, j’ai rappé sur des samples, etc. Il y a toujours un peu ce côté un peu pirate et l’autotune en fait partie. Mais ce qui me dérange profondément, c’est le fond. C’est-à-dire que maintenant, dans la majorité du rap que j’écoute, ça parle de drogue, ça parle de vendre de la drogue, ça parle de meufs dans des termes peu élogieux
D’oseille, beaucoup ?
D’argent, ouais. Et ça met les vices en avant. C’est-à-dire, plus t’es vicieux, plus t’es méchant, plus ça parle de Kalachnikov, d’armes…
En avant et ça en fait l’éloge ?
Ça en fait l’éloge et je me dis mais on n’a pas besoin de ça en fait. Parce que moi, à mon époque, quand on voyait des noirs à la télé, dans les films, c’était soit des voleurs, soit des dealers, etc. Et nous, on s’est battus pour justement essayer de se dire « donnons une autre image de cette population-là ». Et maintenant, j’ai l’impression que la banlieue, elle tourne en rond dans le sens où on a la chance de pouvoir faire des millions de vues, et on repart dans les caricatures.
On réinstalle des clichés ?
On réinstalle des clichés, qui sont contre nous. Je veux dire, moi j’ai des enfants, je ne vais pas dire à mes enfants « fume de la drogue, deale de la drogue, traite mal les meufs, l’argent c’est tout ». Non, tu ne peux pas dire des choses comme ça. Et donc moi, en termes de mélodies, de sons, etc… je trouve qu’il y a des trucs chanmés dans le rap, il n’y a rien à dire. Mais en terme de fond, en tout cas, toute la grosse vague-là, je trouve ça ultra claqué et surtout ultra néfaste et ultra contre-productif. Mais tous ces gens-là, ils vont regretter quand ils vont grandir, ils vont avoir des enfants, ils vont bégayer. Ils vont bégayer, je le sais très bien, parce que même des rappeurs de mon époque, maintenant qu’ils sont plus âgés, il y en a beaucoup, soit c’est devenu des parents, soit ils sont rentrés dans la religion, tout ça, et ils bégayent face à leurs premiers textes.
Forcément, ouais !
Donc c’est une histoire de temps.
Est-ce que tu penses que le hip-hop en tant que culture a disparu ? Toi, t’es MC, mais t’as commencé par la danse ?
J’ai tout fait dans le rap, j’ai tout fait dans le hip-hop, sauf DJ.
Et avant, la culture hip-hop, non seulement englobait plusieurs disciplines, mais les rassemblait entre elles. Là, aujourd’hui, j’ai plus l’impression que ce sont des microcosmes indépendants les uns des autres.
Malheureusement, ouais.
T’as la tribu des graffeurs, la tribu des danseurs, etc. Et où il y a moins cette espèce de mélange qui crée finalement la culture hip-hop. On parle de moins en moins de culture hip-hop, d’ailleurs.
C’est vrai.
Est-ce que tu penses qu’elle a disparu, tout simplement, et qu’il reste quelques guerriers qui nous ressemblent, qui essaient de continuer à la faire vivre, mais qu’en vérité, c’est mort ?
Il y a une chose qu’il faut garder en tête. Comme disait un proverbe, je ne connais plus les bons termes, « ce n’est pas parce que tu ne vois pas le Japon que les Japonais n’existent pas ». C’est-à-dire qu’effectivement, le gros mouvement qui soutient le rap, qui est en avant et qui est une grosse industrie, et je le vois de plus en plus depuis que j’ai sorti Bring The Beat Back, non pas que ce soit ma mixtape qui a changé les choses, mais je suis en contact avec des gens qui sont restés hip-hop. Et il y a une jeune génération aussi qui est hip-hop, qui fait de la danse. Y a des jeunes taggeurs, il y a des jeunes graffeurs, il y a des jeunes danseurs, il y a des jeunes MC, il y a des gens qui font des prods, etc. Mais ce n’est pas ceux qu’on met forcément en avant. Et donc effectivement, dans tout le mainstream, dans tout ce qui se vend beaucoup, le hip-hop est très peu présent parce qu’on est dans une culture de la surenchère, de la street crédibilité, etc. Mais le hip-hop est toujours là. Moi, je le suis. Je me revendique hip-hop de A à Z dans tout ce que je fais. J’ai beau avoir cinquante piges, je reste hip-hop dans tout ce que je fais, dans tout ce que je dis, dans tout ce à quoi j’aspire. Sauf que pour l’instant, c’est pas la tendance qui prédomine. Mais c’est une boucle, ça va revenir, j’en suis convaincu.
Pour en revenir au rap qui est donc l’une des branches de la culture hip-hop, est-ce que tu penses que c’est d’abord et peut-être même avant tout une histoire de ricain ? Et est-ce que c’est pour ça que neuf de tes dix titres sont en anglais ?
Ouais. Tu peux monter, tu peux descendre : le hip-hop, le rap, c’est un truc de cainri. Tu peux dire tout ce que tu veux. C’est une culture… De la même façon que la salsa, ça vient de Cuba. De la même façon que le zouk, ça vient des Antilles. Le raï, ça vient des pays rebeus. Tu ne peux pas… Il ne faut pas mentir. Après, il y a du bon rap français.
« Je pense que le rap est devenu une branche de ce monde capitaliste qui n’a rien à envier à l’industrie agroalimentaire ou le reste, quoi. »
Il y a une identité quand même du rap français, même si elle est compliquée à définir ?
Alors ça, c’est un autre débat. Pour moi, le seul qui a une identité, vraiment, le seul qui a su créer une identité en rap français, c’est Jul. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas. Moi, je ne suis pas un fan de Jul. Mais au moins, ce que je peux lui reconnaître, c’est qu’il a créé un style musical. Quand t’écoutes du rap anglais, c’est ce que je me tue à dire…
Ouais, mais est-ce que son style musical peut être apparenté au rap français ?
C’est un autre débat.
Parce qu’il a créé un style musical, mais il y a plein d’autres musiciens dans plein d’autres genres qui ont créé un style. L’identité de rap français, c’est Jul ?
Non, je n’ai pas dit que l’identité de rap français, c’est Jul. Mais je veux dire qu’en rap français, nous, on n’a pas créé de rap français. On s’est contenté de copier les Américains. Et moi, le premier.
Si je précisais, c’était pour distinguer du rap régional. L’identité régionale. Parce qu’il y a une époque où on arrivait à distinguer à peu près le rap parisien du rap marseillais ?
Mais quand tu écoutes du son qui vient du West Side, tu sais que c’est du West Side. Quand tu écoutes du Dirty South, tu sais que c’est du Dirty South. Quand tu écoutes du son de New York, tu sais que ça vient de New York. Quand tu écoutes le son des Anglais, même sans paroles, tu sais que c’est du son anglais. Qui vient d’Angleterre. Alors que nous, quand tu écoutes juste la prod, tu ne peux pas le savoir. Moi, à mon époque, je suis moins calé sur la trap, la drill… je connais moins tout ça. Mais à mon époque, tu mets une instru, je te localise d’où ça vient des Etats-Unis. Juste l’instru.
Ce que les Français n’ont jamais réussi à faire ?
Ce qu’en France, on n’a jamais réussi à faire. Nous, on s’est contenté de copier les Américains. Parce que les Américains, c’est de la gâchette.
On est le pomme C – pomme V ?
Des cainris.
T’as la même définition que Rocca, qui dit que le rap français est un pomme C – pomme V du Ricain. Qui est l’origine et qui reste de toute façon la source ?
C’est ce que j’ai fait toute ma carrière. Montre-moi d’autres groupes, excepté Jul, qu’ont fait autrement. Tu prends même tous les grands groupes, etc. Et on te dit « ah ouais, nous, on a écouté l’album de Mobb Deep », « Ah ouais, moi, j’ai écouté Wu-Tang, ça nous a mis ça », « Ah ouais, moi, j’ai écouté Dr. Dre, ça m’a mis une patate ». Parce qu’on a tous été dosés des cainris. Mais on n’a pas su créer un style français. Mais ça, c’est mon avis. Ça pour dire que même maintenant, ce que les jeunes font, c’est du rap… enfin, c’est de la musique, c’est de la pop urbaine, de la drill, de la trap, ou je ne sais quoi.
T’expliques ça comment ? C’est parce qu’on n’a pas la même culture dès le départ ? La culture musicale ? Qui fait qu’on ne peut pas créer ? C’est la culture varièt’ française qui fait que tu ne peux pas en arriver à cette chose-là ?
Je ne sais pas comment t’expliquer ça. Je pense que les cainris ont un autre mindset. Vraiment. C’est-à-dire qu’ils sont tellement nombreux…
C’est à ça que je fais allusion, le mindset.
Ils sont tellement nombreux que si tous ils font la même chose, ils ne réussissent pas. Il y a des mecs dans un coin, ils disent « moi, c’est ce que je veux faire ». Je me souviens toujours de l’époque où Lil Jon arrive avec… Je m’excuse pour ce qu’on pas les refs, mais Lil Jon, le producteur, qui arrive avec ses notes un petit peu comme ça, assez simples. Eh bien lui, toute sa carrière, il a fait ça. Quand d’un côté, t’as Dr. Dre qui pète avec Snoop Dogg, et de l’autre côté, t’as Wu-Tang qui arrive avec RZA, et c’est deux styles complètement différents. Et quand RZA, il te cale le son, ou qu’il y a des drops qui sont mal faits, il te le laisse sur le disque, et ça tue. Et les mecs, ils restent fidèles à leur identité musicale. Ils ne se disent pas « en ce moment, c’est du P-Funk qui marche, tout le monde sample du P-Funk »…
Mais il y a aussi une démarche, chez eux, de créer un style ?
Parce qu’ils n’ont pas le choix. Si tu veux sortir du lot, il faut que tu sois original. Et puis, ils ont des marchés locaux. Quand tu es un Mobb Deep et que tu ne vends que dans New York, déjà, t’es bien. Quand tu es un mec du sud, un Three 6 Mafia ou quoi, et que tu ne vends que dans ton secteur, déjà, t’es bien parce qu’il y a une population. Donc, plus tu vends et plus t’es conforté dans ton style. Et puis, un jour, ça pète à l’international parce que tout le monde devient sensible à ce que tu fais. Alors qu’en France, le marché est plus petit et qu’on a les yeux rivés sur les États-Unis ou sur l’Angleterre, parce que c’est eux qui pètent le game, il faut dire la vérité.
Tu viens de cette école où le rap permettait de parler de soi, de son vécu, de ce qu’on est. Par ailleurs, tu dis dans le morceau «New Era» : « ils font beaucoup d’argent, mais ils reversent peu ». Et tu dis aussi « Mes frères et moi, on aime les vraies causes ». T’es quelqu’un d’engagé ou juste d’indigné ?
Alors, j’ai toujours été indigné. Et je pense que toutes les périodes ont leur indignation. Et engagé, oui, parce que dans tout ce que j’ai fait, j’ai toujours essayé d’y mettre du sens et que ce soit fidèle à ce que moi je fais. Je pense que maintenant l’industrie du rap a une puissance financière tellement importante qu’il y a beaucoup de choses qui pourraient être faites. Et quand je dis « une puissance », je devrais même dire, sans parler de l’argent, une puissance médiatique. Y a plein de choses qu’on rêvait de peut-être pouvoir faire à notre époque, qu’eux ont la possibilité de faire et qu’ils ne font pas forcément : envoyer des messages aux petits frères par exemple…
Ils n’ont pas de conscience politique, tu dirais ? Ça serait dû à ça ? Ou alors c’est aussi cette peur peut-être de s’engager, parce que s’engager, c’est parfois prendre le risque de mettre une partie du public sur la touche ?
J’ai rencontré des rappeurs, et quand je dis des rappeurs, c’est plusieurs, qui m’ont dit, « tu vois, Kaf, moi, quand je parle de choses bien, je vends 10 CD. Quand je parle de saleté et de crapulerie, j’en vends 100 ». Ça se résume à ça. Quand tu viens et tu parles de choses… Là, ce matin, j’ai écouté encore un mec qui disait « je fais pas de rap conscient, nique sa mère », tu vois ? Ça veut dire que c’est même devenu une punchline presque pour les gens. Et par contre, il va être content de te dire « ouais, dans le bendo, il fait ci, il fait ça ». Mais lui, il va vendre 1000 fois plus de CD que moi. Donc après, moi, je ne jette pas la pierre, tu vois ? Y a des gens qui doivent faire vivre leur famille, ils doivent prendre de l’argent. Mais quand tu vas les voir et tu leur parles réellement, ce n’est pas forcément ce qu’ils ont envie de dire. Et même s’ils le disent maintenant, avec l’âge et la maturité, il y a plein de choses qu’ils ne diront plus. Ça, j’en suis convaincu.
Alors justement, j’allais te dire qu’on n’entend jamais les rappeurs et les rappeuses prendre la parole sur rien, globalement. Et d’ailleurs, la plupart refusent les interviews qui ne sont pas juste de la promo ou sont plus dans les godasses d’un vendeur de bagnole que dans les baskets d’un rappeur, très souvent parce qu’ils cherchent avant tout à vendre le disque. Le manque d’engagement ou parfois même la simple conscience citoyenne des nouvelles générations, est-ce que c’est le marqueur de quelque chose ?
Je pense que le rap est devenu une branche de ce monde capitaliste qui n’a rien à envier à l’industrie agroalimentaire ou le reste, quoi. C’est-à-dire, maintenant…
On n’est plus dans le mouvement contestataire ?
On n’est plus dans un mouvement de contestation, en tout cas pour l’essentiel de ce qui est véhiculé. On est juste dans une recherche d’enrichissement collectif pour les labels, et industriels, et personnel pour les rappeurs, managers et autres.
« La musique est bien, la mélodie cartonne, le refrain est super efficace, mais dans tout ça, il n’a rien dit. »
Donc on va vers le rap parce qu’il y a de l’argent à prendre, on ne va pas forcément vers le rap parce qu’on a quelque chose à dire ?
Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui se mettent dans le rap parce qu’ils pensent qu’il y a de l’argent à faire. Et ça, je peux m’en enorgueillir, parce que moi, à l’époque, quand j’ai commencé le rap, je ne pensais pas faire un euro avec. Je rappais pour mes potes dans le métro. C’est-à-dire que quand j’écrivais un texte, ma seule finalité, c’était de rapper mon texte pour mes potes dans le métro. Une fois que mes trois potes avaient écouté mon texte, ma mission était remplie. Je ne visais pas sortir un disque, etc. Alors que maintenant, n’importe qui qui rentre dans le rap se dit « peut-être que je peux faire des vues », « peut-être que je peux faire du stream », « peut-être que je peux faire… ».
Comment tu expliques que personne ne cherche à revendiquer quoi que ce soit en ayant pourtant un vécu très proche de celui que pouvaient avoir les rappeurs il y a 25 ans ? Tu viens de la cité. Il y a les mêmes problématiques qui n’ont pas bougé pour la plupart. Il n’y a pas grand-chose qui a changé de ce point de vue-là. Mais qu’ils ne ressentent pas le même besoin de vouloir revendiquer des choses ou peut-être de vouloir partager leur vécu. Alors pas tous parce qu’il y en a, évidemment, je ne suis pas en train de généraliser du tout. Mais on sent quand même que c’est beaucoup moins présent qu’à une certaine époque et surtout qu’il y a plus cette envie encore une fois d’aller avant tout vers un business lucratif plutôt que partager une réalité ou de faire avancer les choses au sein du quartier. Comment tu expliques qu’il y a une perte de conscience ? Ou c’est juste tout le monde s’en branle en fait ?
Alors je ne peux pas tout expliquer parce que si j’avais toutes les explications, ce serait beaucoup plus simple pour tout le monde.
Je ne te demande pas la solution, je demande juste ta vision des choses ?
Mais ma vision des choses, c’est qu’il y a déjà, dans tout ce rap game, un mimétisme. C’est-à-dire qu’un jeune qui rentre dans le rap, il va rapper comme ce qu’il écoute. Tu vois ce que je veux dire ? On l’a tous fait. Et comme le rap de maintenant, il est très, très vénal, très « le bendo, les trucs, etc ». Enfin je veux dire l’apologie des mauvais aspects du ghetto. Comme c’est ce qu’il kiffe, c’est ce qu’il va faire. Et puis après, je pense qu’il y a une industrie qui favorise ce type de rap aussi. Ça ne cause de problème à personne. Moi, je viens d’une école où quand j’écoutais Public Enemy, ils parlaient de Malcolm X, j’étais en Malcom X. La traduction française du livre n’existe plus. C’est-à-dire que moi, j’ai lu Bobby Seale, À l’Affût. C’était un mouvement qui m’a éveillé au niveau politique, au niveau de mon identité, qui m’a éduqué. Voilà. Mais là, maintenant, sauf erreur de ma part, quand tu écoutes les gros tubes qui cartonnent, il n’y a aucune information que tu retires de ces trucs-là. Je prends toujours un exemple qui est assez probant, c’est que quand tu regardais Rap Genius avant, et bien pour un petit texte, t’avais plein d’explications. « En fait, il dit ça parce que ça, ça etc ». Maintenant, tu n’as même plus besoin d’explications. Parce que les gens, ils disent « je te nique ta mère, je sors la Kalash, je te baise, le bendo ». T’as tout compris. Y a pas de métaphores, y a pas de second degré, etc… Donc, ce que tu écoutes, c’est ce qu’il veut dire. Ce qu’il veut dire, c’est ce que tu écoutes, fin du game. La musique est bien, la mélodie cartonne, le refrain est super efficace, mais dans tout ça, il n’a rien dit. Enfin, rien dit de plus que le mec d’avant, il n’a rien dit de plus que le mec d’après.
Et au-delà de ça, est-ce que tu penses qu’il y a des revers importants au rap fiction qui peut être livré ? Parce que tous ne parlent pas de leur vécu quand ils disent ce que tu viens d’évoquer « Je suis dans le bendo, les armes, etc ». C’est pas valable pour tout le monde. Est-ce que ça peut avoir un vrai impact de jouer à ça, finalement ?
Bah oui ! Oui, ça a un vrai impact.
Tu disais déjà tout à l’heure que ça ramenait à certains clichés contre lesquels une certaine génération s’était battue. Donc, y avait déjà cet aspect-là. Il y en a d’autres en termes de revers importants ?
Déjà, le premier impact est pour moi… Et c’est pour ça que je serai toujours…alors, moi, c’est mon opinion, c’est une opinion parmi tant d’autres, je ne vois rien, je suis juste un parmi tant d’autres. Mais même l’impact qu’il y a sur les… J’allais dire sur les petits frères, mais maintenant sur les enfants. Parce que moi, j’ai trois enfants. Mon plus grand a 20 piges et mon dernier a 12 ans. Et quand tu leur donnes ce rap-là à écouter, ça a un impact sur les gens. Moi, j’ai des amis qui m’ont dit « j’ai braqué à cause de ce son-là ». Moi, il y a des gens qui me disent « Ouais, moi, quand j’écoutais La Brigade, ça m’a fait ci. C’est ça qui m’a donné envie de devenir professeur. C’est ça qui m’a donné envie de faire ci, etc. » Et cet impact-là, c’est ma plus grande fierté. C’est que même quand j’écoute mes textes 30 ans après, je n’ai rien à me reprocher.
Ouais, tu ne bégayes pas ?
Je ne bégaye pas. Mes enfants vont en scred sur Internet voir ce que papa faisait. Et quand le texte passe, je n’ai pas besoin de faire des galipettes pour leur dire « Ouais, mais tu sais, j’étais jeune. Ouais, mais pourquoi tu dis ça sur les meufs ? Ouais, mais tu as vendu de la drogue. Ouais, mais pourquoi ? » Je n’ai pas besoin puisque moi, je n’ai rien dit de mauvais. Et jusqu’à présent, j’assume tous mes textes. Quand je fais un showcase, ma mère elle vient et elle écoute tous mes sons, dans le plus grand des calmes. Et quand le concert, elle est fini, elle se lève, et elle est fière. Il n’y a aucun propos qui l’a dérangé.
Et t’as à rougir de rien ?
J’ai à rougir de rien. Et plus le temps passe, et moins j’ai à rougir de ce que j’ai dit. Et c’est ça ma seule fierté. Non, j’ai deux fiertés dans ce que j’ai fait dans le rap. C’est d’une, de ne pas avoir à rougir de mes textes même à l’aube de mes 50 ans. Et de deux, d’avoir des messages, tout le temps, de personnes qui me contactent, qui me disent « Grâce à ton texte, ça m’a permis de faire ci. C’est ça qui m’a fait réfléchir. C’est ça, etc. » Et quand c’est des hommes qui te le disent, des hommes de 40 ans, des pères de famille, etc. Tu te dis que ça vaut toutes les récompenses, toutes les certifications. Et je suis très fier de ça. C’est ma vraie, vraie fierté.
Alors ton vécu, c’est aussi le passage par la débrouille, notamment dans les débuts de la Brigade. Et quelque part, t’y reviens aussi avec cet album.
Exact.
Est-ce qu’on y est parce qu’on est fait de ce bois-là ou alors parce qu’on n’a pas le choix ?
On n’a pas le choix. Quand au départ, on se débrouille avec La Brigade, c’est que personne ne veut de La Brigade. Imagine, on arrive, un groupe de douze renois comme ça, on veut tous rapper.
Y a pas un truc kiffant dans la débrouille ?
Oui, en fait, d’une, c’est formateur, et de deux, c’est là que tu vas chercher ton indépendance. Parce que nous, on n’a jamais eu de manager au sein de La Brigade. On n’a jamais eu de manager. Ça veut dire qu’on s’est toujours autogéré. Il y avait certains membres de La Brigade qui prenaient le lead sur certains éléments. Et aussi, c’est nous qui avons dégotés l’argent pour faire nos premiers sons, nos premiers vinyles. Et c’est avec ça qu’on a augmenté, qu’on a réussi à se faire connaître et qu’on a réussi à signer. À l’époque, signer en maison de disques, c’était un accomplissement. Et là, maintenant, je reviens, pareil, parce que je ne suis pas du tout attendu, le rap que je propose c’est pas du rap mainstream, c’est pas ce qui va vendre le plus, mais c’est ce que moi j’ai envie de faire. Donc, soit j’attends sur un siège qu’il y ait quelqu’un qui vienne me voir, me dire « Ah, j’aimerais bien que tu rappes, mais il faut que tu rappes ci et ça ». Soit je le fais moi-même, je me fais plaisir, je fais mes CD, je fais mes cassettes, je fais mes vinyles. Je me mets sur les plateformes de streaming et puis s’il y a trois personnes qui écoutent, tant mieux. S’il y en a cinq, c’est mieux. S’il y en a deux, tant pis pour moi. Mais au moins, je fais ce que je veux et je suis vraiment très fier de ce que j’ai fait.
« Et une fois que j’ai fini l’artistique, c’est là que je réfléchis comment je vais vendre mon truc. C’est pas la meilleure démarche. »
Et cette liberté, cette indépendance, c’est notamment ce qui te permet d’accéder à des idées telles que les cinq formats différents que tu as proposés pour l’album. Est-ce que tu peux m’en parler, de ces cinq formats ?
Il y a le streaming, le vinyle, le CD, la cassette et un vinyle NFT. Un vinyle collector que j’ai sorti en dix exemplaires avec une certification NFT. Et chacun de ces projets a une cover différente et un agencement des morceaux différents. Et donc, je tenais vraiment à faire ça parce que je veux que les gens qui achètent mes produits, qui achètent mes chansons, aient quelque chose de concret dans les mains et quelque chose qui va prendre de la valeur avec le temps. Donc, après, je sais que tout s’écoute sur le streaming. Moi, le rap que je pratique, ce n’est pas un rap où je peux écrire dix textes en une journée. Je ne peux pas faire ça parce que j’ai réfléchi, il faut construire la rime, la métaphore, le thème et tout. Ça me prend du temps. Donc, je ne suis pas dans la production, je ne suis pas dans la quantité. Je sais qu’on est dans un monde de quantité. Moi, je suis dans la qualité et je veux que les gens qui me soutiennent, à la fin, quand ils ont acheté un de ces supports-là, ils aient un objet de valeur de par le contenu, mais aussi le contenant. Et chacun de ces produits-là, chacun de ces formats-là a une couverture différente, une cover différente.
Et cette proposition forte et riche, c’est aussi quelque chose qu’on peut ressentir lorsqu’on vient te voir sur scène ?
Sur scène, oui, parce que je propose une histoire, en fait. Sur scène, dans Bring the Beat Back, je te raconte mon histoire depuis que j’étais petit.
N’en dis pas trop, donne-nous envie de venir te voir !
Ouais ! (rire) Et c’est ce truc-là que tu vois développé dans mon show quand tu viens me voir.
Alors, toujours pour rester dans cette histoire de liberté, t’as un morceau, «Let the Music Play», qui fait inévitablement penser, pardon, à «Miss International» de Method Man et Redman, par rapport à l’utilisation du sample. Et t’as osé t’attaquer au monument de Nas, et de DJ Premier, « New York State Of Mind », avec le morceau «Bomb Attack» ?
Exact.
Tu savais que ça t’exposera à des remarques, qu’elles soient positives ou négatives, d’ailleurs. Est-ce que « rien à foutre » ?
Ben non. En vrai, quand t’écris ton texte et quand t’es en studio, c’est toi qui décides. Et comme là, j’étais tout seul… En studio, pour te dire… En studio, j’étais souvent seul avec l’ingénieur. C’est-à-dire que quand je faisais mes trucs, il n’y avait personne qui me disait « Ah, mais ça, ah mais ci ! », tu vois ? après, je l’ai fait écouter à d’autres personnes qui m’ont dit « Ah, peut-être que si ! » Mais je n’ai pas vraiment écouté parce qu’en fait, j’avais déjà… Tout ce que je voulais faire était assez clair dans ma tête. J’étais un peu… J’aime bien prendre cette image-là, j’étais un peu comme Morpheus dans Matrix. Je voyais déjà tout ce que je voulais faire. Et j’étais vraiment dans une phase artistique. Je ne me suis pas pris la tête de savoir est-ce que ça va vendre, est-ce que tu vas avoir les droits du sample, est-ce que tu ne vas pas te faire bloquer ?
Concernant notamment le morceau de Nas, comment ça fonctionne au niveau des droits ?
Pour être honnête avec toi, je n’ai même pas calculé. C’est-à-dire qu’on est parti sur un clip, un gros clip sur «Bomb Attack», et c’est au moment de mettre le clip en ligne où je vois le truc qui dit « Ouais, on va vérifier si les droits sont pas… ». Je me suis dit « Ah ouais, merde ! » Je te jure que c’est vrai. C’est une fois que le clip est tourné, bon un petit peu avant parce que j’en ai discuté avec le réalisateur, on disait « De toute façon, on le fait, on s’en fout. On tente le coup ». Et oui, effectivement, il y a un truc comme quoi les droits ont un truc, mais que ça ne pose pas de problème. Après, c’est des risques à prendre.
Tu ne peux pas générer de l’argent dessus, normalement ?
Si, tu peux générer de l’argent, mais si j’en génère trop, on va me le prendre. Je n’ai pas de manager. Ma démarche est purement artistique. Si j’avais un manager, il m’aurait dit « ne fais pas ci, ne fais pas ça, ne fais pas ça, ne fais pas ça. Mais si, commence par un refrain, raccourcis ton truc, etc ». Donc, ce que j’ai fait, c’est purement artistique. Et une fois que j’ai fini l’artistique, c’est là que je réfléchis comment je vais vendre mon truc. C’est pas la meilleure démarche. Je ne la conseille pas aux gens qui veulent faire de l’argent, mais moi, c’est la mienne. Je suis content de ce que j’ai fait. Si ça vend, tant mieux. Si ça ne vend pas, tant pis pour moi.
Toujours dans l’album, on a parlé des différents titres qui étaient en anglais, référence aux ricains et à la culture hip-hop. Il y en a un qui n’est pas en anglais. «O.A.G.E.». Tu peux expliquer ?
«O.A.G.E.», c’est « On a grandi ensemble ». C’est un titre que j’ai fait pour le documentaire de mon ami Adnane Tragha, qui est un documentaire sur la cité dans laquelle j’ai grandi, qui s’appelle Gagarine, qui est accessoirement une cité dans laquelle PNL a grandi également, et qui a été détruite récemment. Donc, il m’a demandé de faire le générique de fin, ce que j’ai fait avec grand plaisir. Et je voulais le mettre dans Bring The Beat Back, mais je voulais que ça corresponde au format, au format rap, en hommage à ce hip-hop-là. Et donc, je l’ai fait en remix sur un sample bien défini et que normalement les aficionados reconnaîtront. Et voilà, c’est le seul titre qui n’est pas réellement en anglais. Je rappe en français, mais on parle des titres des morceaux. C’est pour ça que j’ai mis «OAGE» pour que ça ne fasse pas tâche dans le tracklist.
Et donc, ce morceau en particulier, c’est une chronique du quartier, là où tu as grandi, là où tu as vécu. Là, ce qui m’intéresse par rapport à ce texte-là, c’est le mélange de populations auxquelles on peut faire allusion dans différents textes, différents titres de rap, le fait que dans la cité on est tous regroupés, on est tous ensemble, etc. Est-ce que tu penses que les choses ont bougé depuis ?
Non, je pense pas. Alors, après, je fais toujours attention parce que le prisme individuel n’est pas forcément le meilleur. Moi, quand j’étais jeune, j’ai vécu les conflits de communautés, le racisme, qu’il vienne de Français, blancs, qu’il vienne de la communauté maghrébine… J’ai vécu tout ça. Sauf que maintenant, avec les réseaux sociaux, ça prend des ampleurs plus importantes. Mais malgré tout, on aura toujours, dans toutes les communautés, des gens qui sont fermés d’esprit et on aura toujours des gens qui sont ouverts et qui sont juste des individus qui partagent avec d’autres individus. La seule différence, c’est que maintenant, avec les réseaux sociaux, il y a un mec qui va faire un tweet, peut-être il va faire 200 000 vues, et il va croire que son 200 000 vues, c’est l’opinion du monde. Il y a des mecs qui sont à la télé, ils sont tous les jours à la télé, devant des millions de téléspectateurs, et comme ils parlent, ils parlent, ils parlent, ils ont l’impression que ce qu’ils disent, c’est la vérité, parce qu’ils sont écoutés par plein de gens. Ce qui est faux. C’est faux. Donc je pense que les problèmes, c’est comme un électrocardiogramme. Ça monte, ça descend. Il y a du racisme, il y a de la xénophobie, ça descend un peu, ça remonte. Après, il y a la Coupe du monde, ça baisse, après il y a ci. Il faut qu’on fasse avec. C’est vrai que ce n’est pas facile, parce que maintenant, la liberté d’expression via les réseaux sociaux font que les gens vont de plus en plus loin dans leurs affirmations, dans leurs opinions et dans leur bêtise. Mais pour moi, il y a toujours, je crois, un équilibre. Un équilibre où il y a autant de gens qui sont bons que de gens qui sont mauvais, tout simplement.
L’équilibre, on va aller le chercher au sein de ton projet, au sein de Bring The Beat Back. Déjà, on va commencer par le saigner, ce projet, et on espère qu’il y aura une suite aussi au projet solo.
Il y a une suite, je suis en train de taffer dessus. J’ai déjà la cover, j’ai déjà le nom de l’album, j’ai déjà une sélection de quinze titres.
N’en dis pas trop ! (rire)
Donc, non, juste que voilà… Morpheus, il est toujours en action.
Merci beaucoup, K.Fear.
Merci à toi, Scolti À plus tard, bye bye. Ciao.